ignorance

À mon sens, la plus grande faveur que le ciel nous ait accordée, c’est l’incapacité de l’esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu’il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l’infini, et nous n’avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas causé trop de mal jusqu’à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors, cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix d’un nouvel âge de ténèbres.

Howard Phillips Lovecraft, L’appel de Cthulhu.

Guillaume Colnot, 17 juil. 2002
égards

Entre l’exigence d’être clair et la tentation d’être obscur, impossible de décider laquelle mérite le plus d’égards.

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1720.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
après

Je ne peux pas raconter cela… cette histoire… parce que je raconte après coup. La flèche, par exemple. Cette flèche… Cette flèche, là, pendant le dîner, n’était pas du tout plus importante que la partie d’échecs de Léon, le journal ou le thé : tout se trouvait à un même niveau, tout concourait à ce même moment, dans une sorte de concert, de bourdonnement d’essaim. Mais aujourd’hui, après coup, je sais que le plus important était cette flèche, donc dans mon récit je la mets au premier plan et, d’une masse de faits indifférenciés, je dégage la configuration du futur.

Comment ne pas raconter après coup ? Ainsi il faudrait penser que rien ne sera jamais exprimé pour de bon, restitué dans son devenir anonyme, que personne ne pourra jamais rendre le bredouillement de l’instant qui naît ; on se demande pourquoi, sortis du chaos, nous ne pourrons jamais être en contact avec lui : à peine avons-nous regardé que l’ordre naît sous notre regard… et la forme.

Peu importe. Passons.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 41.

Cécile Carret, 11 déc. 2007
cabrons

Voyager : cent fois remettre sa tête sur le billot, cent fois aller la reprendre dans le panier à son pour la retrouver presque pareille. On espérait tout de même un miracle alors qu’il n’en faut pas attendre d’autre que cette usure et cette érosion de la vie avec laquelle nous avons rendez-vous, devant laquelle nous nous cabrons bien à tort.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
voix

Juste à ce moment-là, un sifflement fusa, puis un autre encore. On avait l’impression qu’ils naissaient très très loin, puis qu’ils fondaient sur nous comme une locomotive emballée : la terre trembla, un instant les travées de béton du plafond vibrèrent comme si elles étaient en caoutchouc, et enfin ce furent deux explosions, suivies d’une pluie de gravats et, en nous, ce délicieux relâchement qui succède au spasme. Valerio s’était traîné dans un coin et, le visage enfoui dans son coude comme pour se protéger d’une gifle, priait à voix basse.

À nouveau, un sifflement monstrueux jaillit. Les nouvelles générations occidentales ne connaissent pas ces sifflements si caractéristiques : ils n’étaient certainement pas fortuits, il faut que quelqu’un les ait voulus ainsi, pour donner aux bombes une voix qui exprime toute leur soif et leur menace. Je me laissai rouler au bas des sacs, contre le mur : ce fut l’explosion, toute proche, presque physique, puis le souffle puissant de déplacement d’air.

Primo Levi, « Capaneo », Lilith, Liana Levi, p. 11.

Cécile Carret, 21 mars 2010
place

Sa figure prit de nouveau une expression de surprise ; il ne pensait pas qu’une femme oserait parler ainsi à un homme. Quant à moi, je me sentais sur mon terrain ; je ne pouvais pas entrer en communication avec les esprits forts, discrets et raffinés, soit d’hommes, soit de femmes, avant d’avoir dépassé les limites d’une réserve conventionnelle, avant d’avoir franchi le seuil de leurs confidences et pris ma place près du foyer de leurs cœurs.

Charlotte Brontë, Jane Eyre ou les mémoires d’une institutrice, FeedBooks.

Cécile Carret, 11 nov. 2011
comprend

La femme : « Aujourd’hui je suis allée en ville avec Stéphane. Il ne me comprend pas, les banques, les stations-service, les stations de métro, il trouve ça magnifique. »

L’éditeur : « Peut-être y a-t-il là-dedans une beauté nouvelle que nous ne pouvons simplement pas encore voir. »

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 61.

Cécile Carret, 26 juin 2013
irresponsabilité

Nombreux sont les poètes qui appellent « poésie » une simple forme d’irresponsabilité intellectuelle.

Nicolás Gómez Dávila, Scolies successives à un texte implicite, p. 167.

David Farreny, 27 mai 2015

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