rompre

À un certain degré de détachement ou de clairvoyance, l’histoire n’a plus cours, l’homme même cesse de compter : rompre avec les apparences, c’est vaincre l’action et les illusions qui en découlent. Quand on s’appesantit sur la misère essentielle des êtres, on ne s’arrête pas à celle qui résulte des inégalités sociales, ni on ne s’efforce d’y remédier.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 34.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
succincte

Et je contemple les plans de certaines villes de second rang,

Et leur description succincte, je la médite.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 72.

David Farreny, 10 août 2005
écorchées

Il y avait les ouvrages de géographie aux couleurs fallacieuses et suaves, les plaines roses et les monts outremer, les départements jaune soufre et les archipels de neige, un traité de mécanique en trois tomes illustré de gravures sur acier, pourvu de dépliants qui s’ouvraient, comme des ailes, sur des steamers en coupe et des locomotives écorchées, un volume d’anthropologie montrant les insulaires des Salomon et les nomades du Kalahari qui nourrissait mes lectures d’évasion, et puis les volumes aux plats ornés d’un buste de la République aux yeux étincelants, de drapeaux, d’astérisques aux branches aiguës, inégales, dorées, représentant des explosions.

Pierre Bergounioux, Le bois du Chapitre, Théodore Balmoral, pp. 21-22.

David Farreny, 21 oct. 2005
ponctuelle

Or, la vie perdure, ponctuelle

et multiple

comme l’horloge de Strasbourg.

Norge, Poésies 1923-1988, Gallimard, p. 28.

David Farreny, 24 sept. 2006
vache

C’est d’autre chose qu’il s’agit. De la vache. Comment se comporter face à une vache ?

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 519.

David Farreny, 12 mars 2008
empire

On diffère à un autre titre des montagnes ou des grains de poussière. Un grain de poussière qui atteindrait aux dimensions d’une montagne puis finirait par occuper la totalité de l’univers serait vraiment la seule chose. Alors que revêtu de l’ensemble des emblèmes de la puissance, couvert d’or, brillant d’un éclat tel qu’on en plisse les paupières, un type sera tenu de laisser subsister un espace de la taille d’un grain de poussière pour s’étendre et rayonner. Il aura besoin d’un autre type se regardant lui-même comme une tête d’épingle ou une miette de rien du tout pour fournir l’assurance qu’il est bien le seul. On acceptera la petite quantité de rien du tout qu’il est obligé de laisser subsister à l’extrême bord de son empire.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 28.

Élisabeth Mazeron, 3 juin 2010
bonheur

Notre grade ne nous autorise pas à satisfaire à des demandes du genre de celles dont il s’agit dans ces cas-là, mais la présence de cette partie nocturne fait croître en quelque sorte nos pouvoirs officiels, nous promettons des choses qui ne sont pas de notre ressort, pis même, nous promettons de tenir nos promesses. La partie nous arrache, la nuit, comme le brigand au coin du bois, des sacrifices dont nous ne serions jamais capables à l’ordinaire : soit, il en va ainsi tant que le plaignant est là, tant que sa présence nous fortifie, nous contraint, nous excite ; que se passera-t-il quand il sera parti, repu, et inconscient, nous laissant seuls et sans défense en face de notre abus de pouvoir ? Je n’ose y penser. Et cependant nous sommes heureux. Ah ! que le bonheur peut ressembler au suicide !

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 763.

David Farreny, 24 oct. 2011
encycliques

Il m’a dit : « Mon père est curé, mon oncle est maître d’école, mes frères et sœurs sont tous installés à Java. » Voilà un curé qui n’a pas lu un certain nombre d’encycliques. M’a raconté qu’aux Célèbes les pêcheurs vont à la messe couverts d’amulettes. Il parle parfaitement l’anglais et le hollandais. Il passe littéralement sa vie en train pour inspecter je ne sais quoi. De petits télégrammes le suivent de station en station : « Vous avez oublié vos pantoufles dans l’express de Malang », « J’ai des fruits frais pour vous, où dois-je les envoyer ? », etc.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 118.

Cécile Carret, 28 juin 2012
rallongent

Les jours rallongent et je ne suis pas prêt.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 155.

David Farreny, 30 juin 2014
fixateur

La fatigue agit comme le fixateur sur l’épreuve photographique ; l’esprit, qui perd une à une ses défenses, doucement stupéfié, doucement rompu par le choc du pas monotone, l’esprit bat nu la campagne, s’engoue tout entier d’un rythme qui l’obsède, d’un éclairage qui l’a séduit, du suc inexprimable de l’heure qu’il est.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, p. 50.

David Farreny, 19 oct. 2014
espèce

Faire un enfant pour voir. C’est ça la pulsion de fond, il n’y a pas d’autre raison. Un passage à l’acte qui épuise le sens de cet acte. On veut vérifier une hypothèse, même si on se doute que le résultat sera négatif. Personne ne croit que ça va ajouter quelque chose. Qu’on sera plus heureux, plus unis, plus comblés. Personne ne croit au fond que l’enfant sera meilleur que l’adulte. On liquide à chaque fois une hypothèse.

À hauteur d’individu, il n’y a pas de raison de faire un enfant. À hauteur d’espèce, il y a toutes les raisons. Mais est-ce que je suis l’espèce ? Est-ce que tu es l’espèce ? Est-ce que c’est l’espèce que j’aime en toi ? Ce que j’aime en toi, ce qui m’attire en toi, c’est ce qui t’extrait de l’espèce. Ce qui, comme une grâce, t’en absout. Et voilà qu’un jour tu mets en avant un instinct qui est le contraire de ce qui m’a attiré. Un instinct dont la cause est en dehors de ce que j’ai aimé.

Philippe Muray, « 28 février 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 30.

David Farreny, 28 fév. 2016
cédé

AGATHE – Mais, normalement, décéder, ça devrait vouloir dire qu’on n’a pas cédé !

Éric Chevillard, « mardi 27 mars 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024

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