indéchiffrable

Il lui reste environ quarante-cinq minutes avant de songer à partir. Il regarde la fenêtre grillée qui donne sur la rue Vaneau, luisante et si tranquille entre deux averses. Il regarde le plafond, sale mais indéchiffrable.

Jean de La Ville de Mirmont, Les dimanches de Jean Dézert, La Table Ronde, p. 36.

David Farreny, 22 mars 2002
coule

Par moments, des milliers de petites tiges ambulacraires d’une astérie gigantesque se fixaient sur moi si intimement que je ne pouvais savoir si c’était elle qui devenait moi, ou moi qui étais devenu elle. Je me serrais, je me rendais étanche et contracté, mais tout ce qui se contracte ici promptement doit se relâcher, l’ennemi même se dissout comme sel dans l’eau, et de nouveau j’étais navigation, navigation avant tout, brillant d’un feu pur et blanc, répondant à mille cascades, à fosses écumantes et à ravinements virevoltants, qui me pliaient et me plissaient au passage. Qui coule ne peut habiter.

Le ruissellement qui en ce jour extraordinaire passa par moi était quelque chose de si immense, inoubliable, unique que je pensais, que je ne cessais de penser : « Une montagne malgré son inintelligence, une montagne avec ses cascades, ses ravins, ses pentes de ruissellements serait dans l’état où je me trouve, plus capable de me comprendre qu’un homme… »

Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 650.

David Farreny, 24 août 2003
scories

Cycle des scories, le dernier : le nôtre, le gauchisme.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 44.

David Farreny, 1er janv. 2006
vide

Pour tromper son vide, battre son plein.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 65.

David Farreny, 19 nov. 2006
habiller

Quand tu achetais des vêtements, tu avais l’habitude d’hésiter. Ta garde-robe était déjà fournie, et comme elle ne se composait que d’habits sobres et simples, elle ne se démodait pas. Acheter de nouveaux vêtements n’aurait été nécessaire que si les anciens avaient été usés. Ce n’était pas l’économie qui guidait tes choix, mais ta manie d’accumuler des vêtements presque identiques. Tu choisissais, dans les magasins, une version améliorée de ce que tu possédais déjà, pour constituer la panoplie parfaite, l’uniforme universel qui te débarrasserait du devoir quotidien de choisir comment t’habiller. Bien que tu saches que cet uniforme n’existait pas, tu continuais ta quête.

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 104.

Cécile Carret, 22 mars 2008
étais

tout ce métal tout ce granit tous ces étais

pour que tienne le pariétal

quand tu ne craindras plus les eaux

tu t’appuieras au fond du crâne

comme à ce mur chaud

qui fait oublier le glaucome du soleil

et regarderas devant

Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine, p. 39.

David Farreny, 28 nov. 2010
suppléant

Dans ma jeunesse, j’avais moi aussi de beaux projets ; à une époque, je crus ajouter à ma beauté en achetant des spartiates, des nu-pieds à la mode, tout en lanières croisées, qu’il fallait porter avec des chaussettes violettes ; ma mère m’en tricota une paire. La première fois que je sortis, les pieds si bien chaussés, c’était pour un rendez-vous avec une fille, devant l’Auberge-Basse. On avait beau être mardi, je me demandai soudain quelle équipe de foot n’était pas déjà affichée dans la boîte vitrée de notre club. J’examinai d’abord soigneusement la serrure, puis m’approchai : je ne vis que les noms de la semaine précédente… Je les lus, les relus encore, sans arrêt, parce que je sentais ma sandale droite et sa chaussette violette s’enfoncer dans un magma visqueux. Je relus, et découvris mon nom tout à la fin, parmi les remplaçants. Je trouvai enfin le courage de regarder par terre : mon pied s’étalait dans une grosse crotte de chien, ma spartiate y disparaissait, engloutie avec toutes ses lanières… Je lisais, je relisais la liste d’un bout à l’autre, les onze noms de l’équipe junior avec le mien comme suppléant… Mais si je baissais les yeux, l’horrible crotte de chien était toujours là. À cet instant précis, ma petite amie apparut sur la place. Précipitamment, j’arrachai spartiate et chaussette violette et les plantai là, avec le bouquet que je lui destinais ; je m’enfuis dans les champs méditer sur cet avertissement fatal, un signe du destin, peut-être, puisqu’à cette époque j’avais déjà pensé me faire presseur de vieux papier pour accéder aux livres.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 110.

Cécile Carret, 13 juin 2011
impossible

Mes chers, je n’ai pas besoin du veilleur de nuit, n’en suis-je pas un moi-même quant à la somnolence, aux déambulations nocturnes et au tempérament frileux ? Vous chauffez-vous convenablement au soleil ? Cherchez-moi s’il vous plaît pour l’été ou l’automne un endroit où on vit à la mode végétarienne, où on est continuellement bien portant, où même seul on ne se sent pas abandonné, où même une bûche comprend l’italien, etc., bref, un bel endroit impossible. Adieu. On pense beaucoup à vous.

Franz Kafka, « lettre à Elsa et Max Brod (4 février 1913) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 706.

David Farreny, 1er mai 2014
oubli

Les gens qu’a connus Chamfort sont pour beaucoup dans l’immortalité de son esprit ; peut-être que les imbéciles qui m’environnent seront la cause de mon oubli.

Henri de Régnier, « Le bonheur des autres ne suffit pas », L’égoïste est celui qui ne pense pas à moi, Flammarion, p. 40.

David Farreny, 10 mars 2016
malheur

Malheur à qui ne se contredit pas au moins une fois par jour.

Anonyme, « L’Ecclésiaste », La Bible.

David Farreny, 23 fév. 2024

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