paroxysme

Le monde est une souffrance déployée. À son origine, il y a un nœud de souffrance. Toute existence est une expansion, et un écrasement. Toutes les choses souffrent, jusqu’à ce qu’elles soient. Le néant vibre de douleur, jusqu’à parvenir à l’être : dans un abject paroxysme.

Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 11.

David Farreny, 18 sept. 2006
guetteur

Vagabond à ses heures sorti faire un tour, suivant l’humeur et la saison, en quête de champignons, de charbon ou de mazout pour le poêle, de paysages à prendre en photos ou à imprimer seulement dans sa mémoire, de quelque chose ou de quelqu’un d’autre enfin dont l’absence intenable pousse à aller au dehors à la rencontre de gens à tout hasard disponibles. Guetteur mélancolique des nuages qui vont étoffant le ciel au-dessus des collines et des monts, au large des fenêtres, en un lent mouvement de bateau sur son erre, distribuant au gré de leurs déchirements des éclairages prodigieux sur le relief environnant. Promeneur sans raison à la limite, démuni et livré à lui-même, touchant à une forme de désarroi et d’extase sans mesure, dans l’abandon qui est le sien.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 32.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
substance

Nous eûmes bientôt descendu nos bagages, que nous laissâmes au milieu du salon le temps de faire nos adieux à Simone. […] Il l’embrassa, Kontcharski lui tendit une main, puis moi la mienne. Nous la remerciâmes chaudement. Nous la regardâmes, avant de nous détourner vers la porte, avec la sensation d’oublier quelque chose. Elle, peut-être. Elle nous accompagna jusqu’à la voiture, finalement, de sorte que nous refîmes nos adieux, toutes portières ouvertes, et que de nouveau nous la remerciâmes, à l’aide de « Merci encore » qui manquaient un peu de substance. Bientôt, nous fûmes partis.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 77.

Cécile Carret, 14 sept. 2008
éloignement

Tel livre lu voilà vingt ans et bientôt oublié, telle couverture, tel imperceptible souvenir, lorsque je les retrouve à leur emplacement originel, à quinze ou vingt ans d’ici, m’indiquent à quelle distance je me trouve, maintenant, du commencement. Le long du chemin rendu un court instant visible, dans l’ombre et la brume du passé, je découvre la théorie des bagages abandonnés, l’éloignement.

Pierre Bergounioux, « jeudi 8 juin 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 796-797.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
prix

Avec un sentiment.

Un curieux sentiment.

Comme un sentiment de domination, de supériorité, voilà, la supériorité de l’homme debout sur l’homme assis.

Quoi encore ?

Un certain pouvoir sur la vitesse, sur le paysage, qui défile devant les fenêtres, où le jour se joue de tout. Des têtes. Des nuques, des visages, qui se balancent en même temps. Il reste même une place libre.

Lui seul peut décider de la prendre.

Quelle jouissance, quand même.

Et si j’allais m’asseoir, se dit-il.

Tu paieras pas plus cher.

On ne s’entend jamais sur le prix.

Ce qui lui coûte à lui, c’est de se faire remarquer, encore, de déranger encore, de demander pardon, enfin bon.

Il y va. Il prend son sac et il y va.

Il aurait pu ne pas y aller mais il y va.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 51.

Cécile Carret, 4 mars 2012
fond

Voilà. Des années ont passé. Nous vivons ensemble dans une maison en dur, j’ai réussi, j’ai une vraie maison toute dure. Francis est parti, et nous sommes tous les deux. Et alors, quoi ? Je m’ennuie. Le mot est faible. C’est évident que je m’ennuie. L’amour pour moi s’est toujours déroulé en trois phases fatales : découverte, habitude, lassitude. Et c’est fini. Chaque fois que je me suis mis à vivre avec une femme, je me suis retrouvé un jour à me dire sur ma natte : « Pop, ce que tu t’emmerdes, au fond. Demain tu la quittes. »

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 81.

Cécile Carret, 9 mars 2012
aurais

Ce qui me chagrine le plus, finalement, c’est d’être rejeté par la civilisation. Il me faudra encore du temps pour en être bien certain, car les chocs émotionnels que l’on reçoit ne peuvent s’analyser immédiatement, mais je pense avoir été moins amoureux de la femme que de la civilisation qu’elle représente. Je me sens rejeté par la civilisation, alors que j’estime avoir le droit et les capacités d’en faire partie. C’est humiliant. J’aurais tant aimé connaître l’éducation, l’art, le confort et les conversations subtiles des aurivergistes. Les gens de ma famille, sans être comparables à des barbares, restaient des brutes, des incultes. Et c’est trop tard. Demain, je rentre chez moi.

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 105.

Cécile Carret, 9 mars 2012
couler

L’homme que j’aimais m’avait reproché un jour ma passivité supposée avec d’autres. C’était dans la cuisine, au moment du petit déjeuner, il m’a dit avoir peur de cette façon propre aux femmes en général et à moi en particulier, pensait-il, de ne pas savoir ou ne pas vouloir s’opposer au désir encombrant des hommes, de se soumettre si follement à leur demande. On dirait qu’il ne sait pas combien il est difficile de dire non, d’affronter la demande de l’autre et de la refuser – difficile et peut-être inutile. Pourquoi ne sait-il pas la nécessité parfois impérieuse de se couler dans le désir de l’autre pour mieux s’en échapper ?

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 50.

Cécile Carret, 16 mars 2012
rêver

Il fait si froid qu’on ne peut s’arrêter nulle part, ni rêver ; la rêverie est prise dans la marche : une rêverie obstinée, de la pensée, plutôt, à l’état naissant, prête à bondir vers la joie ou la tristesse où elle se défait.

Richard Millet, Eesti. Notes sur l’Estonie, Gallimard, p. 68.

David Farreny, 4 sept. 2012
fond

J’ai quand même pris la peine d’aller voir à quoi elles ressemblaient, rapporté de la limonite, des silex rubanés. Un jour que je me rendais au Pays Basque, j’ai fait halte à Monpazier. La place centrale de la bastide est pavée de gros rognons de calcédoine bleutée, dont quelques-uns étaient déchaussés. Le lendemain, à Bayonne, j’ai déniché de jolis cristaux de calcite verte dans des blocs du front de mer détachés par la houle. À la fin de la même semaine faste, juste avant de repartir, une dernière sortie sur un dépôt sidérolithique, vers Puy-d’Arnac, m’a livré des agates brutes, du jaspe moucheté, de longs cristaux aciculaires de tourmaline noire et une hache polie, intacte, de serpentine verte, qui pointait d’un centimètre ou deux hors de l’argile retournée, sous des noyers. Comme dans Lancelot du Lac, mais à l’envers, une main enfouie sous la terre me tendait cette merveille du fond du néolithique.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, pp. 32-33.

David Farreny, 7 juin 2013
vieilles

Il y avait dans le paysage, jusque dans les années 70, une stabilité et une inertie toute séculaire. Les vieilles fermes au coin des routes. Les choses avaient une force placide, une pesanteur. Le sentiment du monde était écrasant.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 80.

Cécile Carret, 22 sept. 2013

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer