moitiés

Par toutes les fibres de son être, bouillant d’une ardeur prête à déborder, Van éprouvait, avec délices, la pression de ce jeune corps qui répondait à chaque cahot du chemin en s’entrouvrant en deux tendres moitiés et en écrasant de son poids le gonflement d’une envie que Van croyait devoir contenir, de crainte que le suintement accidentel d’une sève assouvie n’alertât l’innocence perplexe.

Vladimir Nabokov, Ada ou l’ardeur, Fayard, p. 116.

David Farreny, 22 mars 2002
rien

Rester debout n’était plus, pour elle, de ces choses qu’on peut faire sans y songer et dont l’importance ne se révèle qu’à l’instant où elles nous sont irrémédiablement ravies. Le fond, de proche en proche, lorsqu’il est venu, n’est peut-être pas aussi terrible puisqu’on a dépouillé la station debout, la faculté d’aller, celle de comprendre si tant est qu’on ait jamais compris ou qu’il y ait à comprendre. Il reste si peu de choses que tout ce qu’on est encore susceptible de concevoir et de vouloir, c’est de devenir véritablement rien.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 88.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
philanthropie

Les Conventionnels se piquaient d’être les plus bénins des hommes : bons pères, bons fils, bons maris, ils menaient promener les petits enfants ; ils leur servaient de nourrices ; ils pleuraient de tendresse à leurs simples jeux ; ils prenaient doucement dans leurs bras ces petits agneaux, afin de leur montrer le dada des charettes qui conduisaient les victimes au supplice. Ils chantaient la nature, la paix, la pitié, la bienfaisance, la candeur, les vertus domestiques ; ces béats de philanthropie faisaient couper le cou à leurs voisins avec une extrême sensibilité, pour le plus grand bonheur de l’espèce humaine.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 306.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
intrus

On a les heures du matin et celles de l’après-midi pour aller à sa guise sous le ciel tout proche, d’un bleu cru, acide. On est lavé par la lumière qui pleut des détails importuns, des tristesses tenaces et des menus tracas qu’on apporte de la vie d’en bas, des creux habités, comme les brindilles et les pailles, les bardanes qui restent aux vêtements des courses dans la campagne. Le monde est vaste, le couchant glorieux, la paix infinie et, soudain, quelque chose, quelqu’un est là, qui retient son souffle. On circulait librement parmi les vivants étais des arbres qui supportent le dôme du ciel, dans les chambres tendues de brocart qui sentent la résine. On s’est dit, comme Augustin, au soir de la fête étrange, dans le domaine mystérieux, qu’on était attendu, que cette demeure était la nôtre et l’on n’est plus, maintenant, qu’un intrus.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 52.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
canines

Ô rictus faussement souriants, ô mon amour déçu. Car j’aime, et lorsque je vois en son landau un bébé aimablement m’offrir son sourire édenté, angélique sourire tout en gencives, ô mon chéri, cette tentation de prendre sa mignonne main, de me pencher sur cette main neuve et tendrement la baiser, plusieurs fois la baiser, plusieurs fois la presser contre mes yeux, car il m’émeut et je l’aime, mais aussitôt cette hantise qu’il ne sera pas toujours un doux bébé inoffensif, et qu’en lui dangereusement veille et déjà se prépare un adulte à canines, un velu antisémite, un haïsseur qui ne me sourira plus. Ô pauvres rictus juifs, ô las et résignés haussements d’épaules, petites morts de nos âmes.

Albert Cohen, Ô vous, frères humains, Gallimard, p. 10.

Bilitis Farreny, 22 avr. 2008
exagération

Le seul témoin qui me resta de cette époque fut une photographie de mes parents, représentés tous deux en costumes surannés, la main dans la main, avec, aux yeux, un regard naïf de bonheur rengorgé ; elle avait été faite, en signe d’orgueil, peu de jours après ma venue, et le cliché en était détruit. Je l’avais moi-même décrochée du mur paternel, déjà jaunie, et je lui vouais un respect et des soins tout particuliers.

Qu’est-elle devenue ?

Je l’aimais sans doute avec exagération, car je l’ai si bien cachée un jour, que jamais plus je ne l’ai retrouvée.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, p. 17.

David Farreny, 13 juil. 2010
marmelade

Lorsque nous entrons à notre tour dans la chambrette, moi et mes lecteurs, moi d’abord, pardon, il le faut bien, je dois vous introduire, elle a déjà déballé tous ses pots et déroule d’une traite son boniment.

Sa marmelade est à la marmelade ce que l’or fin est au fer blanc.

[…]

Sa Sainteté le pape en fait dit-on remplir chaque matin un bassin de marbre cruciforme pour se baigner dedans et le Prince d’Orient a ordonné à son chirurgien personnel de lui ouvrir une deuxième bouche à côté de la première afin de pouvoir en engloutir davantage.

On a vu des prunes, des coings, et même des abricots rouler depuis leur branche dans son chaudron fumant pour en être. On a vu des abeilles fermer boutique après avoir goûté sa marmelade puis s’exiler dans des pays sans fleurs et butiner des cailloux par dépit et mortification.

Sa marmelade en applications quotidiennes guérit les lépreux si bien que c’est à qui leur léchera les aines et le ventre. Sa marmelade change la triste insomnie en aubaine et festin nocturne.

Ta femme est partie, sa marmelade la fera bien vite rappliquer, mais peut-être alors ne souhaiteras-tu plus autant la revoir chez toi. Sa marmelade est une purée de soleil candi, un regret pour les anges, un régal sur huit mètres pour l’intestin. Ah ! Dieu savait où il voulait en venir en créant le monde.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 32.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
bénévolement

Alors, Raban eut l’impression qu’il surmonterait encore cette longue et pénible épreuve des deux prochaines semaines. Car ce ne sont que deux semaines, c’est-à-dire un temps limité, et si les contrariétés ne cessent de grandir, le temps n’en diminue pas moins pendant lequel il faut les supporter. C’est pour cela, sans aucun doute, que le courage augmente. « Tous ceux qui veulent me faire souffrir et qui ont maintenant occupé entièrement l’espace qui m’entoure, tous ceux-là seront peu à peu refoulés par ces jours qui expirent bénévolement, sans que j’aie le moins du monde à leur venir en aide. Et je puis être faible et silencieux, comme il m’arrivera naturellement de l’être, je puis les laisser faire de moi tout ce qu’ils veulent, les choses s’arrangeront quand même, grâce à ces seuls jours qui passent. »

Franz Kafka, « Préparatifs de noce à la campagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 83.

David Farreny, 19 nov. 2011
soie

Jeune Italienne dont le visage, juif dans l’ensemble, devenait non juif vu de profil. Comment elle se levait, appuyait les mains sur l’appui de la fenêtre de telle sorte que seul son corps mince, privé de l’ampleur des bras et des épaules, était visible ; comment elle étendait les bras vers les montants de la fenêtre, puis se tenait des deux mains à l’un des montants, comme à un arbre dans un courant d’air. Elle lisait une brochure policière que son petit frère lui demanda longtemps en vain. Son père, assis à côté d’elle, avait un nez fortement recourbé, tandis que le sien, au même endroit, suivait une courbe plus douce, donc plus juive. Elle me regardait fréquemment, par curiosité, pour voir quand je cesserais de l’importuner de mes regards. Sa robe était en soie brute.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 50-51.

David Farreny, 7 oct. 2012
faire

Je ne vois pas ce que je pourrais faire de moins.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (4) », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, p. 77.

David Farreny, 8 juil. 2014

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