Je vois mon cortex.
Georges Perec, « Rêve n° 64 : l’os », La boutique obscure, Denoël.
Celui qui n’a rien n’est pas content.
Stéphane Mallarmé, « Thèmes anglais », Œuvres complètes, Gallimard, p. 1101.
Ce fut une épopée de géants. Nous la vécûmes en fourmis. Nous triomphâmes ainsi. Succès par la porte basse.
Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 190.
C’est curieux, malgré tout : jadis, « elle aimait la toilette », comme disait sa tante La Bohal ; lui adorait cette expression, il s’en souvient. « Et elle la porte à merveille ! » À merveille. Et aujourd’hui encore, si elle voulait, si elle pouvait : mince, donc, assez haute taille, les cheveux courts, ce beau visage un peu long, un peu maigre, où l’orbite du regard fait au-dessus des paupières une zone que l’ombre investit plus profond, certains soirs ; et cette ombre en arrière de ses cils, c’est le lieu même de la tendresse qu’il a pour elle, songe-t-il, quand il y songe.
Renaud Camus, L’épuisant désir de ces choses, P.O.L., p. 21.
Passez nuages
pauvres heures
grosses nuées porteuses
de crépitantes
gifles froides
défilez
indigentes journées
années lugubres
périclitez
projets infimes
sombrez
passions naines
étiolez-vous
désirs
et surtout ne revenez
jamais
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 8.
C’est sur un fond incertain, fallacieux, comme la tourbe au creux des combes, que s’avance la réalité quand, d’aventure, elle consent à se manifester et l’on tremble qu’elle ne nous quitte. On ne connaît pas vraiment la paix.
Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 46.
— On frappe. Il n’ouvre pas. On bousille sa porte. On entre. On fouille partout. On s’explique pas.
— On dit rien. Rien.
— Ou bien on frappe, il ouvre, on lui demande une fois où est le fric, il le donne, on repart.
— Il le donne pas. On le massacre. Il le donne. On repart.
Pétapernal fit une moue. Mandex la modéra, dit en tout cas, on s’explique pas.
Ils n’avaient pas envie de se répéter ni de développer les faits que Papantoniou connaissait parfaitement. Pas les prendre pour des idiots. Ils avaient, de concert, défini une ligne de conduite qui se résumait à être bien dans toutes les situations. Faut qu’on soit bien. Quand ils se répétaient être bien, la tranche de leur main fendait l’air pour partager des plans de symétrie, bloquer des faits en volumes. Ne se chevauchaient que les projets. La peau, également, de leur front, se tendait. L’absence de rides épousait le rivage d’un bien souhaité. Le visage lisse, déserté de soucis, Mandex enfonça le bouton de sonnette d’un index net. Bien, oui, voilà. On fait ça, on appuie sur le bouton de sonnette, on n’est pas autre part. on n’hésite pas. on ne s’en parle pas. on ne se dit pas je fais ci, je fais ça, on le fait. Oui.
Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 54.
À l’école, la nonne nous a dit que ça durerait pour l’éternité, a-t-elle continué en enlevant la peau de sa truite. Et quand nous avons demandé combien de temps durait l’éternité, elle a répondu : « Pensez à tout le sable de l’univers, toutes les plages, toutes les carrières de sable, le fond des océans, les déserts. À présent, imaginez tout ce sable dans un sablier, comme un gigantesque minuteur. Si un grain de sable tombe chaque année, l’éternité est la longueur de temps nécessaire pour que tout le sable du monde s’écoule dans ce sablier. » Rendez-vous compte ! Ça nous a terrifiées.
Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 19.
La conscience de l’inconscience de la vie est l’impôt le plus ancien que la vie ait connu.
Fernando Pessoa, « 13 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.
Et c’est un vrai printemps qui est venu, terriblement jeune. Il resplendit avec trop d’éclat pour nos yeux.
Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 22.