autrement

Musique, merveille qui sûrement précéda le feu. On en avait autrement besoin.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 365.

David Farreny, 13 avr. 2002
infime

On sent bien, à l’hystérie du public, lorsqu’un crime particulièrement épouvantable a été perpétré, qu’un enfant a été violé et assassiné, par exemple, ou bien, en sens inverse, à son indulgence, voire à son approbation, lorsqu’un propriétaire a tué un cambrioleur, on sent bien, alors, que la civilisation n’est qu’une lamelle d’une infime épaisseur, et que si quelques obstinés n’étaient pas là pour la protéger, les réactions naturelles de la majorité auraient tôt fait de la briser.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 88.

David Farreny, 14 avr. 2002
ménage

Combien souvent en ces heures interminables, quoique courtes en fait, de l’expérience du terrible décentrage, combien souvent n’a-t-il pas songé à ses frères, frères sans le savoir, frères de plus personne, dont le pareil désordre en plus enfoncé, plus sans espoir et tendant à l’irréversible, va durer des jours et des mois qui rejoignent des siècles, battus de contradictions, de tapes psychiques inconnues et des brisements d’un infini absurde dont ils ne peuvent rien tirer.

Il sait maintenant, en ayant été la proie et l’observateur, qu’il existe un fonctionnement mental autre, tout différent de l’habituel, mais fonctionnement tout de même. Il voit que la folie est un équilibre, une prodigieuse, prodigieusement difficile tentative pour s’allier à un état disloquant, désespérant, continuellement désastreux, avec lequel il faut, il faut bien que l’aliéné fasse ménage, affreux et innommable ménage.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 96.

David Farreny, 21 oct. 2005
écoute

Mais le mal répondait, il répondait comme le mal, d’une voix tonitruante qui n’écoute rien.

Le souffle, où était le souffle ?

Mon œuf seulement écoutait le monde. Seulement mon œuf absorbait encore le monde…

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.

David Farreny, 9 nov. 2005
calcinés

Mais c’est contre les enseignements de mon expérience que je postule une règle au jeu, contre l’évidence que j’imagine une fin — c’est la même chose, au bout du compte, et on s’empresse de l’oublier pour reprendre la partie. De même pour le bâillement, le sourire qu’on devine quand on a sorti de la malle des grimaces, des mots qui pourtant ne prêtent pas à rire. Il y a sans doute un agacement mesuré, une mine (qui traînent, eux aussi, dans la malle) calculés pour frapper d’un léger discrédit les faiblesse de la treizième année, ce dont s’avise le bonhomme qui en a presque quinze et qui entreprend derechef de sortir les affiquets ad hoc. […] Si loin que mon regard porte, je n’aperçois que lambeaux tailladés, débris calcinés sur le chemin des âges traversés, sept ans, onze, quatorze.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 26.

Élisabeth Mazeron, 2 juin 2010
nous

C’est ainsi que j’appris la différence entre pas égal, son égal, mesure égale. Marcher avec d’autres au même pas, fût-ce avec un seul autre, m’avait toujours été insupportable ; j’étais obligé de m’arrêter aussitôt, ou d’accélérer, ou de m’écarter ; même quand je me déplaçais au rythme de mon amie, je nous voyais comme deux êtres sans âme marchant contre le monde. Et quelque chose comme un unisson m’était impossible ; si c’était l’autre, et pas seulement pour chanter, qui me donnait la note, j’étais hors d’état de la reprendre, de la redoubler, de la poursuivre ; même quand, à l’inverse, c’était l’autre qui adoptait ma tonalité, j’étais interrompu sur le champ ; seule la dissonance de la dispute à laquelle cela me poussait en général me préservait du mutisme (aussi bien l’origine de la dispute était-elle souvent que mon amie disait « nous » en parlant de nous deux, un mot qui se refusait à franchir mes lèvres).

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 98.

Cécile Carret, 8 sept. 2013
traînées

Aux approches de Paris, on plonge dans l’innommable, des traînées sales, brouillards jaunâtres, hydrogène sulfureux, nuées d’ypérite, flaques de naphte, mares de phosgène, grumeaux de bitume. Par un renversement de l’ordre ptoléméen, nous retombons dans la sphère de Saturne dont nous avions cru, durant le vol, nous être libérés. Pesanteur et goût de plomb. L’œuvre au noir n’a pas fonctionné. Et le minium, couleur d’aurore, n’a pas réussi sa cristallisation.

Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 147.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
de

Ils ont de ces gueules.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (4) », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, p. 76.

David Farreny, 8 juil. 2014
épuisé

Notre psychologie finira par s’immobiliser pour devenir un matérialisme subtil, car nous avons toujours plus à apprendre d’un côté, celui de la matière, et de l’autre, nous avons épuisé toutes les possibilités.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 300.

David Farreny, 20 fév. 2015
licite

On peut attaquer un philosophe, polémiquer avec n’importe qui. S’en prendre à un écrivain est beaucoup plus grave. Je ne peux pas tomber sur un écrivain (mort ou vivant) comme je tomberais sur n’importe qui. Il y faut une loi. L’attaque d’un écrivain devient licite dès lors qu’il se conduit en thérapeute social, en médecin du monde, guérisseur sans frontières.

Philippe Muray, « 17 avril 1982 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 166.

David Farreny, 2 mars 2015

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