mobiles

Il y aura un plaisir supplémentaire à triompher et à s’enivrer de ce dont la plupart s’ennuient. Pour lire les Classiques, tous les mobiles sont bons, car ils ne trompent, n’abusent, ni ne déçoivent ; on peut donc déjà recommander de les lire par vanité.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 57.

David Farreny, 11 sept. 2004
poussée

Parfois je me dis ça. Je me dis que je veux vivre. Je suis vivant. On a parfois la forte sensation d’être en vie. Parfois on se dit qu’on veut vivre. C’est ça qu’on veut. On sent que la vie nous pousse à le dire. À dire qu’on est vivant. Car on sent la poussée de la vie dans la phrase.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., p. 40.

David Farreny, 28 déc. 2005
niveau

L’aspect de Philadelphie est monotone. En général, ce qui manque aux cités protestantes des États-Unis, ce sont les grandes œuvres de l’architecture : la Réformation jeune d’âge, qui ne sacrifie point à l’imagination, a rarement élevé ces dômes, ces nefs aériennes, ces tours jumelles dont l’antique religion catholique a couronné l’Europe. Aucun monument, à Philadelphie, à New York, à Boston, ne pyramide au-dessus de la masse des murs et des toits : l’œil est attristé de ce niveau.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 236.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
affleure

N’importe : tout ce qu’affleure et que nomme la littérature est sacré, jusqu’au moindre bout de trottoir que la phrase une seule fois a touché de sa grâce (et le grenadier qui s’échappe).

Renaud Camus, « lundi 21 avril 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 288.

David Farreny, 3 juin 2009
transparence

Ainsi la métaphore, dès lors qu’elle s’impose en usage, se mue en cliché, en stéréotype qui est la glu de la langue ; le stéréotype colle les mots à leur signification courante dans une expression repliée sur elle-même, il les entrave au point qu’on ne les entend plus, réduits qu’ils sont à la transparence de spectres sonores. Ce mouvement mortifère nie du même coup toute possibilité concrète d’existence dans les représentations collectives autant qu’individuelles de l’émotion particulière que le cliché prétendait exprimer mais qu’il enferme dans cette camisole de l’expression : la transparence des mots qu’il provoque entraîne de facto la transparence de ce qu’ils signifient, et en premier lieu l’émotion, au seul profit de l’ordre collectif, qui raffole des émotions, mais ne les tolère que dirigées et programmées (qu’elles soient religieuses, nationalistes ou médiatiques).

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 19.

Cécile Carret, 26 août 2009
blatéra

Un cyclone atypique.

C’était difficile à expliquer sans utiliser de termes.

Un cyclone, disons.

Ce qu’on avait pu observer, c’était des sortes de prémices.

À côté, le cyclone aurait une puissance, comment donner un ordre d’idée ?

Olaf le savait, on n’était pas dans une zone à cyclone. Bien. Mais là.

Bref, un cyclone.

Maintenant, dans combien de jours ? Combien de semaines ?

Un cyclone se déplace à la vitesse de.

Le plus souvent, du moins, parce que celui-ci.

La météo sur les dents, suivre ça sur les écrans, calculer la trajectoire.

Ne rien dire tant qu’on n’est pas sûr. Rien n’est prévu pour les cyclones sous nos latitudes.

Il se leva, tourna dans le peu d’espace libre, mains dans les poches, sourire. Il va falloir arrimer, prévint-il. Tout arrimer, nous avons vécu trop longtemps dans l’idée que l’air était calme. L’air n’est pas calme. Nous autres, météorologues, nous avons cette connaissance du désordre de l’air. Les nuages sont loin, n’est-ce pas, les nuages ne sont pas là, le soleil non plus, la lune non plus. Et pourtant, quelquefois.

Il sourit avec admiration.

Quelquefois, cyclone.

Il attrapa un éléphanteau luisant. J’ai déjà vu un ou deux cyclones, dans ma vie, à l’époque où je voyageais. Mon père aussi voyageait beaucoup. Ce petit objet vient de là-bas, et cet autre, et toute cette collection sur l’étagère. Mes parents nous ont fait beaucoup de cadeaux. Ils rentraient de voyage, ils ouvraient le coffre, ils disaient devinez ce qu’on rapporte. Et hop, hop, les cadeaux. Ça finit par s’entasser.

Il blatéra de rire.

La gueule, hoqueta-t-il, la gueule de mon chef quand je suis entré dans son bureau en disant cyclone. Mon chef est à trois mois de la retraite. J’entre dans le bureau, je sors le schéma, je lui mets ça sous le nez, je dis cyclone. La gueule ! La gueule !

Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 96.

Cécile Carret, 27 août 2009
moi

Je m’efforçais donc, ramassant en moi toute la tension de ma volonté et toute la puissance de mes muscles, de me porter en avant vers quelque chose. Mais cette direction du désir, créatrice de l’avant et de l’arrière, de l’avenir et du passé, échouait ici avant même d’être entrée dans la voie de son expression. En avant ne signifiait proprement rien. Vers quelque chose était, en soi-même, inconcevable. Ce qu’il y avait, c’était moi, tout seul et sans raison — une pure capacité de crier et de tomber, de crier en tombant. Mais j’étais, en vérité, muet et immobile.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 31.

Élisabeth Mazeron, 6 mars 2010
sac

On dispute à l’obscurité, au froid, à la facilité qu’il y aurait à ne pas se soucier de savoir le peu de chaleur, la médiocre clarté qu’enferme un sac de peau. On repousse l’invite de la terre qui n’arrête pas de nous tirer à elle, de vouloir de toute sa masse qu’on abandonne, qu’on s’affale comme un sac, inerte, oublieux, chose étendue parmi les choses étendues dont sa surface est jonchée.

Mais il y a le temps, la coulée diaphane où dérivent les choses, où tournoient la neige, les soleils, où nous aurons passé, tous, mais successivement, le second en premier lieu, puis le premier quand un enfançon s’ébroue dans la lumière. Et ça, on n’est pas de force à s’y opposer, aurait-on la puissance de cent mille chevaux, la hauteur des collines, des siècles à durer.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, pp. 162-163.

Élisabeth Mazeron, 18 juin 2010
bastions

Je mourrai probablement silencieux, entouré de silence, presque dans la paix et j’envisage cette fin avec sérénité. Comme par méchanceté, le destin nous a donné en partage à nous autres chiens un cœur d’une admirable vigueur, un poumon qu’on ne peut user avant l’heure ; nous résistons à toutes les questions, même aux nôtres. Des bastions de silence, voilà ce que nous sommes.

Franz Kafka, « Les recherches d’un chien », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 688.

David Farreny, 27 déc. 2011
genre

J’ai pris plusieurs poupées non peintes et non montées. Pour 10 dollars une demi-douzaine. C’est un monde à part qui n’entre pas dans un système de comparaisons. C’est pourquoi au sujet de ces poupées on ne se demande pas si on aime le « genre » ou pas : on les voit, on les emporte.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 125.

Cécile Carret, 28 juin 2012
genre

Tous ceux que tu délaisses t’accusent d’inhumanité.

Ils croient qu’il suffit d’être quitté pour devenir le genre humain.

Philippe Muray, « 6 janvier 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 13.

David Farreny, 23 fév. 2024

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