reliquats

Je ne suis pas très satisfait de cette lettre. Ce ne sont que les reliquats d’une très intense conversation secrète.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 105.

David Farreny, 23 mars 2002
adieu

Ces géantes sans doute sont débonnaires, mais leur humeur est changeante, leurs nerfs faibles. Facilement vexées, voyant rouge, sûres d’ailleurs de l’impunité, elles vous arrachent dans un moment de cafard, elles vous arrachent la tête sans barguigner comme à un jeune hareng… et adieu longue vie.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 102.

David Farreny, 13 avr. 2002
cependant

Les Bures arrivés à l’âge adulte n’ont plus que peu de dents bonnes. La gabèdre en est cause. Cette larve active se loge volontiers dans la racine d’une dent, l’insensibilise, la creuse, et d’une dent saine en deux mois fait une morte.

L’homme ne s’inquiète pas, confiant dans l’aspect habituel de sa bouche. Cependant ses dents sont mortes.

Henri Michaux, « En marge d’Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 136.

David Farreny, 13 avr. 2002
biais

Ce n’est pas tant Antoine que j’ai aimé que l’amour, que moi l’aimant. Rien de très surprenant dès lors à ce qu’il ne m’ait rien renvoyé. Il ne recevait de moi qu’un désir un peu agressif muré dans le silence. Je ne l’ai jamais aimé plus que moi-même. Je le voulais à mes côtés comme un défi au temps, au lieu et aux hommes. Je touchais là, je suppose, les limites de ma connaissance, j’envisageais le monde de biais.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 101.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
défaut

Veuillez ne pas régler mon visage

Le défaut est en moi

Ma bouche est une forêt après l’incendie

Mon cœur un petit squelette de poisson

Elles sont belles ces cicatrices

C’est mon visage

La mort est le récit de la mort

La tête qui tombe de la guillotine pense

«  Ce n’est qu’un instant  »

L’animal blessé fuit et la mort court à ses côtés

Ensuite c’est la monotonie intense

Tel un disque rayé

rayé

rayé

Jerzy Skolimowski.

David Farreny, 15 fév. 2010
optimates

À vrai dire, pour créer un tel équilibre, il fallait un esprit aussi libre que l’était frère Othon. Il avait pour principe de traiter les hommes qui nous approchaient comme autant de rares trouvailles découvertes au fil d’un long voyage. Il aimait aussi nommer les hommes les optimates, signifiant par là que tous autant qu’ils sont, ils forment l’aristocratie naturelle de ce monde et que chacun d’eux peut nous apporter l’excellent. Il les concevait comme des réceptacles du merveilleux, et, créatures suprêmes, il leur accordait des droits princiers. Et réellement, je voyais tous ceux qui l’approchaient s’épanouir comme des plantes qui s’éveillent du sommeil hivernal, non point qu’ils devinssent meilleurs, mais parce qu’ils devenaient davantage eux-mêmes.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 28.

Cécile Carret, 27 août 2013
grise

À peine peut-on se dire qu’on est loin, cela grise quelques minutes pendant lesquelles on voit ou croit voir les choses neuves d’un œil neuf : c’est un leurre, un malentendu, car c’est moins une région que l’on découvre que son nom, c’est lui qu’on parcourt plutôt qu’elle. On s’admire surtout de l’occuper, d’arpenter les syllabes exotiques de ce nom plutôt que les panoramas du pays lui-même, qui devient vite à vrai dire un bled comme un autre où l’on ne pense bientôt plus qu’à retourner dans le sien, rentrer chez soi où l’on sait bien aussi d’ailleurs qu’on ne sera pas mieux, bref on n’est guère avancé.

Jean Echenoz, « Génie civil », Caprice de la reine, Minuit, p. 63.

Cécile Carret, 26 avr. 2014
situation

J’ai la rime – yack et kayak –, il me reste à trouver le lieu et la situation.

Éric Chevillard, « mercredi 10 février 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 mars 2016
tenter

J’ai regardé la vache et la poule et je me suis dit qu’il n’aurait pas été inintéressant, tout de même, après si longtemps, de les voir tenter autre chose.

Éric Chevillard, « mercredi 15 novembre 2017 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 25 fév. 2024
mince

Si j’étais différent, me dis-je, ce serait là un jour heureux, car je l’éprouverais sans réfléchir. Je terminerais avec un plaisir anticipé mon travail normal — celui-là même qui est tous les jours pour moi d’une monotonie anormale. Je prendrais l’autobus pour les faubourgs de Benfica, en compagnie de quelques amis. Nous dînerions parmi les jardins, en plein soleil couchant. Notre gaieté serait partie intégrante du paysage, et reconnue comme telle par tous ceux qui pourraient nous voir.

Malgré tout, comme je suis moi, je tire quelque plaisir de ce mince plaisir de m’imaginer comme étant cet autre. Bientôt, ce lui-moi, assis sous un arbre ou une tonnelle, mangera le double de ce que je peux manger, boira le double de ce que j’oserais boire, rira le double de ce que je pourrais jamais rire. Bientôt lui, maintenant moi. Oui, pendant un instant j’ai été différent : j’ai vu, j’ai vécu en quelqu’un d’autre ce plaisir humble et humain d’exister comme un animal en manches de chemise. Grand jour, assurément, que celui qui m’a fait rêver de la sorte ! Jour sublime et tout pétri d’azur, comme mon rêve éphémère de me voir en employé de bureau plein de santé, passant je ne sais où une bien agréable soirée.

Fernando Pessoa, « 34 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

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