Que je le dise enfin […] : n’importe quel caillou, par exemple celui-ci, que j’ai ramassé l’autre jour dans le lit de l’oued Chiffa, me semble pouvoir donner lieu à des déclarations inédites du plus haut intérêt. Et quand je dis celui-ci et du plus haut intérêt, eh bien voici : ce galet, puisque je le conçois comme objet unique, me fait éprouver un sentiment particulier, ou peut-être plutôt un complexe de sentiments particuliers. Il s’agit d’abord de m’en rendre compte. […] Il ne s’agit pas tellement d’en tout dire : ce serait impossible. Mais rien que de convenable à lui seul, rien que de juste. Et à la limite : il ne s’agit que d’en dire une seule chose juste. Cela suffit bien.
Me voici donc avec mon galet, qui m’intrigue, fait jouer en moi des ressorts inconnus. Avec mon galet que je respecte. Avec mon galet que je veux remplacer par une formule logique (verbale) adéquate.
Francis Ponge, « My creative method », Méthodes, Gallimard, p. 23.
Il n’est pas aujourd’hui, dans la commune, un habitant sur dix pour y avoir vu le jour. Cette banlieue n’est plus offerte qu’au sommeil. On s’y presse de très loin pour y dormir la vie.
Renaud Camus, L’élégie de Chamalières, P.O.L., p. 66.
Je retenais mon pas malgré la canicule. Les murs réverbéraient la chaleur qu’ils avaient absorbée depuis le début de la matinée. Le silence était celui, légèrement caverneux, chargé d’échos, des nécropoles. Il soulignait encore l’absence de la rumeur habituelle, comme les rues évacuées, les magasins fermés, les janissaires absentés. Peut-être est-ce alors que j’ai connu le bonheur le plus pur, s’il réside moins dans la possession d’une chose quelconque que dans la disparition de toutes celles qui traversent continuellement notre naturel penchant.
Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, p. 53.
La mort est claire dans le ruisseau
et sauvage dans la lune
et claire
comme le soir venu l’étoile frémit
étrangère devant ma porte
la mort est claire
comme le miel en août
aussi claire est cette mort
et elle m’est fidèle
quand arrive l’hiver
oh Seigneur
envoie-moi une mort
que j’aie froid
et que la langue me vienne dans la mer
et près du feu
Seigneur
La mort dans la nuit attaque le tronc d’arbre
et le sommeil de quelques merles
dans les obscurités.
Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer, La Différence, p. 63.
Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature : celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement.
Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 205.
Une autre solitude serait-elle possible ?
Éric Chevillard, « mercredi 8 juillet 2020 », L’autofictif. 🔗