nihilisme

Le nihilisme paysan : à mesure qu’on avance vers le Danube, le nihilisme s’épaissit. Le nihiliste du Caucase, celui des hauts plateaux ensuite.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 50.

David Farreny, 1er janv. 2006
scruté

Lorsque j’étais enfant j’aimais tellement une chienne, devenue vieille et malade, que j’avais passé avec Dieu un contrat pour sa protection : Il la maintiendrait en vie aussi longtemps que je dirais chaque nuit neuf neuvaines. Mais il ne s’agissait pas de prononcer automatiquement et à toute vitesse les mots du Notre Père et du Je vous salue. Il fallait au contraire se pénétrer de chacun d’eux, s’interroger sur son sens, je dirais presque le réaliser, au sens même dont s’accommodent les puristes, c’est-à-dire le rendre réel, le citer à comparaître, l’examiner en chacun de ses tenants et de ses aboutissants, sous tous ses angles et tous ses aspects, en la moindre de ses possibles hypostases. Tâche épuisante, on s’en doute, et qui ne saurait être menée à bien. À sonder seulement le Notre de Notre Père, une vie ne suffirait pas. Ne parlons pas du Je de Je vous salue.

D’ailleurs ma chienne mourut. J’étais partagé entre le scrupule de n’avoir pas suffisamment creusé le sens et scruté la réalité de règne, de volonté, de contrition, de pain, et l’amertume à l’égard du Seigneur. Tantôt je m’accusais de n’être pas allé au bout de mes examens, et de m’être assoupi sur eux plus d’une fois ; tantôt je L’accusais Lui de n’avoir pas tenu Ses engagements. Sur Sa parole ne tarderaient pas à venir des doutes, et bientôt sur Sa personne même, puis sur la parole en général.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 55.

David Farreny, 5 mai 2009
voix

Une voix humaine qui ne soit pas psittacisme, aussi rare que le bruit d’une averse au Tanezrouft.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 45.

David Farreny, 17 juin 2009
reconquête

Ce que je préfère : qu’on me fiche la paix. En cela le mail a été une grande avancée par rapport au téléphone. Je n’ai pas de portable, presque tout ce qui importe passe au quotidien par des messages écrits, silencieux, que je lis quand j’en ai envie. Le mail a été une reconquête du silence.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 76.

Cécile Carret, 4 mars 2010
trace

La conversation de la vieille M. est pleine d’épaves qui flottent. Du bon vieux chic, des expressions de gouvernante anglaise du début du siècle, du vocabulaire technique ou sportif d’amants qui ont disparu sans laisser d’autre trace, de l’argot vieilli ; des traces de divers passages dans des couches sociales traversées.

Paul Morand, « 29 décembre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 691.

David Farreny, 23 sept. 2010
silence

Ils bavardent un moment, mais le silence s’installe car ils ne trouvent plus rien à dire. Malgré son envie de caler ses pieds sur le tableau de bord pendant qu’elle conduit, Guthrie les garde sur le plancher et fume des cigarettes, baisse la vitre, en espérant que la brise dissipera sa nervosité. Puis le silence change comme il le fait quelquefois, et ils sont très bien sans parler. Ils regardent juste les panneaux et les hautes tiges de maïs qui oscillent de chaque côté de la route, l’éclat du soleil blanc sur le capot.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 104.

Cécile Carret, 23 déc. 2010
véritablement

Le développement attribué à la Terre n’a pas l’être plénier et sûr d’un présent : les membres de l’individu géologique universel n’offrent pas empiriquement un processus de production et reproduction de celui-ci, comme c’est le cas chez l’individu biologique singulier.

Le processus que le concept affirme de la Terre, comme identité organisée de ses différences, n’est, en effet, nécessaire que comme conceptuel, non pas comme empiriquement réel, et, donc, temporel. […] La géognosie lit ainsi dans la disposition actuelle des roches « les terribles vestiges d’une effroyable cassure et destruction », l’effet de « révolutions majeures » ayant frappé autrefois le globe, ce qui fait dire que « l’histoire a affecté la Terre dans les premiers âges ». […] Ce qui importe, s’il y a une telle histoire passée des révolutions du globe, c’est qu’elle n’est plus, car seul est vraiment ce qui est présent ; ce qui n’est qu’à avoir été n’a jamais été véritablement […] : « L’histoire a affecté la Terre dans les premiers âges, mais, maintenant, elle est parvenue au repos : c’est là une vie qui, en fermentation au-dedans d’elle-même, avait, en elle-même, le temps, — l’esprit de la Terre qui n’était pas encore parvenu à l’opposition, — le mouvement et les rêves d’un être endormi, jusqu’à ce qu’il soit éveillé et ait obtenu sa conscience dans l’homme, et qu’il soit ainsi venu se faire face à lui-même comme une paisible configuration ».

Bernard Bourgeois, « Le concept du développement de la nature », Présentation de la «  Philosophie de la nature  » de Hegel, Vrin, pp. 39-40.

David Farreny, 24 janv. 2011
copeaux

Des copeaux recouvrent le sol, boucles ondulées, aériennes, ce sont les cheveux crépus de la planche, dirait-on, les rêves feuillus de l’arbre mort.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 71.

Cécile Carret, 12 juin 2013
comprendre

Apprendre plein de choses (les coefficients stœchiométriques, la philosophie d’Alain Badiou) diminue d’abord l’angoisse (car on a l’impression de mieux comprendre le monde) puis l’augmente (car on réalise qu’on ne comprend rien, et peut-être pis encore, qu’il n’y a rien à comprendre).

Olivier Pivert, « Connaissance de Montcuq (et alentours) », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
activiste

Fin des années soixante-dix, l’agitation bat encore son plein et j’ai toujours du mal à me secouer. Pendant qu’on défile dans les rues, j’erre, désœuvré, dans les allées des librairies. Là aussi la contestation occupe les rayons. S’y étalent pêle-mêle la libération orgasmique, l’émancipation féminine, l’anti-psychiatrie, l’anti-impérialisme, ou encore la revendication de droits pour les minorités de toutes sortes, ethniques, culturelles, sexuelles. En feuilletant ces manifestes en faveur de tant de causes, j’ai confirmation que la mienne demeurera indéfendable. Quel intellectuel apportera sa caution à un activiste de la sieste ?

Frédéric Schiffter, « Debord existe, moi non plus », Le philosophe sans qualités, Flammarion.

David Farreny, 26 mai 2024

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