feuilletés

Non que je sois prêt à me convertir à ce point de vue, pas du tout. Mais je n’ai de points de vue que feuilletés, stratifiés de contradictions qui sont les points de vue des autres, ceux que je leur connais et ceux que je leur suppose, et mes propres points de vue anciens, dépassés, certes, mais non pas abandonnés pour autant. Et rien n’empêche, à considérer en moi ce millefeuille de l’opinion et du regard, de lui imaginer des étages à venir, qui seront mes points de vue de demain, plus contradictoires encore, plus libéraux, mieux enrichis de leurs strates constitutives, plus généreux et plus impérialistes.

Renaud Camus, « samedi 6 août 1994 », La campagne de France. Journal 1994, Fayard, p. 259.

David Farreny, 21 mars 2002
trop

La « bien-pensance » n’est pas une « mal-pensance » qu’on appellerait ainsi par antiphrase. La bien-pensance pense bien, ce point est absolument acquis. Mieux vaut mille fois, s’il faut qu’une pensée règne, que ce soit elle qui règne plutôt que la mal-pensance. La bien-pensance pense vraiment bien. La bien-pensance a raison. Seulement l’obscène, si je puis me répéter (je ne me suis guère gêné jusqu’à présent), l’obscène c’est d’avoir trop raison. La bien-pensance a trop raison.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 260.

David Farreny, 19 mai 2002
modestie

La maman évita soigneusement le centre de Poitiers et, songeant qu’il était dans la constitution sociale et mentale de nos familles d’habiter toujours la plus navrante lisière des villes, je nous revis, quelque six ans plus tôt, parcourir dans cette même voiture les petites rues droites, grises et délabrées, toujours étrangement vides, le long des maisons étroites dénuées de balcons, de volets ou de pensées aux rebords de leurs fenêtres, les rues silencieuses, consternées, des faubourgs de Poitiers, jusqu’à la maison de la maman, avec son crépi gris, abrutie de torpeur et de modestie.

Marie NDiaye, La sorcière, Minuit, p. 103.

David Farreny, 13 mars 2005
gît

Par

1 000 m de fond

l’émerveillement gît

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 22.

David Farreny, 20 août 2006
égaré

Égaré dans ces images de maisons basses et d’étoiles, j’aperçus tout à coup un avion – un garçon, les bras tendus en ailes, vrombissant comme un supersonique, qui tournait, virevoltait, atteignit une petite place, devint automobile, gronda, actionna ses leviers, saisit son volant, fit, d’une grosse voix muée, rugir son moteur et, les poings en pare-choc, freina brusquement devant une autre voiture pour pisser contre.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 22.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
mendiant

Le vrai mendiant d’amour (c’est-à-dire le véritable angoissé) ne veut pas être aimé à cause, mais malgré.

Renaud Camus, « lundi 30 novembre 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 512.

Élisabeth Mazeron, 29 avr. 2010
frime

Quand on a écrit La Comédie humaine, on sait que ce n’était rien, la littérature : seulement cette frime nocturne, ces larmes qu’on s’arrache, ce putsch de l’incipit et ce vouloir qui vous tire en avant, vers la fin, ce corps qu’on troue de caféine, cette espérance mortelle.

Pierre Michon, « Le temps est un grand maigre », Trois auteurs, Verdier, p. 30.

Élisabeth Mazeron, 2 juil. 2010
rien

Le rien défini comme pure absence de choses porte un autre nom, l’effroi ou le vertige. Le rien est donc plutôt le refus des choses après examen. Un examen succinct, dégoûté, un examen malgré tout, une estimation. Non, non, non et non, dit le rien, sans passion, sans colère, mais une fermeté que l’on n’attendrait pas d’une notion aussi lâche. Non, c’est non. Et il n’y a pas de mais.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 43.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
amoureux

Ce matin, un instant de paix délicieuse, de chaleur, de détente, en m’éveillant. Après un moment de plaisir profond, j’ai pensé : C’est des moments comme celui-ci que quelque chose de divin, peut-être seulement d’amoureux, se manifeste, mais c’est si simple que je ne suis pas capable de le reconnaître.

Henry Bauchau, Jour après jour. Journal d’« Œdipe sur la route » (1983-1989), Actes Sud, p. 146.

Bilitis Farreny, 26 août 2011
voyance

La seule voyance : le regard épanoui librement dans ce qu’il contemple. Arbres.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 181.

David Farreny, 2 avr. 2013
seul

Oui, à quel point on se retrouve vite seul à ouvrir une porte de chambre, à ouvrir une fenêtre, à s’engager sur un chemin latéral !

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 75.

Cécile Carret, 21 juil. 2013

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