cibles

Ce sont des phrases, effectivement. Il n’y a pas de pensées, je cours après des unités sonores, des phrases que j’ai pensées qu’il serait bien d’avoir pour cibles. Le texte se déroule vers ces chutes comme vers des cibles.

Pierre Michon, entretien avec Marianne Alphant au centre Georges-Pompidou, 28 mars 1996.

David Farreny, 20 mars 2002
satisfaisant

L’idée d’une maison faite pour que les gens se perdent est peut-être plus étrange que celle d’un homme avec tête de taureau, mais les deux s’ajoutent et l’image du labyrinthe convient à l’image du Minotaure. Il est satisfaisant qu’au centre d’une maison monstrueuse soit un habitant monstrueux.

Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Gallimard, p. 154.

David Farreny, 24 mars 2002
vieillesse

Voici que le soir tombe. J’ai déjà vu tomber ce soir-là quelque part, ou un soir qui lui ressemblait beaucoup ; était-ce à Prague ou à Eupatoria ?

On prépare un bain pour moi. Le bruit de l’eau chaude tombant dans la baignoire, la vapeur qui se répand font toujours passer en moi des images voluptueuses.

J’ai pris mon bain, et j’achève de dîner. Les plats étaient beaux à voir, avec leurs hautes cuirasses d’argent. Je suis content du maître d’hôtel.

Je ne sortirai pas, ce soir. Dehors, les réverbères sont déjà allumés. Je reconnais cette clarté du gaz italien dans la limpidité de la nuit italienne. Rien ne change, et la vieillesse du monde grandit sur moi.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 87.

David Farreny, 24 avr. 2007
guetteur

Vagabond à ses heures sorti faire un tour, suivant l’humeur et la saison, en quête de champignons, de charbon ou de mazout pour le poêle, de paysages à prendre en photos ou à imprimer seulement dans sa mémoire, de quelque chose ou de quelqu’un d’autre enfin dont l’absence intenable pousse à aller au dehors à la rencontre de gens à tout hasard disponibles. Guetteur mélancolique des nuages qui vont étoffant le ciel au-dessus des collines et des monts, au large des fenêtres, en un lent mouvement de bateau sur son erre, distribuant au gré de leurs déchirements des éclairages prodigieux sur le relief environnant. Promeneur sans raison à la limite, démuni et livré à lui-même, touchant à une forme de désarroi et d’extase sans mesure, dans l’abandon qui est le sien.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 32.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
modestie

À quoi bon ajouter son grain de sel à cet océan de mots ? Et pourquoi pas ? Et si la littérature était devenue affaire de modestie. On ne sait jamais. L’orgueil a de ces tours.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 11 mars 2008
nombrements

Il y a une frénésie des nombres dans notre monde occidental, une fièvre d’appliquer les nombrements à tout.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 47.

David Farreny, 11 mars 2008
gestes

J’ai vu par la suite qu’on pouvait tout connaître de nos affections hormis leur force, c’est-à-dire leur sincérité. Les actes eux-mêmes ne serviront pas d’étalon à moins qu’on n’ait prouvé qu’ils ne sont pas des gestes, ce qui n’est pas toujours facile.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, p. 60.

David Farreny, 31 déc. 2008
sauvé

Il n’en est pas de même pour mon compagnon de cellule, c’est un homme inflexible, un ancien capitaine. Je peux parfaitement me représenter sa disposition d’esprit. Il pense que sa situation ressemble à peu près à celle d’un explorateur polaire qui est pris sans espoir quelque part dans les glaces, mais qui sera certainement sauvé, ou plus exactement, qui est déjà sauvé, comme on l’apprend en relisant l’histoire des expéditions polaires. Et il s’ensuit le dilemme suivant : le fait qu’il sera sauvé est pour lui indubitablement indépendant de sa volonté, il sera sauvé tout simplement par le poids de sa personnalité triomphante, mais doit-il le désirer ? Qu’il souhaite ou non quelque chose, cela ne changera rien, il sera sauvé, mais reste à savoir s’il doit encore le souhaiter. C’est de cette question en apparence tellement étrangère au fond qu’il s’occupe, il la médite, il me l’expose, nous en discutons. Il ne comprend pas que cette manière de poser le problème scelle définitivement son destin.

Franz Kafka, « Pour dire la vérité… », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 608-609.

David Farreny, 21 déc. 2011
rapports

Qu’il faille s’aimer beaucoup, s’adorer, pour se supporter un peu, voilà qui condamne tous nos rapports.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 52.

David Farreny, 24 mars 2012
ouï-dire

(Sans doute l’enfance est-elle enchantée parce que tout ce qu’elle découvre s’est produit avant elle, avant la naissance, parce qu’elle observe les effets dont elle ne connaît les causes que par ouï-dire — et ainsi, en vieillissant, l’on pénètre la nature des choses, l’on voit les maisons se construire, les routes se dérouler sur les landes, les ponts s’élancer au-dessus des rivières, et, le progrès technique accélérant sa marche, dévorant le passé, on en vient à ne plus être entouré que d’objets, de décors, de paysages et d’êtres apparus au monde après nous, dont on a connu l’avènement puis l’ascension, auxquels on réserve cette familiarité qu’on ne témoigne pas aux dieux qui nous ont précédés et instruits.)

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, pp. 21-22.

David Farreny, 20 juil. 2014

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