vie

Elle lui prononça, dans la bouche, un mot magique et mystérieux qui résonna par tout son être. Il allait le répéter quand, à l’appel de son grand-père, il se réveilla. Il eût volontiers donné sa vie pour se rappeler ce mot.

Novalis, Henri d’Ofterdingen, Flammarion, p. 170.

David Farreny, 24 mars 2002
conjonction

« Je découvris une chair dont la blancheur faisait penser à du lait frais. Je plongeai mon regard entre ses fesses : l’endroit exhalait comme une odeur de musc. Saisissant alors un petit flacon d’eau de roses, elle en arrosa d’abondance les deux monticules, en ayant bien soin toutefois de ne pas mouiller le minuscule trou rond. »

Wahîba, fille de ’Oumayra, de la tribu de Taghlib, dont Ahmad al-Tîfâchî, auteur tunisien du XIIIe siècle, fait cette peinture charmante du postérieur dans Les délices des cœurs, professe que « la conjonction dans le fondement est le mât qui soutient la tente de l’amour passionné ».

Claude Guillon, Le siège de l’âme. Éloge de la sodomie, Zulma, p. 100.

David Farreny, 23 avr. 2006
comment

Feu. Feu. Feu incessamment répété.

Enfin s’interposant, la morphine place ses étouffoirs et je puis regagner ma coupole (si je puis dire) et un espace, libre de feu. Je m’y endors.

Réveil.

Le feu reprend.

Feu. Feu. Feu. Feu incessamment feu. Feu pour moi, pour moi tout seul brûlant.

Kermesse inepte qui veut qu’on s’intéresse à elle, quand moi je voudrais passer outre. Ainsi nous restons sans nous entendre, moi avec elle, criant comme une sourde.

Visite.

Paroles qui volent. Paroles qui veulent. Paroles qui ne peuvent me distraire des torrents de feu. Paroles qui dévalent… tandis que le feu, énorme feu… il faudrait ne pas participer. Oui, mais comment ?

Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 863.

David Farreny, 5 juil. 2006
nostalgie

Nostalgie de la femme : une nouvelle crise.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 109.

David Farreny, 24 avr. 2007
phrase

Dans le brassage des concepts il était de plus en plus difficile de trouver une phrase pour soi, la phrase qui, quand on se la dit en silence, aide à vivre.

Annie Ernaux, Les années, Gallimard, p. 222.

Élisabeth Mazeron, 23 mai 2008
rougit

Ce qui fait la dignité des êtres humains, c’est leur capacité à s’élever au-dessus des passions nées de l’égoïsme et à se placer sous l’empire de la loi morale. Il y a un abîme, autrement dit, entre le respect de soi et l’autosatisfaction. L’humanité n’est pas agréable : elle terrasse la présomption, elle humilie les penchants, elle est la part de nous-même qui rougit de nous-même. Or, scande l’époque, il ne faut plus avoir honte : la rougeur n’est pas l’afflux de l’humain, mais un symptôme pathologique.

Alain Finkielkraut, « Sauve qui peut le respect », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 252.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
cœur

Ces livres m’ont envoyé ailleurs, dans le corps et la voix de qui je n’étais pas et, ce faisant qu’ils fomentaient mon évasion, ils m’ont déposé au cœur de moi-même, procédant à une invasion salutaire, m’allouant cette chose toute simple dont on ne peut aucunement faire l’économie : la reconnaissance ; petit miracle que Charles Juliet résume d’un sublime trait de simplicité : « Le rôle de l’écrivain est de prêter à autrui les mots dont il a besoin pour accéder à lui-même. » Ces livres me devinaient, ils m’écrivaient et me donnaient droit de cité tout en mettant au jour une part commune. Je m’aventurais dans l’étranger pour finalement tomber sur moi-même, m’offrant d’aller dans une complexité à laquelle la dictature du divertissement généralisé a définitivement tourné le dos.

Arnaud Cathrine, Nos vies romancées, Stock, p. 11.

Cécile Carret, 4 oct. 2011
goût

Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature : celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement.

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 205.

Guillaume Colnot, 27 fév. 2013
nonobstant

Il lui dit : « On dirait que tu es doué pour inventer le mieux dans le pas génial. »

Nonobstant la brutalité de l’attaque, Dimitri est bouleversé par une telle franchise. En même temps, il se rend compte qu’il est homosexuel. C’est beaucoup pour une seule journée, heureusement que l’ascenseur est lent.

On les apercevra au loin, dans les semaines qui suivent, batifolant dans la campagne, escaladant les arbres, marchant délicatement sur l’eau des rivières.

Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 24.

Cécile Carret, 13 avr. 2013
lacune

                            Oui, pirates, baleiniers,

navigateurs tenaces du sensible,

n’ayant d’aucun destin à témoigner,

ont traversé ces mers accoutumées

dans l’anonyme flux des horizons,

traçant partout leurs routes — de fumées.

À peine un fin sillage de leur court

périple.

              Noms sur une pierre

                                                 encres

séchées sur un registre.

                                   Bref discours :

nés à…

              morts à…

                            perdus en mer…

                                                        Et une

date en regard de ces événements

fragiles feux follets d’une lacune,

pas même attestés par des témoins

de bonne foi, présents à ce scandale

d’apparitions et de disparitions

mystérieuses…

Benjamin Fondane, Le mal des fantômes, Verdier, p. 79.

David Farreny, 21 juin 2013
percé

Entre femme et homme depuis peu l’hostilité s’est installée. Hommes et femmes sont de nos jours sans exception brouillés. Moi, par exemple, depuis bien longtemps, c’est à peine si j’ai un ennemi — et, quant à moi, cela ne peut plus être le cas —, mais s’il y en a un, c’est une femme. Non seulement on ne nous aime plus, mais on nous combat. Et si l’amour entre en jeu il ne sert plus qu’à entretenir la guerre. Tôt ou tard la femme qui t’aime sera d’une façon ou d’une autre déçue par toi, et tu ne sauras même pas pourquoi. Elle t’aura, comme elle va l’expliquer, percé à jour, mais sans te dire en quoi elle t’a percé à jour. Et à aucun moment elle ne te laissera oublier que tu es percé à jour, car elle ne te laisse presque jamais seul, en tout cas bien moins qu’auparavant dans le jeu de l’amour. Elle est continuellement présente, c’est à peine si tu peux encore échapper au mal qu’elle pense de toi. Toi-même tu ne te penses pas en hâbleur, menteur et tricheur, et tu aimerais être un homme bon, comme à votre début. Mais tu es contraint de te voir comme tout cela dans et par ses yeux, qui à partir de maintenant ne te lâchent plus, et dans lesquels, quoi que tu fasses ou ne fasses pas, ce sera une confirmation de sa mauvaise opinion et de son amère déception. Fais ce que tu veux : tu es et restera celui qui est percé à jour.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, pp. 119-120.

David Farreny, 19 fév. 2014
ouvre

Mais, pour le lecteur, quelle aubaine, un écrivain qui a du style ! Voici enfin toute l’expérience humaine reformulée. Tout est neuf – pas trop tôt ! C’est un enfant qui nous parle et qui, de plus, connaît tous les mots. La fleur, l’oiseau, la mort, le cageot, nous allons de révélation en révélation : c’était donc ça ! Il n’y a que les écrivains et la neige – mais elle fond – pour donner au monde un tel bain de fraîcheur.

Une langue que l’on comprend mais qu’on ne parle pas, que l’on sait lire mais pas écrire – étrange pays que nous visitons, où ne vit qu’un habitant – le premier ou le dernier homme ? l’un et l’autre sans doute. Un no man’s land de poussière grise et de végétation agressive – possiblement carnivore – en défend souvent l’accès. Et ces rouleaux hérissés, griffus, ronces ou barbelés ? On tâte du bout du pied le sol : il n’aurait tout de même pas des mines ? ! C’est autre chose en effet que l’allée de gravier blanc qui zigzague sur cinq mètres, entre deux parterres de gazon fleuri, jusqu’à la porte de notre maisonnette. Beaucoup vont reculer. Si l’on insiste pourtant, insensiblement le terrain change. Ou serait-ce seulement notre foulée qui gagne en aisance ? Le monde s’ouvre avec le livre. Nous avons à présent trouvé la vitesse de lecture qui convient, les volumes anguleux, les figures grimaçantes, toutes les formes revêches qui nous effrayaient au début s’y inscrivent harmonieusement : s’ensuit une nouvelle évidence qui cependant échappe au lieu commun de la représentation. Bonne gifle d’eau glacée sur nos têtes dodelinantes, réveil de la conscience assoupie, trop longtemps bercée par l’ennui ordinaire des jours, opacifiée par les idées reçues et leur formulation proverbiale.

Mais l’écrivain dépourvu de style, tenant de l’écriture blanche, neutre, plate, sans effets ni métaphore, fait le jeu de l’état des choses, redouble inutilement le réel, étend sur le sol la fameuse carte géographique aux dimensions du monde imaginée par Borges ; littérature de miroitier bègue à l’usage des singes et des perroquets. Faudra-t-il donc aussi mourir deux fois ?

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 91.

Cécile Carret, 24 fév. 2014

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