être

L’être est un non-sens, mais un non-sens qui a des dents.

Antonin Artaud.

Bilitis Farreny, 21 mars 2002
suspendu

En fait, le tableau, aujourd’hui la propriété d’un musée de Sheffield, en Grande-Bretagne, ne représente pas l’exécution mais les suites immédiates de celle-ci. Au pied d’un mur aveugle qui devait borner le jardin du restaurant de la Chartreuse, le supplicié est étendu face contre terre, drapé dans un manteau noir, son chapeau, également noir, ayant roulé à quelques pas. Au-dessus du mur, et à distance, la silhouette du dôme du Val-de-Grâce se détache en gris sombre sur un ciel brunâtre. Tant les habits du mort, civils et assez chic, que l’ambiance de petit jour blafard, l’absence de décorum ou la proximité d’un restaurant à la mode, évoquent plutôt les circonstances d’un duel, et seule la présence, sur la gauche du tableau, d’un groupe de soldats en marche, vus de dos, l’arme à la bretelle, en train de se retirer et sur le point de sortir du champ, suggère que l’État est à l’origine de cet homicide et qu’il s’agit par conséquent d’une exécution capitale.

Les transformations opérées depuis 1815 dans le quartier de l’Observatoire rendent aléatoire, aujourd’hui, la recherche du lieu précis de l’exécution. Il est vraisemblable que ce lieu a disparu, ou du moins qu’il a perdu tout support matériel, et qu’il est désormais suspendu dans les airs au-dessus des quais à ciel ouvert de la station Port-Royal, sur la ligne B du RER.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 20.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
dit

Aurait-il fallu lui parler, à ce garçon mécanique ? Lui dire ce que j’aurais souhaité, qu’il me caresse ici ou là, qu’il m’embrasse et me laisse l’embrasser, qu’il m’offre un moment sans but, dans la pure effusion de la peau, au lieu de me seriner sans parole mais par tous les moyens qu’il fallait que je l’encule dans les plus brefs délais, et qu’il n’y avait pas lieu à tergiversations ? Mais non, parler n’aurait servi à rien. Le comportement sexuel, c’est vraiment la vérité de l’être. Le corps dit dans l’amour ce que l’esprit ne peut entendre, et ce qu’il n’entreverra jamais — pas avant une très profonde révolution culturelle et psychologique qui prendrait des années, si tant est qu’elle ait une chance de survenir.

Renaud Camus, « lundi 16 décembre 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 288.

Élisabeth Mazeron, 5 fév. 2004
septembre

Comme j’hésitais, à l’instant, entre deux tournures pour une correction à mes phrases d’il y a quatre ans, j’ai marché sans y penser jusqu’à la fenêtre ouverte, et là j’ai dû m’asseoir sur la plus prochaine chaise, tant c’était beau.

Depuis deux jours on aperçoit les Pyrénées. Il fait un temps splendide. Le soleil est assez bas, à présent, de sorte que chaque feuillage, presque chaque branche, chaque bosquet, le moindre renflement de terrain, est accompagné dans la lumière par sa discrète réserve d’ombre. On voit s’élever aussi les premières fumées, qui, s’échappant d’entre les collines, marquent la profondeur du paysage, plan par plan. Le ciel est d’un bleu très pâle, à peine ourlé d’un blanc doré. La lumière est celle d’un septembre pour tous les septembres, le septembre absolu, autant dire l’éternité.

Ma vie a certes ses soucis, et même ses chagrins, mais, outre qu’elle n’est point malheureuse, ces temps-ci, elle a cette qualité à mes yeux incomparable de se dérouler presque tout entière dans la beauté — et parfois, comme ce soir, dans une beauté qui vous renverse, ou qui vous force à vous asseoir.

Renaud Camus, « samedi 28 septembre 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, pp. 443-444.

David Farreny, 3 juil. 2005
combinaison

Quoi qu’il en soit, ce fut une remarquable combinaison de la nature que d’accorder aux mêmes animaux le vol et le chant, car, ainsi, ceux qui ont à divertir les autres créatures avec la voix se rencontrent d’ordinaire dans les lieux élevés, d’où celle-ci peut se répandre plus largement à l’entour et toucher un plus grand nombre d’auditeurs ; et d’autre part, l’élément destiné au son, l’air, se trouve peuplé de créatures chantantes et musiciennes. C’est vraiment un grand réconfort et un grand plaisir que procure, autant, me semble-t-il, aux animaux qu’à nous-mêmes, le chant des oiseaux. Je crois que cela tient moins à la douceur des sons, à leur variété ou à leur harmonie, qu’à cette idée de joie qu’exprime naturellement le chant, en particulier celui-là, lequel est une sorte de rire que l’oiseau émet lorsqu’il est plongé dans le bien-être et le contentement.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 169.

David Farreny, 9 nov. 2005
flambée

Le mariage n’est qu’une soudaine flambée de vieillesse.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 45.

David Farreny, 1er janv. 2006
image

Lorsque deux chaises sont disposées au milieu du petit salon de Keats, exactement de la même façon qu’en le célèbre tableau de Severn, si souvent reproduit, montrant Keats lisant là, sur une chaise, le coude appuyé sur une autre en face de la baie, une vibration de vérité se produit, qu’aucune notice didactique ne déclenchera jamais […]. Bien sûr, la référence, dans la simple et efficace mise en scène des deux chaises, n’est toujours pas le “réel”, cet éternel déserteur de la pensée comme de la rêverie (mais pas de la douleur, bon). La référence, c’est seulement le tableau de Severn, et Severn n’a jamais vu Keats lisant dans la maison de Hampstead. Cependant il s’est beaucoup renseigné auprès de Brown, qui lui a envoyé des descriptions méticuleuses, presque maniaques : il fallait que la postérité sût bien dans quelle position lisait Keats à Wentworth Place. Et surtout il y a cette phrase insondable de Keats qui nous permet d’entrevoir que la solution c’est le problème lui-même, et que l’essence des choses c’est de nous échapper indéfiniment, comme le sens :

« And there I’d sit and read all day like the picture of somebody reading » (comme l’image de quelqu’un qui lit).

Nous ne faisons jamais qu’imiter quelqu’un qui vivrait (et qui lirait, surtout).

Renaud Camus, « Wentworth Place, à Hampstead, Londres. John Keats », Demeures de l’esprit. Grande-Bretagne I, Fayard, pp. 394-395.

David Farreny, 6 juin 2010
tare

Je vois sur ma table la photographie de l’être que j’étais à ce lever de ma vie d’homme, et, sous la toison de boucles brunes, jadis orgueil de ma mère, mais déjà bien assagies, je distingue un profil assez fin. Un front égal, un œil pâle, bien placé, mais sans éclat sous des paupières maladives, un nez court et busqué, une lèvre supérieure proéminente, où pointent les prémices d’une moustache retardataire, une bouche aux lèvres épaisses, volontiers entrouvertes sur des dents assez belles, mais écartées, et, subitement, la fuite d’un tout petit menton raté, d’un mauvais petit menton de hasard, qui entache l’ensemble et le tare de sa défaillance.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, p. 41.

David Farreny, 13 juil. 2010
gens

En attendant, j’ai pensé que les gens étaient tourmentés dans l’ensemble et j’aurais bien voulu que ça m’aide, mais ça ne m’a pas aidé. C’était de gens normaux que j’avais besoin, équilibrés, avec une direction de vie. Ou alors sans direction de vie mais qui le sachent. Comme Ségustat, ai-je songé. Voilà. Et en même temps non. Besoin de personne, ai-je songé aussi.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 137.

David Farreny, 22 sept. 2011
origine

Toute photographie est prise depuis l’origine du monde — il s’agit en effet de savoir ce qu’il est devenu. On se glissait d’ailleurs sous la jupe des premiers appareils à trépied pour y voir plus clair.

Éric Chevillard, « lundi 31 décembre 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 1er mars 2024
après-demain

Je ne sais pas ce que me réserve demain ; mais pour après-demain, il n’y a vraiment aucun suspense.

Éric Chevillard, « lundi 23 mai 2022 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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