contradictions

Chez la plupart des théoriciens, on trouve des textes réclamant ou soutenant, dans certains cas, l’opposé précisément de ce que ces auteurs sont fameux pour avoir réclamé et soutenu. Il ne s’agit pas de contradictions, mais de raffinements.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 32.

David Farreny, 13 avr. 2002
indécidabilité

Émancipée du grand héritage tragique, comique et romanesque, la pensée ne sait plus problématiser la vie. Elle ne sait plus en éclairer les contradictions, en explorer les paradoxes, en suivre les tortuosités, en capter les nuances. Elle ne sait plus faire droit à l’ambiguïté des êtres ni à l’indécidabilité des comportements. Spectaculairement ouverte aux différences, mais définitivement fermée aux apories, elle n’est capable, la malheureuse, que de brandir triomphalement la solution du problème humain.

Alain Finkielkraut, L’ingratitude, Gallimard, pp. 200-201.

David Farreny, 6 juin 2004
vécues

Tu préférais le premier rêve, mais le plaisir que tu avais éprouvé à faire l’un et le malaise dans lequel t’avait plongé l’autre ne changeaient rien à l’agrément de se les remémorer. Rêve ou cauchemar, qu’importait, si tu pouvais éprouver le trouble de revivre éveillé le souvenir de choses vécues dans le sommeil.

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 95.

Cécile Carret, 22 mars 2008
élytres

Je me suis mis au travail, une flaque de sueur sous chaque coude, en sachant bien que je trichais, que j’avais peur, que je m’attachais au mât comme UIysse. Il s’agit d’autre chose ici. La nuit regorgeait de lenteur d’un silence interrompu seulement par le bref galop des chèvres qui tondent les bastions, ou le bourdonnement de je ne sais quelle beste dans ma toiture. Pour me donner du cœur et garnir un peu mon carquois, j’ai fait le compte des chambres où je suis passé depuis mon départ. C’est la cent dix-septième. La prochaine risque d’attendre longtemps son tour. Il faut bien s’arrêter de temps en temps pour apprendre à faire sa musique, faire un peu chanter ses élytres, non ?

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 33.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
phrase

Dans le brassage des concepts il était de plus en plus difficile de trouver une phrase pour soi, la phrase qui, quand on se la dit en silence, aide à vivre.

Annie Ernaux, Les années, Gallimard, p. 222.

Élisabeth Mazeron, 23 mai 2008
pièce

Ensuite je fus assis, épuisé et content, dans mon unique pièce ; plutôt pauvre en meubles, mais je sais au besoin prendre le coffre de ma machine à écrire pour oreiller et me couvrir avec la porte de la chambre. En outre, on pense mieux entouré de peu d’ustensiles : mon idéal serait une pièce vide sans porte ; deux fenêtres nues, sans rideaux, dans chacune se détire une croix maigre – inestimables pour ces sortes de ciels comme le matin vers quatre heures ; ou le soir, quand les grêles langues rouges de serpents poursuivent le soleil de leurs sifflements (mes doigts se courbent en conséquence).

Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 69.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
narrats

Les vieilles restaient impavides en face de moi, à une distance moyenne de deux cent trois mètres. J’aurais aimé leur expliquer pourquoi je façonnais autre chose que des petites anecdotes limpides et sans malice, et pourquoi j’avais préféré leur léguer des narrats avec des inaboutissements bizarres, et selon quelle technique j’avais construit des images destinées à s’incruster dans leur inconscient et à resurgir bien plus tard dans leurs méditations ou dans leurs rêves.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 95.

Cécile Carret, 11 sept. 2010
essaim

Le vertige du moment où, soudain, s’ouvre la porte d’une salle de cinéma devant laquelle on attend et lâche dans le monde un silencieux essaim de spectateurs de la séance précédente, encore tout hagards et obnubilés par le flux de visions qui, il y a un instant, a cessé d’être. Ils ne sont pas les seuls à se trouver décalés : cette lueur blême et frileuse qui voile leur regard se répand aussi à travers le hall, comme si le réel lui-même chavirait un instant avant de se ressaisir.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, pp. 137-138.

David Farreny, 2 avr. 2013
genre

Tous ceux que tu délaisses t’accusent d’inhumanité.

Ils croient qu’il suffit d’être quitté pour devenir le genre humain.

Philippe Muray, « 6 janvier 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 13.

David Farreny, 23 fév. 2024

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