possession

Peut-on reprendre possession d’une chose ? N’est-ce pas la perdre ?

Franz Kafka, « 9 août 1920 », Lettres à Milena, Gallimard, p. 182.

David Farreny, 23 mars 2002
naturelles

Aucun sacrifice ne modifiera les formes naturelles du mal.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 220.

David Farreny, 6 janv. 2006
clos

Il traduit aussi le Monde, celui qui voulait s’en échapper. Qui pourrait échapper ? Le vase est clos.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 3.

David Farreny, 2 avr. 2007
contournent

Sophie demanda, effrayée : « Tu n’aimes pas ton enfance, Gerhard ? » Le malade la regarda gravement : « L’aimer ? Oh si. Je l’aime comme on aime un mensonge qui rend heureux, ou un rêve dans lequel on était, ou une bonté qui fait de vous un esclave. J’aime ces pièces qu’elle a habitées, et ta voix qui était sa nostalgie. J’aime tous les chemins où tu m’as conduit, ces chemins discrets, silencieux qui contournent la vie pour mener à ton Dieu. »

Sophie eut un mouvement qui fit tomber la cuillère d’un coup sec sur la soucoupe.

Puis elle dit froidement : « Je t’ai élevé dans la piété. »

Gerhard sourit légèrement : « Qu’est-ce que la piété ? Le plaisir qu’on prend à des églises sombres et à des arbres de Noël illuminés, la gratitude que l’on éprouve pour un quotidien tranquille que ne vient troubler aucune tempête, l’amour qui a perdu son chemin et qui cherche, qui tâtonne dans l’infini sans rivages. Et une nostalgie qui joint les mains au lieu de déployer ses ailes. »

Rainer Maria Rilke, Au fil de la vie, Gallimard, p. 129.

Élisabeth Mazeron, 17 janv. 2008
problèmes

Un des gros problèmes que j’ai c’est avec les films étirables.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 7.

David Farreny, 9 juin 2008
balnéaire

Mardi – Un ciel blanc de chaleur, déjà, des jointures que l’on serre. Dans le virage qui mène à Stalingrad un store enrouleur me fait de l’œil (c’est possible). Je prends ce vélo suspendu au balcon du cinquième et hop, à la mer. J’emporte la gare et les rails au cas où et cette cheminée de nickel. La superposition des façades opposées dans un reflet de vitre est encore balnéaire.

Vendredi – Une vitre réfléchie assène son velouté au mur du dessous, qui traîne sa lèpre le long du quai. Je suis belle et je t’emmerde, dit-elle. J’ai des locataires d’Atlantique, toi tu attires les rats. Rien à dire.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 14.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
logiciels

Les plaisirs sont ressentis comme les plus intenses, les douleurs comme les plus profondes lorsqu’ils mobilisent le plus de canaux émotifs, qu’ils drainent une quantité incalculable de souvenirs heureux ou malheureux, d’espérances idéalisées ou brisées. Il est alors troublant de constater que ces émotions contraires et complexes affectent pareillement l’intérieur de notre ventre, et non seulement cela, mais qu’elles agissent de la même façon que la réaction la plus primaire, telle la peur face à un danger physique. On pourrait dire que nos intestins travaillent selon des logiciels primitifs qui ne savent pas reconnaître les programmes nouveaux et sophistiqués émis par notre cerveau et les traduisent en un agrégat de signes élémentaires.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, p. 121.

Élisabeth Mazeron, 12 mars 2009
cerveau

Heureusement voici Dino Egger avec son 109) échelle de corde ! Ah ! le pitre ! Merci la science ! Certes, il a le front proéminent, il y en a des cellules amalgamées sous son crâne bulbeux. Quel cerveau ! On en mangerait ! Des circonvolutions comme pour gravir l’Everest à bicyclette. C’est gris, c’est rose, ça bat, ça tremble, ça vibre, ça flageole, c’est incontestablement parcouru de pensées fulgurantes. Nous allons nous électrocuter si nous y touchons, prudence. Mais je n’y mettrai pas les doigts, aucun risque. Me dégoûte un peu, la grosse éponge à songes.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 113.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
redire

Une vie, nous en sommes vite convenus, mais ce n’était pas une découverte, ça tient en quelques mots ; il n’y a, somme toute, pas grand-chose à en dire. Ce qui prend du temps, en revanche, et là-dessus nous étions aussi tous les deux d’accord, ce sont les hésitations à propos du présent et de l’avenir proche, qui ne cessent de se dire et de se redire sous une forme ou sous une autre.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 96.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
femmes

tu te souviens Mon Cœur quand nous étions heureux ?

oui Mon Amour c’était il y a très longtemps

c’était quand nous avions ces femmes secourables

sur qui nous pouvions compter dans nos grands chagrins

il y avait alors du soleil au jardin

nous n’étions jamais seuls au moment du malheur

or aujourd’hui ces saintes femmes sont parties

la ville a envahi les jardins d’alentour

le bruit et la fumée des moteurs nous écrasent

et nous pleurons sans le secours de leur pardon

nous pleurons en sentant notre viande malade

comme un morceau jeté aux chiens des carrefours

et nous sommes si seuls ! dans cette ville atroce

seuls pour marcher sur son tarmac seuls pour aller

demander à la nuit de nous ouvrir sa fosse

alors qu’avant Mon Cœur nous vivions dans l’amour

secret et persistant de ces femmes fidèles

qui aujourd’hui hélas ! sont mortes pour toujours

William Cliff, « Les saintes femmes », Immense existence, Gallimard, p. 117.

David Farreny, 30 mai 2011
chaîne

Il tourne à gauche, commence à descendre l’escalier. Fais gaffe, va pas tomber, se dit-il. Mets-toi à droite. Tiens la rampe. Tu charries. Tiens la rampe, je te dis. Y a pas de honte. Quand on a les pattes molles. C’est vrai qu’elles tremblent, se dit-il. C’est rien, la fatigue, l’émotion.

Non, non, laissez, dit-il à un petit vieux qui là-bas lui tient la porte. C’est gentil mais non, laissez. Oui, bon, je vois, bon, attendez, attendez, j’arrive.

Il arrive. Là, merci, c’est gentil, dit-il. Merci monsieur. Ainsi pourrait se former une gentille chaîne aimable d’humains se tenant par la porte, je te la tiens, tu me la tiens, ainsi de suite. Alors Bast, un peu ému, se retourne pour la tenir à quelqu’un.

Elle arrive.

Elle marche vers lui.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 59.

Cécile Carret, 4 mars 2012

Mon unique sentiment de bonheur consiste en ce que personne ne sait où je suis. Que n’ai-je la possibilité de continuer toujours ainsi ! Ce serait encore plus juste que la mort.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 311.

David Farreny, 28 oct. 2012
profonde

Gêné, dans ma lecture, par deux bonnes femmes, l’une, volumineuse, blondasse, dont j’apprendrai incidemment qu’elle est vendeuse au Printemps, l’autre, la soixantaine sèche, imperceptiblement dérangée. Elles évoquent à très haute et intelligible voix leurs recettes de santé, tremper ses ongles dans l’huile d’olive, manger du chocolat, je ne sais quoi encore. Vaguement attristé de l’étroitesse, de la tristesse de leur vie et, en même temps, stupéfait de la perfection de la communication, entre elles, de l’identité profonde des présupposés, des vues, des soins, des buts. Elles ne se connaissaient pas — elles le diront — mais habitent, chacune de son côté, le même univers, si bien que la totalité des propositions qu’elles énoncent se rencontrent, coïncident miraculeusement.

Pierre Bergounioux, « vendredi 11 janvier 2002 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 185.

David Farreny, 23 fév. 2024

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