possession

Peut-on reprendre possession d’une chose ? N’est-ce pas la perdre ?

Franz Kafka, « 9 août 1920 », Lettres à Milena, Gallimard, p. 182.

David Farreny, 23 mars 2002
satisfaisant

L’idée d’une maison faite pour que les gens se perdent est peut-être plus étrange que celle d’un homme avec tête de taureau, mais les deux s’ajoutent et l’image du labyrinthe convient à l’image du Minotaure. Il est satisfaisant qu’au centre d’une maison monstrueuse soit un habitant monstrueux.

Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, Gallimard, p. 154.

David Farreny, 24 mars 2002
classique

C’est le samedi que la décrue s’amorça. On revint au quaternaire tardif. Aux moussons succéda un hiver frisquet, classique. La rivière regagna son lit cloisonné de quais obliques, sanglé de ponts.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, p. 19.

David Farreny, 24 nov. 2005
jeu

Nous nous sommes regardés un certain nombre de fois, par petits coups, ce que j’appelais alors des regards en point d’interrogation. Je jouais volontiers à ce jeu-là. Cela marche ou cela ne marche pas.

Cela a marché. Après quelques minutes, elle n’a pu s’empêcher de rire.

— Vous êtes drôle. Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Je ne sais pas encore.

Georges Simenon, L’homme au petit chien, Presses de la Cité.

Cécile Carret, 11 mars 2007
conservateur

Je suis un conservateur. Je veux conserver le monde tel qu’il est, non parce qu’il me paraît bon — au contraire, je le juge ignoble — mais parce que je suis dedans et que je ne puis le détruire sans me détruire avec lui.

Jean-Paul Sartre, « vendredi 6 octobre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 101.

David Farreny, 3 mars 2008
facultatives

Une dernière particularité décuplait la magie des omnibus auxquels leur cargaison de fruits, de bêtes donnaient des airs d’arche de Noé : c’étaient les haltes facultatives ménagées à intervalles irréguliers pour les habitants de hameaux invisibles perdus dans les vallées, enfouis dans la forêt. Parfois, une aubette aux supports de fonte moulée sur une plate-forme de ciment indiquait l’arrêt. Mais parfois, c’était simplement une pelletée de mâchefer cernée d’herbe haute, entre le ballast et l’orée du bois. Lorsqu’il n’y avait personne dans la flaque enchantée, le convoi poursuivait sa course fantasque dans le décor d’affiche.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, p. 38.

David Farreny, 4 mars 2008
défaut

Veuillez ne pas régler mon visage

Le défaut est en moi

Ma bouche est une forêt après l’incendie

Mon cœur un petit squelette de poisson

Elles sont belles ces cicatrices

C’est mon visage

La mort est le récit de la mort

La tête qui tombe de la guillotine pense

«  Ce n’est qu’un instant  »

L’animal blessé fuit et la mort court à ses côtés

Ensuite c’est la monotonie intense

Tel un disque rayé

rayé

rayé

Jerzy Skolimowski.

David Farreny, 15 fév. 2010
avant

Il reste tant de choses à faire avant d’anticiper.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 58.

Cécile Carret, 4 mars 2010
plâtre

Même impression cent fois ressentie à l’instant de la prise de parole : un vide, un dédoublement. Je m’entends ne rien dire de ce que je voulais dire. J’entends parfaitement, clairs, et même trompettants, les mots à côté de ceux qui étaient appelés. J’entends ce chaos de phrases encore liquides prendre aussitôt : le plâtre de mon opinion.

Gérard Pesson, « mercredi 29 avril 1998 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 295.

David Farreny, 27 mars 2010
panorama

Puis on me mit au lit dans une grande chambre au sommet de la maison, dans un dortoir de douze lits, aux murs revêtus de planches vernies. C’était si haut – on ne voyait, de toutes parts, que le ciel descendre jusqu’en bas des grandes fenêtres – qu’on se serait cru en pleine mer, dans le poste de commandement d’un navire. La neige tourbillonnait dans le vide.

Pour découvrir l’immense panorama il fallait aller sur le balcon, et toute la vallée se déployait alors. Un seul coup d’œil permettait d’être partout à la fois, de savoir bien avant les habitants du village qu’un camion rouge était en train d’arriver ou qu’on faisait traverser la route à un troupeau de vaches dont on entendait de loin les clarines.

Ce fut, dès lors, tous les jours, la même aventure du regard. Pendant les huit ans que je passais dans ce pensionnat appelé Collège Florimontane, je ne m’en lassais pas. Toute la vallée, avec ses pentes, ses maisons, ses habitants, était à la disposition du regard. Tout à la fois, on pouvait voir les gens traverser la place du village et sur la pente, à une demi-heure de marche de là, le fermier en train de rajuster sa barrière autour du potager carré.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 173.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
torréfiée

Il reste à dire sur le pin après le remarquable et aigu Carnet du bois de pins de Francis Ponge (il restera toujours). Sa relation vitale avec le sol sableux qu’il natte, feutre, stérilise et désherbe, afin que rien ne se perde dès le collet, de la grâce exotique et japonaise qu’a parfois la torsion capricieuse du tronc. Comment il utilise la jonchée sans couture autour de lui de ses aiguilles : à la manière d’un miroir qui renverrait et répercuterait non son image, mais sa chaleur et son odeur torréfiée ; ainsi le sol lustré, cuirassé par lui est pour son essence résineuse et odorante ce qu’est à une plante aquatique le miroir d’eau qui exalte sa verticalité.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, p. 47.

David Farreny, 18 oct. 2014
mode

Son ressentiment était une réponse à tout. Une réponse associant une part de souffrance et une part de jouissance. Une réponse légèrement névrotique, bien sûr, mais une réponse qui tenait la route dans la plupart des circonstances et qui la dotait d’une réelle sûreté. Devais-je essayer de l’aider à aborder l’existence différemment ? Rien n’était moins sûr. D’abord, après tout, je n’étais pas psy. Ensuite, elle ne désirait manifestement pas changer. Elle disposait d’un mode d’emploi pour la vie. Ce n’était peut-être pas le meilleur, mais c’était un mode d’emploi. Cela lui garantissait un minimum de solidité face aux événements. Dès qu’on aborde l’âge adulte, on ne prend plus le risque de changer de mode d’emploi.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, p. 109.

David Farreny, 20 fév. 2015

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