pataugent

Ils prient et bientôt roulent à terre possédés par la déesse Kali ou quelque autre. Ces fidèles sont des gens de bonne volonté à qui l’on a appris telle ou telle pratique et qui, comme la plupart des gens occupés de religion, arrivés à un certain niveau, pataugent et jamais ne vont au-delà.

Henri Michaux, « Un barbare en Asie », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 291.

David Farreny, 22 mars 2002
membranes

Il y a des heures dans la vie où l’homme, à la chevelure pouilleuse, jette, l’œil fixe, des regards fauves sur les membranes vertes de l’espace ; car, il lui semble entendre, devant lui, les ironiques huées d’un fantôme. Il chancelle et courbe la tête : ce qu’il a entendu, c’est la voix de la conscience. Alors, il s’élance de la maison, avec la vitesse d’un fou, prend la première direction qui s’offre à sa stupeur, et dévore les plaines rugueuses de la campagne.

Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror, Robert Laffont, p. 658.

Guillaume Colnot, 2 déc. 2002
vide

Pour tromper son vide, battre son plein.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 65.

David Farreny, 19 nov. 2006
angoisses

Maïrama avait de grands moments de tristesse au cours desquels je ne voyais que son dos sur la natte. Dos des femmes envahies de leurs angoisses, submergées, roulées-boulées dans leurs angoisses puisqu’elles font tout plus extrêmement que les hommes, et dont il faudrait aimer jusqu’aux angoisses. C’est difficile. On les traite d’emmerdeuses, et on commet une erreur judiciaire. Les femmes sont toujours plus malheureuses que nous ? Sont-elles aussi plus heureuses le cas échéant ? Pourquoi n’ai-je pas été plutôt une ?

Jacques Jouet, Sauvage, Autrement, p. 44.

Cécile Carret, 11 mars 2007
conclure

Oui, la bêtise consiste à vouloir conclure. Nous sommes un fil et nous voulons savoir la trame. […] Maintenant on passe son temps à se dire : nous sommes complètement finis, nous voilà arrivés au dernier terme, etc., etc. Quel est l’esprit un peu fort qui ait conclu, à commencer par Homère ? Contentons-nous du tableau ; c’est aussi bon.

Gustave Flaubert, « lettre à Louis Bouilhet (4 septembre 1850) », Correspondance (2), Gallimard, p. 680.

David Farreny, 7 janv. 2010
nitre

Il commençait à faire froid. Parfois, tandis que le jour déclinait, on voyait des flocons grisâtres sortir de terre et déraper en silence à hauteur d’homme, puis disparaître. La maisonnette du régleur de larmes avait l’aspect d’une ruine incendiée depuis des siècles, mais, comme la terre avait été longtemps étrillée par des orages de défoliant et de gaz, la végétation n’avait pas envahi l’endroit. Les ronces étaient chétives, les mûres qui noircissaient parmi les épines avaient goût de nitre. Disons que c’étaient les derniers fruits de l’automne et n’en parlons plus.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 217.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
trouvée

La lumière est de la matière incorporelle, voire immatérielle ; cela paraît être une contradiction, mais nous ne pouvons pas nous arrêter à cette apparence. Les physiciens disaient que la lumière ne pouvait pas être pesée. Mais on a, avec de grandes lentilles, concentré de la lumière en un foyer, et on l’a fait tomber sur l’un des plateaux de la plus fine des balances ; or, ce plateau, ou bien ne fut pas abaissé, ou, s’il le fut, on trouva que le changement produit dépendait seulement de la chaleur que le foyer concentrait en soi. La matière est pesante dans la mesure où elle ne fait que chercher l’unité en tant que lieu ; mais la lumière est la matière qui s’est trouvée.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 398.

David Farreny, 28 fév. 2011
ensemble

Nous deux à jamais ensemble en habit de moments révolus.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 280.

David Farreny, 2 avr. 2013
ressentent

Dans les magasins, j’aime bien quand les gens dans un rayon me glissent : c’est une bonne confiture ; je leur prête une oreille sincère. J’achète le pot, j’aime bien goûter, pour ressentir ce qu’ils ressentent. C’est le grand mystère, cette impossible lecture directe de ce que sentent les autres, comment ils ressentent. Ce qu’ils pensent.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 117.

Cécile Carret, 26 sept. 2013
antiquité

L’hymne est adapté d’une chanson napolitaine. Dans tous les villages de l’Österland, du Götaland, on entonne Sankta Lucia avec la ferveur d’un Caruso glorifiant le Pausilippe. La lueur des bougies se répand dans les rues, tremble sur les neiges, comme la lave qui coule du Vésuve fait scintiller la mer. Le suédois, remplaçant l’italien, lui emprunte un peu de soleil et de catholicité, troublant au fond de l’âme ces sentiments qui tressaillent au chant grégorien. Est-il possible d’obtenir plus d’effets avec moins d’apprêts ? On ne peut entendre ces accords sans avoir la gorge nouée — et si l’on devait se joindre au chœur, l’auditeur percevrait des sanglots dans nos voix. On ignore ce qu’il faut admirer le plus : la modestie de la mise en scène, sa naïveté, sa familiarité, sa beauté, son mystère, son antiquité, sa longévité. On sait simplement que, pour nous, quelque chose s’est perdu qui ne se retrouvera jamais — la jeunesse, la foi, l’étincelle ?

Il est aussi des mots trop froids qui fondent dès que notre langue les touche. De ceux que le suédois a cristallisés autour de la racine snösnöblandad, neige fondue, snöblind, aveuglé par la neige, snöbollskrig, bataille de boules de neige, snöglopp, neige mouillée —, le plus fragile et le plus beau est sans doute snölykta, qui désigne la lanterne de neige, une pyramide de boules à l’intérieur de laquelle on glisse un lumignon, et que l’on place au débouché d’une allée, au pied d’un perron, partout où elle peut égayer la nuit. Comme les couronnes de bougies de Sankta Lucia, la flamme brille au cœur de la neige, rougeoie, chancelle, chatoie, tente l’impossible union de la glace et du feu : c’est le printemps qui se débat dans l’hiver.

Thierry Laget, « Discours de Stockholm », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, pp. 48-49.

David Farreny, 7 juil. 2014
repas

– Je vais te nourrir au sein, mon enfant, dit l’ogresse à son nouveau-né. Une inquiétude passa sur le visage du bébé : ça ne ferait jamais que deux repas.

Éric Chevillard, « lundi 1er septembre », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
manœuvre

Avouer certaines choses, cacher certaines choses, tout dire, tout taire… — te fatigue pas — même manœuvre.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 114.

David Farreny, 13 sept. 2014

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