cibles

Ce sont des phrases, effectivement. Il n’y a pas de pensées, je cours après des unités sonores, des phrases que j’ai pensées qu’il serait bien d’avoir pour cibles. Le texte se déroule vers ces chutes comme vers des cibles.

Pierre Michon, entretien avec Marianne Alphant au centre Georges-Pompidou, 28 mars 1996.

David Farreny, 20 mars 2002
inquiétude

Il faut que l’inquiétude subsiste.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 507.

David Farreny, 30 juin 2002
théophaniques

Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien ? Est-ce que ce sont nos yeux, qui sont les mêmes, ceux de Vincent, du facteur et les miens ? Est-ce que ce sont nos cœurs qu’un rien séduit, qu’un rien éloigne ? Est-ce toi, jeune homme qui es assis chez Antoine Vollard, qui as posé à côté de toi ton chapeau et avec feu entretiens de très jolies femmes à propos de la peinture ? Ou vous, toiles perchées dans Manhattan, marchandises qui dans vos lubies théophaniques réjouissez les dollars et ce faisant sans doute approchez un peu de Dieu, aussi ? Est-ce toi, browning ? C’est toi peut-être, Vieux Capitaine coiffé d’azur qui regardes un petit tas bleu de Prusse tombé sur un chemin ; c’est vous bêtes blanches, savantes et muettes, dont loin d’ici rue des Récollettes on touche le volume exact, qui connaissez ce qu’exactement valent trois francs ; c’est vous, corbeaux là-dessus volant que nul ne saurait acheter, dont on n’a pas l’usage, qui ne parlez pas et n’êtes mangés que dans les pires disettes, dont Fouquier même ne voudrait pas à son chapeau, chers corbeaux à qui le Seigneur a donné des ailes d’un noir mat, un cri qui casse, un vol de pierre, et par la bouche de Linné Son serviteur le nom impérial de Corvus corax. C’est vous, chemins. Ifs qui mourez comme des hommes. Et toi soleil.

Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin, Verdier, p. 72.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2007
rien

Retrouverions-nous son Temps, on resterait séparé de l’enfant par les dix mille virginités perdues. Rien ne sépare, n’éloigne, comme la perte de la virginité. Quoi de plus difficile que de se représenter « l’avant », tout ce qui venait « avant », non réalisé encore, tout ce qui vint pour la première fois, tout ce qui autrefois élan, appel, est devenu satisfaction, c’est-à-dire rien du tout.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 302.

David Farreny, 12 mars 2008
locataire

Un père m’eût lesté de quelques obstinations durables ; faisant de ses humeurs mes principes, de son ignorance mon savoir, de ses rancœurs mon orgueil, de ses manies ma loi, il m’eût habité ; ce respectable locataire m’eût donné du respect pour moi-même. Sur le respect j’eusse fondé mon droit de vivre. Mon géniteur eût décidé de mon avenir : polytechnicien de naissance, j’eusse été rassuré pour toujours. Mais si jamais Jean-Baptiste Sartre avait connu ma destination, il en avait emporté le secret ; ma mère se rappelait seulement qu’il avait dit : « Mon fils n’entrera pas dans la Marine. » Faute de renseignements plus précis, personne, à commencer par moi, ne savait ce que j’étais venu foutre sur terre.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, p. 75.

David Farreny, 31 déc. 2008
voix

Une voix humaine qui ne soit pas psittacisme, aussi rare que le bruit d’une averse au Tanezrouft.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 45.

David Farreny, 17 juin 2009
cela

Je me tus. Une sauterelle venait de bondir sur une de mes jambes. Les épreuves avaient métamorphosé mon corps. Les maladies nerveuses provoquaient une multiplication de lambeaux de peau parasites. Partout grossissaient sur moi de vastes écailles ligneuses et des excroissances. La sauterelle accrochait à cela ses pattes.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 94.

Cécile Carret, 10 sept. 2010
lampe

L’obscurité de la lune invisible. Les nuits à peine un peu moins noires à présent. Le jour le soleil banni tourne autour de la terre comme une mère en deuil tenant une lampe.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 54.

David Farreny, 18 mai 2011
affluent

Vu passer, dans une travée, un chat qui tenait dans sa gueule un oiseau plumé, un pigeonneau, sans doute, dérobé à la boucherie. Nous sommes vraiment entrés dans l’affluent society.

Pierre Bergounioux, « mardi 25 mai 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 485.

David Farreny, 2 fév. 2012
infiltrer

Il se blottissait contre elle le soir sur la natte. Ils regardaient la lune par la fenêtre. Elle restait froide, le dos tourné. Lui éprouvait un sentiment cotonneux, d’une mollesse épouvantable. Alors ils ne prononçaient plus un mot, et c’était comme si quelque chose de la mort, quelque chose du moins relevant de notre misère à tous, était venu rôder là sur leur natte et s’infiltrer dans l’interstice suave, trop suave, de leurs corps enlacés.

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 37.

Cécile Carret, 9 mars 2012
éternelle

La jeunesse éternelle est impossible, même s’il n’y avait pas d’autre obstacle, l’introspection s’y opposerait.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 543.

David Farreny, 9 nov. 2012
redisposer

Et le pharmacien, à nouveau perdu dans ses pensées, grimpa sur la table de son laboratoire, se retroussa les manches et se mit à se soulever sur la pointe des pieds ; un simple changement d’angle de vue, et qu’on ne voit que si on le connaît, suffit donc parfois à donner aux choses une autre tournure et à en redisposer l’ordre.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 48.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
suffisamment

Deux heures passées chez le dentiste et sitôt après, heureux toute la journée, la sensation d’avoir fait quelque chose d’utile, de m’être suffisamment amélioré pour aujourd’hui.

Iñaki Uriarte, Bâiller devant Dieu, Séguier, p. 67.

David Farreny, 28 fév. 2024

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