saigne

Ah ! nous n’hésitons pas, nous allons au plus bel hôtel de la ville. On nous sert un succulent repas, il y a des fleurs sur la table, de magnifiques bouquets de roses et de fuchsias qui s’épanouissent dans des cornets de verre ! Le garçon nous apporte une entrecôte qui saigne dans un lac de beurre ; le soleil se met de la fête, fait étinceler les couverts et les lames des couteaux, blute sa poudre d’or au travers des carafes, et, lutinant le pommard qui se balance doucement dans les verres, pique d’une étoile sanglante la nappe damassée.

Ô sainte joie des bâfres ! j’ai la bouche pleine, et Francis est soûl ! Le fumet des rôtis se mêle au parfum des fleurs, le pourpre des vins lutte d’éclat avec la rougeur des roses, le garçon qui nous sert a l’air d’un idiot, nous, nous avons l’air de goinfres, ça nous est bien égal. […] Nous sommes méconnaissables ; nos mines de faméliques rougeoient comme des trognes, nous braillons, le nez en l’air, nous allons à la dérive ! Nous parcourons ainsi toute la ville.

Joris-Karl Huysmans, Sac au dos, Ombres, p. 26.

David Farreny, 23 mars 2002
adéquation

Sans doute n’est-ce pas cela seul qui vous rend si heureux, cependant ; mais plutôt cette adéquation soudaine, presque violente et tellement inattendue, du rêve avec la marche, de l’insomnie passée avec le beau temps présent, du désir avec le silence, avec l’air, la vue, les ajoncs, les chemins blancs, la rivière. Surprise : me voici dans ma propre vie…

Renaud Camus, « samedi 13 février 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 45.

Élisabeth Mazeron, 8 août 2003
infra

Mais toute ma vie sentimentale est dans l’infra. C’est une vie infra-sentimentale, peut-être même une infra-vie. Plus rien n’y a de substance. Rien n’y affleure au réel. J’embarrasse mon imagination et mon cœur, des jours durant, d’histoires qui auraient occupé deux minutes de mon attention il y a vingt ans — et qui ne sont même pas des histoires : infimes tropismes de l’amour, dans le néant sentimental des jours (et des années, et des années ; car ce sont les années qui passent, sans qu’il arrive rien d’autre, entre ces steppes désolées, que les frémissements d’herbe du désir).

Renaud Camus, « jeudi 24 octobre 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 230.

Élisabeth Mazeron, 5 fév. 2004
courage

Le plus dur est toujours la peine qu’on cause. Il faut la voir aussi, hélas, comme le chantage le plus cruel, et se souvenir qu’elle n’a d’autre origine que l’erreur ou le préjugé. La vérité c’est qu’il est vain, dans quelque situation qu’on soit, d’espérer faire l’économie d’un moment de courage.

Renaud Camus, « mercredi 21 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 266.

David Farreny, 30 juil. 2005
dessous

Examinateur encore ignorant mais beaucoup moins, il questionne. L’esprit du pardon, est-ce qu’il y songe ?

Des femmes qui s’ennuient viennent à lui. Ennui à soulever. Il sait ce qu’il y a dessous.

Henri Michaux, « Textes inédits autour du “Poltergeist” », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1037.

David Farreny, 7 août 2006
résidence

L’indifférence des sensations, dans ce succédané de monde extérieur, était des plus déconcertantes mais j’en ai pris mon parti comme je l’avais fait du puits de mine limougeaud, du grand souffle angoissant courant sur l’Aquitaine. Je ne vivais pas. Il n’y a qu’un seul endroit où cela se puisse et, comme je n’y étais pas, je n’existais point, du moins de la seule façon que je conçoive, sans réserve ni réticence, apaisé. En tout état de cause, j’étais libre de chercher à comprendre ce qui s’était passé avant, au loin. J’étais sur place, à l’endroit où les termes convenables avaient leur exclusive résidence et je pouvais prétendre les trouver enfin.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 64.

Élisabeth Mazeron, 12 mai 2010
souhaite

À Fabre-Luce, à Jacques de Lacratelle, en les quittant, du fond du cœur, et du fond de ma ruine, j’ai dit, en les quittant si heureux encore, si entouré : « Je vous souhaite le statu quo. »

Paul Morand, « 19 août 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 594.

David Farreny, 23 sept. 2010
bougé

En fait, le lendemain, c’était comme de repartir. Je veux dire, du début. Avec, tout de même, cette conscience que j’avais bougé. Nettement.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 13.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
Mélanésie

                            LE DÉMON

       Elle est partie ce soir : tu ne vois qu’une image.

       Voici le train, les rails, les pierres du remblai.

       Tiens, que disais-je ? elle se penche à la portière.

       C’est curieux, regarde, un jeune homme est près d’elle :

       Un magique pouvoir nous les montre en sleeping.

       Ils sont drôles, tous deux. Elle ouvre son corsage.

       Il la rend folle, attends…

                            ARDEN

                                   Seins, ô Mélanésie !

                            LE DÉMON

       Ils assiègent l’amour.

                            ARDEN

                                   Je suis mort.

                            VOIX DE CRESSIDA

                                                 Baise-moi.

                            LA VIEILLE

       O ! comme on entend bien !

                            LE DÉMON

                                   C’est la fleur carnivore.

       Tu voulais tant savoir : écoute, elle jouit.

       Tu as capturé l’heure et la bête et les cris.

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 47.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013
naturalisme

La littérature sur le coït, l’écriture du sexe, est le lieu d’un naturalisme fou, d’une zoologie échevelée et impossible. La mécanique de la métaphore y est poussée à ses limites extrêmes. Exemple : lui brouter la chatte !

Philippe Muray, « 22 septembre 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 498.

David Farreny, 23 août 2015

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