géométrique

Toutes ces citations ne plairont pas à tous, et celui qui les propose est sans doute le seul lieu géométrique du plaisir et de l’intérêt que chacune contient.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 63.

David Farreny, 11 sept. 2004
capter

Il lui semblait que jamais personne ne lui avait prêté une attention aussi soutenue, aussi polie et amicale. Tout le monde s’était tu alentour. La mère de Charlotte, immobile, courbée, serrait le saladier sur son ventre, et ainsi semblait en prière, recueillie pour mieux absorber les paroles d’Herman. Un petit sourire bienveillant soulevait délicatement le coin des lèvres de Métilde. Herman exulta de se sentir pathétique : l’avait-il jamais été pour quiconque, avait-il été, seulement une fois, émouvant ? Alors la pensée de Rose devenait fort abstraite, supplantée par le plaisir intense d’attirer à lui la sympathie de ses voisines, et de capter leur esprit encore inconnu et obscur.

Marie NDiaye, Un temps de saison, Minuit, pp. 58-59.

David Farreny, 18 déc. 2005
assaut

Parfois, de très grandes fatigues m’envahissent. Alors en moi l’esprit terre à terre rend son tablier. Il le plie soigneusement, le pose sur l’étagère à tabliers avec les autres, bien repassés, qui serviront plus tard, et se met en disponibilité, sachant qu’il n’est pas de taille à lutter. De très anciennes fatigues, issues intactes et parées de profondes ténèbres, fraîches comme au commencement du monde, inflexibles, chaleureuses. Elles m’enveloppent de leur vigilance, l’air absent, surgissent sans claironner. J’ai ainsi appris à être en communication muette avec les milliards de fatigues qui m’ont précédé. Cependant de ce contact inouï je ne peux rien retirer, aucun savoir, nulle connaissance. Je ne peux qu’y puiser la force d’attendre sans mourir la fin de l’assaut.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 12.

Élisabeth Mazeron, 11 oct. 2007
empaillé

On descendait par trois marches à la salle commune ; elle était enduite de ce badigeon sang de bœuf qu’on appelait naguère rouge antique ; ça sentait le salpêtre ; quelques buveurs assis parlaient haut entre les silences, de coups de fusil et de pêche à la ligne ; ils bougeaient dans un peu de lumière qui leur faisait des ombres sur les murs ; vous leviez les yeux et au-dessus du comptoir un renard empaillé vous contemplait, sa tête aiguë violemment tournée vers vous mais son corps comme courant le long du mur, fuyant. La nuit, l’œil de la bête, les murs rouges, le parler rude de ces gens, ces propos archaïques, tout me transporta dans un passé indéfini qui ne me donna pas de plaisir, mais un vague effroi qui s’ajoutait à celui de devoir bientôt affronter des élèves : ce passé me parut mon avenir, ces pêcheurs louches des passeurs qui m’embarquaient sur le méchant rafiot de la vie adulte et qui au milieu de l’eau allaient me détrousser et me jeter par le fond, ricanant dans le noir, dans leur barbe sans âge et leur mauvais patois.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
tirer

J’ai un tas d’idées pour mon travail et en continuant la figure très assidûment, je trouverai possiblement du neuf.

Mais que veux-tu, parfois, je me sens trop faible contre les circonstances données, et il faudrait être et plus sage et plus riche et plus jeune pour vaincre.

Heureusement pour moi, je ne tiens plus aucunement à une victoire, et dans la peinture, je ne cherche que le moyen de me tirer de la vie.

Vincent van Gogh, « Arles, août 1888 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 400.

David Farreny, 2 juil. 2009
aiguisées

Sur l’autoroute près de Francfort, un motocycliste avec un casque laqué de blanc ; une bouée de sauvetage arrimée sur le dos ! : « Est-ce obligatoire ? » (j’avais fait exprès d’utiliser le « r » anglais pour ma question ; il répondit timidement d’entre ses grosses joues marbrées de rouge – en imitant aussitôt ma prononciation – « Je ne seille pas. »). Avant Bebra : des saules vinrent à l’assaut, poignées de sabres au-dessus des têtes échevelées ; le ciel fronça sa tête d’œuf grise (puis il plut mécaniquement, maigre, désagréable ; les rues étincelaient comme aiguisées).

Arno Schmidt, « Au grillage », Histoires, Tristram, p. 102.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
compagne

Je me suis réveillée en sursaut. La lune tremblait à travers le grillage qui obture la fenêtre, elle était ronde et petite, d’un ivoire sordide, elle avait la fièvre, elle ne cessait de frissonner bizarrement. C’est aussi que j’ai une maladie qui affecte ma vision nocturne. J’ouvre les yeux, et, dans les images que je reçois, les taches lumineuses dérivent ou s’agitent. Aucun bruit humain ne rôdait ailleurs dans le bâtiment, ma respiration n’avait pas de compagne.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 198.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
inadéquation

L’universalité suivant laquelle l’animal, en tant que singulier, est une existence finie se montre, en lui, comme la puissance abstraite à l’issue du processus lui-même abstrait qui se déroule à l’intérieur de lui. L’inadéquation de l’animal à l’universalité est sa maladie originelle et le germe inné de la mort. La suppression de cette inadéquation est elle-même l’exécution de ce destin. L’individu supprime une telle inadéquation en tant qu’il insère dans l’universalité, pour l’y former, sa singularité, mais en même temps, dans la mesure où elle est abstraite et immédiate, il n’atteint qu’une objectivité abstraite dans laquelle son activité s’est émoussée, ossifiée, et où la vie est devenue une habitude sans processus, en sorte qu’il se met à mort ainsi de lui-même.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « La mort de l’individu, qui meurt de lui-même », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 329-330.

David Farreny, 7 fév. 2011
fond

J’ai quand même pris la peine d’aller voir à quoi elles ressemblaient, rapporté de la limonite, des silex rubanés. Un jour que je me rendais au Pays Basque, j’ai fait halte à Monpazier. La place centrale de la bastide est pavée de gros rognons de calcédoine bleutée, dont quelques-uns étaient déchaussés. Le lendemain, à Bayonne, j’ai déniché de jolis cristaux de calcite verte dans des blocs du front de mer détachés par la houle. À la fin de la même semaine faste, juste avant de repartir, une dernière sortie sur un dépôt sidérolithique, vers Puy-d’Arnac, m’a livré des agates brutes, du jaspe moucheté, de longs cristaux aciculaires de tourmaline noire et une hache polie, intacte, de serpentine verte, qui pointait d’un centimètre ou deux hors de l’argile retournée, sous des noyers. Comme dans Lancelot du Lac, mais à l’envers, une main enfouie sous la terre me tendait cette merveille du fond du néolithique.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, pp. 32-33.

David Farreny, 7 juin 2013
inéluctable

Si inéluctable est une épée au-dessus de la tête, inéluctabilité n’en finit pas de se vider de son contenu.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 159.

David Farreny, 16 oct. 2014
non-conformiste

Holberg disait déjà (Lettres, t. V, lettre I) : ce n’est point la volonté mais le corps qui fait de moi un non-conformiste.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 192.

David Farreny, 5 déc. 2014
abstraits

Plaisirs de la chère et de la chair font des souvenirs très abstraits. La mémoire est une archiviste frugale et frigide.

Éric Chevillard, « lundi 7 octobre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 2 mars 2024

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