La sédentarité défiante, opiniâtre qu’on pratiquait était rationnelle.
Pierre Bergounioux, La puissance du souvenir dans l’écriture, Pleins Feux, p. 18.
La sagesse n’est pas venue, dit Pollagoras. La parole s’étrangle davantage, mais la sagesse n’est pas venue.
Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 233.
Sans volonté, nul conflit : point de tragédie avec des abouliques. Cependant la carence de la volonté peut être ressentie plus douloureusement qu’une destinée tragique.
Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1721.
Tous ces jeunes gens ont un grand désir de s’instruire, de se cultiver, si possible en brûlant les étapes grâce à un aîné complaisant. Mais on ne peut pas brûler les étapes, les aînés sont généralement désabusés, ils n’ont pas de réponses aux questions posées, qu’ils n’ont jamais résolues et qu’ils ne se posent plus ; de toute façon ils ont cessé de croire à un rapport bien étroit et bien fixe entre questions et réponses ; et les questions ne leur parlent que du questionneur…
Renaud Camus, « vendredi 7 mai 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 246.
A est différent de O. Il faut prononcer A et O. Montre l’incroyable différence. Aaaaaaaaaaaaaaaaa / Ooooooooooooooooo. S’imprégner de la prononciation, en prononçant longuement dans la bouche. En vocalisant un a continu. Puis un o continu. Sentir l’évolution, les métamorphoses complexes dans la bouche. Garder le a, tenir le a et lentement, progressivement s’approcher de l’autre son que l’on connaît, délicatement, le a est encore là et penser au o, garder le son a et essayer d’atteindre par le son a le son de o en déformant le plus possible le a en gardant un a, plus il s’approche du o et plus l’effort est important pour s’approcher encore du o. Le o ne viendra pas. Il existe une limite infranchissable entre le a et le o.
Christophe Tarkos, « Processe », Écrits poétiques, P.O.L., pp. 117-118.
Une voix humaine qui ne soit pas psittacisme, aussi rare que le bruit d’une averse au Tanezrouft.
Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 45.
Malheur, pourquoi ne nous vois-je plus en accord ? Malheur ! Pourquoi à trois heures de l’après-midi la lumière dans le chemin creux, le battement des trains sur les rails, ton visage, pourquoi tout cela n’est-il plus l’événement que cela a été ce matin encore, valable jusque dans l’avenir le plus lointain ? Malédiction, pourquoi contrairement à l’image bien connue du vieillissement puis-je moins que jamais fixer, retenir, apprécier les moments de la journée ou de la vie ? Malédiction, pourquoi suis-je donc au vrai sens du terme si distrait ? Malédiction, malheur de malheur.
Peter Handke, « Essai sur la journée réussie », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, pp. 155-156.
On souhaite, avec son esprit, mourir et, avec son corps, vivre ; le corps est idiot ; on le savait.
Paul Morand, « 28 juillet 1974 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 298.
Tout près du clocher de l’église Saint-Étienne et d’un seul coup, comme si on avait appuyé quelque part sur un bouton secret, la lune a surgi entre les nuages, et le choc de sa puissante et lugubre clarté a comme fait vibrer toute la ville endormie.
Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 169.
Le temps passe. Nous le croisons. Il va d’un pas pressé répandre nos cendres dans le passé.
Éric Chevillard, « vendredi 18 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗