combinaison

Quoi qu’il en soit, ce fut une remarquable combinaison de la nature que d’accorder aux mêmes animaux le vol et le chant, car, ainsi, ceux qui ont à divertir les autres créatures avec la voix se rencontrent d’ordinaire dans les lieux élevés, d’où celle-ci peut se répandre plus largement à l’entour et toucher un plus grand nombre d’auditeurs ; et d’autre part, l’élément destiné au son, l’air, se trouve peuplé de créatures chantantes et musiciennes. C’est vraiment un grand réconfort et un grand plaisir que procure, autant, me semble-t-il, aux animaux qu’à nous-mêmes, le chant des oiseaux. Je crois que cela tient moins à la douceur des sons, à leur variété ou à leur harmonie, qu’à cette idée de joie qu’exprime naturellement le chant, en particulier celui-là, lequel est une sorte de rire que l’oiseau émet lorsqu’il est plongé dans le bien-être et le contentement.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 169.

David Farreny, 9 nov. 2005
proclivités

Quand ça me prend de circuler au creux des vagues

de gens chargés d’une journée de travail nul

et que je scrute chaque face pour trouver

je ne sais quel message en ces regards d’adultes

alors comme tant d’obsédés qu’on voit toujours

s’arrêter dans la foule grise dans la foule

molle bouffer avidement des yeux l’objet

précis qu’une vie tordue leur présente inlas-

sablement aux proclivités de leur désir

comme eux je m’arrête moi aussi et je plante

mon esprit dans le corps des enfants insouciants

car seulement en eux je vois que ça peut être

tellement beau la condition humaine ou bien

que ce serait tellement frais si je pouvais

me saisir de ces vies pour les humer de près.

Mais le jour peu à peu se dilue dans la brume :

il ne me reste de la rue que le bitume.

William Cliff, « La rue », Marcher au charbon, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 4 sept. 2009
puzzling

La quarantaine, célibataire, enseignante, la Frau Doktor ; et si intelligente que moi, avec mon petit savoir désordonné, vieillot et confus, je me sentais suspect au plus haut point. De plus, ce jour-ci, elle portait sa robe rouge, celle aux points noirs ; qui laissait voir son intéressante silhouette grande et maigre ; et c’était de nouveau à mon tour de raconter une histoire, si bien que malgré l’intimité de notre petit cénacle – la plupart du temps nous étions seuls – j’étais, comme toujours, terriblement gêné ; it’s puzzling work, talking is.

Arno Schmidt, « Histoire racontée sur le dos », Histoires, Tristram, p. 53.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
salauds

Il y avait ce jeune aurivergiste à cheval avec sa belle blonde, descendus déjeuner sous la paillotte où se retrouvent les membres des tribus les plus illustres de Rouen. Je n’ai rien contre la réussite matérielle. Si elle a tant de succès, c’est qu’elle plaît, et j’admets très bien que d’autres trouvent leur compte dans la possession d’objets chers sans se tromper plus que moi sur le sens de la vie. Mais prenons ce cas précis : cet homme possède un cheval, et un beau. Vous déplacer à cheval est plus confortable, va plus vite et vous confère généralement une image plus valorisante que vous déplacer à pied. Avoir une belle femme à son bras, de même, est plus satisfaisant que sortir avec une laide. Peu importe, je me demande : quand il arrête de paraître et qu’il retrouve sa blonde dans l’intimité, que se disent-ils, que partagent-ils de si intéressant, de plus intéressant que la plupart des gens ? Que moi ? Leur apparence doit perdre de sa superbe. Ils échangent des propos moins brillants. La platitude les écrase jour après jour jusqu’à la nausée. Salauds. Allez crever !

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 80.

Cécile Carret, 9 mars 2012
concentré

Oui, c’était avec cette lenteur, cette réflexion, ce silence, en ne se laissant troubler par aucune société, totalement concentré sur moi seul, sans conseils, sans louanges, sans attente, sans revendication, sans arrière-pensée aucune que je voulais plus tard exercer mon travail. Quel qu’il fût, il devait correspondre à l’activité que j’avais ici sous les yeux et qui si manifestement ennoblissait celui qui l’exécutait en même temps que son témoin de hasard.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 45.

Cécile Carret, 4 août 2013
inverse

Cracovie, où les cuisses miraculeuses s’ouvrent !

Cracovie, c’est l’espionne au poteau d’exécution !

Mais les soldats ne tireront pas.

Sa furie a désemparé la grossière mécanique du temps.

Les hommes recommenceront la vie en sens inverse,

L’officier redeviendra sperme au delta putride de sa mère.

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 63.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013
descente

Depuis le hublot de l’avion, les choses de ce monde te paraissent minuscules, dérisoires. Puis l’appareil amorce sa descente et tu redeviens peu à peu un gros con mesquin.

Éric Chevillard, « jeudi 7 mai 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 1er juin 2015
aimer

Mon Dieu, ne me permettez pas de tomber plus bas que je ne suis, au-dessous de moi-même. Laissez-moi dans ma misère ordinaire, qui est d’écrire afin d’aimer, non d’être aimé…

Richard Millet, « 20 février 1997 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 20 avr. 2024
distance

Au fond, le politique ne m’intéresse que par misanthropie, dans une saine distance ou la contemplation fascinée de la bêtise humaine, et je ne me sens pas entièrement désigné par la définition fondatrice de la pensée politique occidentale — celle d’Aristote qui, dans sa Politique, dit que « l’homme est naturellement un animal politique, destiné à vivre en société ». Qu’on me permette de préférer ce qui suit, dans la même phrase : « Celui qui, par sa nature et non par l’effet de quelque circonstance, ne fait partie d’aucune cité est une créature dégradée ou supérieure à l’homme. » Soyons donc dégradés ou supérieurs, ou trouvons notre supériorité dans cette forme singulière de dégradation qu’est le fait de s’écarter de la dimension naturelle du politique, puisque l’État me garantit une liberté qui n’est en vérité qu’un champ de restrictions juridiques.

Richard Millet, « 5 », Désenchantement de la littérature, Gallimard.

David Farreny, 7 mai 2024

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