rationnelle

La sédentarité défiante, opiniâtre qu’on pratiquait était rationnelle.

Pierre Bergounioux, La puissance du souvenir dans l’écriture, Pleins Feux, p. 18.

David Farreny, 23 mars 2002
précise

Nous avions toujours su qu’il ne s’agirait que d’une bande d’herbe mouillée longeant une route de campagne, et que ce serait à la fin du voyage ce doigt tendu avec obstination vers les graminées fauchées dont la verdeur elle-même nous a fait mal. Déjà, rien ne s’était produit ici, et sans le secours de ce doigt d’un paysan qui nous présentait le tournant, nous ne saurions pas où il est mort. Nous dirions qu’il est mort à l’entrée de Meursac, tout en sachant qu’on ne meurt pas à l’entrée d’un village. On meurt dans la surface précise de sa taille exacte, et ce n’est jamais l’entrée d’un village.

Bernard Lamarche-Vadel, Vétérinaires, Gallimard, p. 80.

David Farreny, 3 déc. 2002
grimace

Les années passant, je me suis mis à mal supporter les dîners à plus de quatre convives où, le vin aidant, propos et attitudes finissent toujours par se décaler, fût-ce légèrement, pour derrière la façade aimable d’un ami très cher, faire place à la grimace plus ou moins supportable d’un parfait inconnu. J’ai donc pris le risque de passer pour un triste sire, m’étant aperçu que je n’avais nulle envie de découvrir chez les autres quoi que ce soit qu’ils n’aient eu expressément envie de me dire.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 10.

Élisabeth Mazeron, 13 oct. 2007
las

Ce serait donc un homme si las (mais ce jour-là seulement, peut-être ; inutile d’en faire un trait de caractère), ou bien si cruellement blessé, si profondément apeuré, d’une pudeur tant exaspérée, que sais-je, ou si mécontent de lui-même, tellement échaudé par le mauvais succès de toutes ses récentes initiatives sociales, intellectuelles, sentimentales, qu’importe (et celles-ci parfaitement contradictoires, pourtant), bref si durement rabroué par les ultimes leçons dont l’aurait gratifié l’existence, qu’il ne pourrait plus supporter l’idée d’émettre le moindre sens. S’exposer encore au jugement de quiconque, courir une nouvelle fois le risque, ou plutôt s’assurer l’épreuve, de malentendus inédits, de neuves moqueries, de camouflets ou de coups de règle sur les doigts, de niaises admirations, de compliments déplacés et d’insultes, de dédains ou d’humiliantes flatteries, se commettre, en somme, une fois de plus avec la vie, extraire du fond de sa bêtise ou de sa méchanceté, de son ombrageuse humeur, de sa tendresse ou de son exaspération, du tréfonds disparate de son moi, les échantillons les plus purs, les mieux décaparaçonnés, de ce qu’il est, de ce qu’il pense, de ce qu’il ressent, médite, projette, pour les placer sous les yeux du monde — celui-ci ne serait-il au demeurant qu’un ami, l’amour, la blanchisseuse, trois lecteurs —, tirer encore une fois par la manche le sort, paraître à nouveau s’accrocher aux basques du destin, se manifester derechef auprès des vivants, présenter ses doléances au hasard, faire le moindre bruit, dire quoi que ce soit, il n’aurait plus, de tout cela, ni la force, ni le courage, ni la plus mince envie.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 9-10.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
lambin

Une volée de marches. Sonner chez Eduard. Attendre tranquillement. Puis resonner deux fois : il n’était pas très rapide quand il devait se dépêtrer du fouillis de ses rêves.

 : « Eh mais ? ! » (moi ; étonné).

Car il existe bel et bien des gens qui, en ouvrant la porte, possèdent cette faculté d’examiner le visiteur d’un air si absent, si déconcerté-incrédule, qu’on se sent aussitôt inférieur ; une chose intermédiaire entre le commis voyageur et le mendiant ; on a envie de se protéger le visage du bras et de dévaler l’escalier ; avec l’impression d’être un fainéant, un lambin, un importun, un sarcopes minor – oh, vite, de l’air ! !

Arno Schmidt, « À la lunette », Histoires, Tristram, p. 126.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
œilleton

Éveillé en sursaut, Papantoniou s’assit dans le lit, réalisa, plongea sur le parquet, amorça une pompe, rampa, poings fermés, vers l’entrée, sous la table, sous une chaise, le bassin coinça, marche arrière, atteignit la porte, se releva en catimini.

L’œilleton tordit deux hommes plantés. L’énorme index de l’un passa devant le judas. Instantanément, la sonnette feula.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 55.

Cécile Carret, 9 déc. 2009
lampe

L’obscurité de la lune invisible. Les nuits à peine un peu moins noires à présent. Le jour le soleil banni tourne autour de la terre comme une mère en deuil tenant une lampe.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, p. 54.

David Farreny, 18 mai 2011

J’ignore si les gens, globalement, s’intéressent aux volcans d’Auvergne. S’ils ont à l’esprit qu’il s’agit de volcans, même éteints. Personnellement, je tends à l’oublier. Je m’avançais dans un paysage de petite montagne, avec des mamelons et peu d’à-pics, et j’observais la végétation. À un moment, je suis descendu de voiture et me suis avancé en grimpant vers des bosquets d’épineux. Il n’y avait personne, le sol était pelé, il recommençait à faire chaud. Je me suis dit que tout était quand même très beau, très silencieux, très hostile. Qu’on voyait très loin, trop. Que je ne détestais pas la montagne mais que la question était de savoir ce qu’elle faisait là, et pour qui. Je doutais de tout ça.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 13.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
longue

Le temps qui t’est imparti est si court que, dès que tu as perdu une seconde, tu as déjà perdu ta vie entière ; car elle n’est pas plus longue que cela ; elle est toujours exactement aussi longue que le temps que tu perds.

Franz Kafka, « Défenseurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 645.

David Farreny, 21 déc. 2011
désenchanteresse

L’éventualité de partir jette une clarté désenchanteresse sur l’histoire à laquelle je me suis trouvé mêlé. Sans doute fallait-il la juger importante lorsqu’elle était en cours. Elle devient singulièrement insignifiante quand elle semble pour s’achever.

Pierre Bergounioux, « vendredi 25 décembre 2009 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 1095.

David Farreny, 26 fév. 2012
fraîcheur

Nous flottons dans une langue de bas-empire, dont l’arrogante oralité a rendu en peu d’années obsolètes des siècles de rhétorique et rendu obscurs les monuments linguistiques ; nous marchons dans les décombres d’une grande civilisation dont nous devenons les Grecs et les Latins ; nous en appelons déjà aux générations à venir sans être certains que notre Antiquité sera en rien représentative ni qu’un balancier historique nous assurera que ces générations nous liront : ce qui revient dans l’éternel retour, et qui est notre seul espoir, c’est la fraîcheur du questionnement.

Richard Millet, « 5 », Désenchantement de la littérature, Gallimard.

David Farreny, 7 mai 2024

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