être

L’être est un non-sens, mais un non-sens qui a des dents.

Antonin Artaud.

Bilitis Farreny, 21 mars 2002
hydraulique

Elle roucoulait, gargarisante, la salive chuintée, et s’enfilait enfin, doucement, doucement, se poignardait au ventre, droite, par degrés, sans un mot, sans un cri, hagarde, défaite, vous coiffait de sa vulve excentrique, chapeau molletonné, descendait tout au long, depuis le vit, s’alourdissait, sans heurt, se pénétrait, ascenseur hydraulique surchauffé d’un immeuble insonore.

Louis Calaferte, Septentrion, Denoël, p. 65.

David Farreny, 21 mars 2002
mangent

Vivre reste une affaire dont les moyens mangent la fin.

Pierre Bergounioux, « Vie domestique », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 45.

David Farreny, 24 mai 2002
gravifique

On n’est pas fait pour les dévers. On n’a pas l’organisation penchée qui permettrait de compenser la fuite du sol, l’allure dissymétrique du dahu. Lorsqu’on ne s’échine pas à surmonter la limitation que la hauteur a partout dressée, c’est en bas, dans la combe, qu’on a sa place naturelle. Tout y ramène, le relief et la vertu gravifique, l’espace plus ou moins découvert, l’eau, la lumière qu’on trouve à l’état pur, et non pas en décoction, pleines d’ombre et de terre, d’herbe et de branchages. C’est dans la verticale que s’inscrit l’axe directeur de l’expérience, en bas que se concentrent ses occasions et ses objets, qu’elle a son penchant.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 12.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
ou

Mon orgueil et mon délaissement étaient tels, à l’époque, que je souhaitais être mort ou requis par toute la terre.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, p. 141.

David Farreny, 4 janv. 2009
subversion

Il n’y a pas de défaut dans la cuirasse des heureux du monde postsoixante-huitard. Ils ont le stéréotype sulfureux, le cliché rebelle, la doxa dérangeante et bien meilleure conscience encore que les notables du musée de Bouville décrits par Sartre dans La nausée. Car ils occupent toutes les places : celle, avantageuse, du Maître et celle, prestigieuse, du Maudit. Ils vivent comme un défi héroïque à l’ordre des choses leur adhésion empressée à la norme du jour. Le dogme, c’est eux ; le blasphème aussi. Et pour faire acte de marginalité, ils insultent en hurlant leurs très rares adversaires. Bref, ils conjuguent sans vergogne l’euphorie du pouvoir avec l’ivresse de la subversion. Salauds.

Alain Finkielkraut, « Les conformistes rugissants », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 102.

David Farreny, 25 janv. 2010
orbe

La chasteté subie, je la mesure dans le passage des jours et des nuits, le soir au moment de fermer les volets, en un geste un peu maniaque, pour aller me coucher seul. La banalité du geste est comme la fermeture d’une geôle, celle de la solitude, de la nuit où je serai reclus, incarcéré dans un temps qui s’écoule et s’épuise, certes pas inemployé, mais privé de l’amour comme rencontre de ce qui est étranger, mise à nu, risque où l’on s’éprouve réel et lié au réel.

Pas fait l’amour depuis lundi matin, depuis jeudi soir, depuis trois mois (sauf le soir où j’ai un peu touché L.), depuis à peu près deux ans (la dernière fois c’était avec S. avant qu’elle ne tombe malade, donc c’était en… je ne sais plus au juste).

La chasteté sait alors vous entraîner dans son orbe, son humeur, dans sa régularité partiellement confortable : elle devient la règle et l’habitude, la norme. C’est en elle qu’on vit. Les événements, ceux qui animent la vie, sont tout sauf d’ordre sexuel.

Cette tranquillité dans laquelle on se coule est la conséquence d’un renoncement qui écarte les tourments du désir et des fantasmes. […]

Pendant de longs moments, durant des jours, avant que l’occasion d’une pensée ou d’une chose vue ne ravive désir ou regret, on habite la plénitude du temps libéré de ce souci, comme cela arrive au fumeur désintoxiqué.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 69.

Cécile Carret, 13 mars 2011
heurté

Elle portait le costume ordinaire des Laponnes, et n’y avait ajouté pour la solennité qu’une coiffe-casque ornée de petites plaques d’argent, derrière laquelle pendait une énorme touffe de rubans de coton tramés de cuivre et d’argent. Les libéralités de sa famille ou de son fiancé lui avaient, en outre, permis d’attacher après elle une quantité de petits fichus de laine ou de coton de fabrique anglaise, choisis des couleurs les plus éclatantes. Tout cela était accroché autour d’elle pêle-mêle, comme à un portemanteau, et ces tons tranchés, ces lambeaux flottants, ce désordre criard et heurté, contribuaient à rendre son costume aussi disgracieux que sa personne.

Chacun se tenait debout et en silence autour de la chaire. Bientôt le ministre arriva. Il lut les versets consacrés, unit les mains des époux, échangea leurs anneaux, puis leur fit en langue laponne une allocution qui dut être touchante, car tout le monde se mit à pleurer à chaudes larmes.

Mon ignorance de la rhétorique laponne ne me permit pas de prendre part à l’émotion générale ; mais en regardant les contorsions de physionomie de tout cet horrible petit monde, j’entrevis à la laideur humaine des horizons variés et infinis que je n’avais même pas soupçonnés jusqu’alors.

Cette partie de la cérémonie achevée, le marié retourna au milieu de ses amis d’un côté de l’église, et la mariée près de ses compagnes de l’autre ; puis toute l’assistance entonna un psaume d’une voix fausse et rauque à faire fuir des ânes.

Léonie d'Aunet, « Lettre V. Les Lapons », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 143.

David Farreny, 8 sept. 2011
promptes

Il faisait beau ; et je marchais le long d’un coteau sec et jaune.

La respiration sèche et irrégulière des plantes, en été… qui semblent prêtes à mourir. Les insectes grésillent, perçant la voûte menaçante et fixe du ciel blanc.

Au bout d’un certain temps, quand on marche sous le soleil, en été, la sensation d’absurdité grandit, s’impose et envahit l’espace, on la retrouve partout. Si même au départ vous aviez une direction (ce qui est hélas fort rare… la plupart du temps, on a affaire à une « simple promenade »), cette image de but s’évanouit, elle semble s’évaporer dans l’air surchauffé qui vous brûle par petites vagues courtes à mesure que vous avancez sous le soleil implacable et fixe, dans la complicité sournoise des herbes sèches, promptes à brûler.

Au moment où une chaleur poisseuse commence à engluer vos neurones, il est trop tard. Il n’est plus temps de secouer d’une crinière impatiente les errements aveugles d’un esprit capturé, et lentement, très lentement, le dégoût aux multiples anneaux se love et affermit sa position, bien au centre du trône, du trône des dominations.

Michel Houellebecq, Le sens du combat, Flammarion, p. 62.

David Farreny, 12 mai 2012
marcher

Traverser un jardin, ce n’est pas marcher.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
origine

Toute photographie est prise depuis l’origine du monde — il s’agit en effet de savoir ce qu’il est devenu. On se glissait d’ailleurs sous la jupe des premiers appareils à trépied pour y voir plus clair.

Éric Chevillard, « lundi 31 décembre 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 1er mars 2024

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