apéritifs

Prévenez-moi si la vie commence

je ne voudrais pas rater ça

les heures deviennent longues

entre les apéritifs

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.

David Farreny, 20 mars 2002
sent

Ce conflit consiste en ceci que la philosophie dévore la poésie. Elle se l’incorpore. Ainsi, tout en l’adorant parfois, comme Heidegger, elle l’annule. Qu’elle le sache ou non est sans pertinence.

Exemple récent, largement diffusé, c’est le moins qu’on puisse dire : Derrida. Il faudrait chercher en quoi ce mode de pensée correspond tellement à l’époque. Je crois qu’il s’inscrit dans le anything goes du pousse-moderne. Favorise, et pseudo-théorise le ludique généralisé. Ce laxisme sent.

Henri Meschonnic, Célébration de la poésie, Verdier, p. 53.

David Farreny, 1er août 2002
boudoir

Solipsiste affolé, il aménageait comme un boudoir ses sorties de cauchemars.

Jean-Jacques Bonvin, La résistance des matériaux, Melchior, p. 58.

David Farreny, 12 mars 2003
république

Et les soirs de 14 Juillet commencés pourtant dans la bonne humeur, son uniforme neuf astiqué, entre les clairons et les trois couleurs, les zouaves et les turcos, le ciel bleu, les soirs de prise de la Bastille on n’a rien pris et on finit par rester tout seul à une table dans un bistrot près du port, avec devant soi la mer qui est noire, les amis qui vous ont laissé à vos radotages, les jeunes mauvais qui vous regardent et rient avec les écaillères, la blanche qui coule dans la barbe et l’uniforme neuf qu’on a taché, et quand en colère on se lève, qu’on pousse la chaise et qu’elle tombe, ce n’est plus révolte, ce n’est plus acompte pris sur la république à venir, c’est la république elle-même qui tombe dans cette chaise qu’on regarde avec stupeur et quelque chose comme des larmes, ultimes mais qui pourtant ressemblent à du bonheur, la république délicieusement perdue, effondrée là, dans le passé ; quand on rentre à plus de minuit on est un vieil homme saoul, et dans une ruelle obscure où l’on reprend souffle on voit les feux d’artifice éclater là-haut soudain comme des dahlias de Vincent, quelles mains les cueillent, quel troupeau céleste les broute, et alors on faiblit, comme une bonne femme on se dit que Vincent est au ciel. On lui parle.

Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin, Verdier, p. 50.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2007
glaires

Accepteriez-vous de nous montrer un échantillon de vos brouillons ?

— Je suis au regret de devoir refuser. Seules les nullités ambitieuses ou les médiocrités joviales exhibent leurs brouillons. C’est un peu comme si l’on distribuait des échantillons de ses propres glaires.

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 12.

David Farreny, 4 mars 2008
interroger

Quand je n’ai pas dormi, je pose des questions à tort et à travers. J’en poserais indéfiniment : ne pas dormir c’est interroger ; si on connaissait la réponse, on dormirait.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 139.

David Farreny, 4 mars 2008
sténographiquement

Il fit si sombre que nous n’arrivions plus à distinguer la route ! (Ou plutôt non ; pas de point d’exclamation : ça ne s’est tout de même pas produit aussi sténographiquement vite ; déjà que j’ai la réputation de me trimballer avec un sac plein de points d’interrogation et d’exclamation, de vociférations donc : ce n’est pas vrai ! !).

Arno Schmidt, « Parasélène & Yeux roses », Histoires, Tristram, p. 158.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
destin

Reste à savoir si nous ne devrions pas être décimés un peu plus souvent peut-être, étant donné que sans cela, l’air dont nous avons besoin pour respirer pourrait bien venir à manquer. Les rangs de nos pères étaient éclaircis à intervalles réguliers. Après un de leurs orages guerriers purificateurs, seuls quelques-uns relevaient la tête. Ceux-ci mettaient de l’ordre dans les affaires restées en suspens, rangeaient, et fécondaient les femmes qui restaient. Celui qui savait tenir un stylo à peu près droit devenait écrivain et professeur d’écriture, celui qui savait tenir un pinceau devenait peintre et professeur de peinture, celui qui savait tenir de la farine devenait boulanger et professeur de boulangerie, celui qui était cultivé devenait cultivateur et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les vides soient comblés et que ces gentils humains provisoires soient relayés par leurs descendants. Puis il y avait à nouveau une épidémie ou une bataille qui faisait de la place. De nos jours, les gens doivent se livrer à une lutte impitoyable pour avoir une place au soleil et, de ce fait, gagner aussi parfois leur vie avec les idées les plus insolites, par exemple en exigeant davantage de destin.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 202-203.

David Farreny, 11 mars 2010
compagne

Je me suis réveillée en sursaut. La lune tremblait à travers le grillage qui obture la fenêtre, elle était ronde et petite, d’un ivoire sordide, elle avait la fièvre, elle ne cessait de frissonner bizarrement. C’est aussi que j’ai une maladie qui affecte ma vision nocturne. J’ouvre les yeux, et, dans les images que je reçois, les taches lumineuses dérivent ou s’agitent. Aucun bruit humain ne rôdait ailleurs dans le bâtiment, ma respiration n’avait pas de compagne.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 198.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
explication

Rien n’est plus réaliste, et je veux dire pour une fois conforme à la vérité de l’expérience, que ces invraisemblables coups de théâtre, chez Proust, qui font se rejoindre, avec le temps, les mondes apparemment les plus éloignés, transformant Mme Verdurin en princesse de Guermantes, Gilberte Swann en marquise de Saint-Loup, Saint-Loup lui-même en amateur passionné de garçons, et Octave-dans-les-choux, cet imbécile, en rénovateur génial de toute la sensibilité artistique de son époque. À vieillir, c’est bien là l’une des principales consolations. On dirait même que l’on finit par avoir l’explication de tout. Mais c’est seulement lorsque l’on n’y tient plus.

Renaud Camus, « samedi 16 juillet 1988 », Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 229.

David Farreny, 21 août 2011
façon

Elle vit un échalas crasseux à la longue tignasse grise, vêtu d’un simple sac postal ficelé à la ceinture et chaussé de sandales sonores. Elle était seule dans la rue avec lui. Quand elle jetait un œil dans son dos, l’homme détournait le regard, ralentissait et inclinait la tête d’une façon coupable. Ensuite elle reprenait sa marche, et lui de même, faisant claquer ses mauvaises sandales comme s’il venait de les voler à quelqu’un le surpassant de trois pointures. […] Le cochon de lait roula au sol dans son torchon et elle se jeta dessus à plat ventre. L’homme la prit par les cheveux et la redressa.

— Donne-moi ton c’chon. Ton c’chon !

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 38.

Cécile Carret, 9 mars 2012
réponses

car personne ne sait vraiment le savoir. tout le monde a la science à chacun. mais que savoir du savoir et pour quoi faire ? pourquoi ne pas se suicider tout de suite, après tout ? je n’ai aucune réponse à la vie. toutes les vies sont des réponses, mais il n’y en a aucune de bonne. car il n’y a pas de question.

Charles Pennequin, « Il n’y a jamais eu d’avancée… », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 124-125.

David Farreny, 11 fév. 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer