rompre

Lazare disait encore : Je suis fatigué de ce pays qui ne peut rien pour un gars comme moi, mais, si je rentre, j’aurai l’impression d’avoir vieilli inutilement alors qu’ici, où il n’y a rien à faire, ma jeunesse s’étire sans se rompre.

Marie NDiaye, Rosie Carpe, Minuit, p. 249.

David Farreny, 27 déc. 2002
registre

Le vrai fou est celui qui se fait à lui-même toutes les objections de la raison et s’en accommode à merveille, comme si elles relevaient d’un autre registre de l’existence.

Renaud Camus, « samedi 1er février 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 68.

David Farreny, 30 avr. 2006
rassurant

Le réveil qui sonne le matin renvoie à la possibilité d’aller à mon travail qui est ma possibilité. Mais saisir l’appel du réveil comme appel, c’est se lever. L’acte même de se lever est donc rassurant, car il élude la question : « Est-ce que le travail est ma possibilité ? » et par conséquent il ne me met pas en mesure de saisir la possibilité du quiétisme, du refus de travail et finalement du refus du monde et de la mort.

Jean-Paul Sartre, « L’origine du néant », L’être et le néant, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 11 oct. 2008
habitude

[…] Cette mort matérielle, temporelle, normale et non irrégulière, essentielle pour ainsi dire et non accidentelle, régulière et non anormale, physiologique et non mécanique, cette mort usuelle de l’être, cette mort usagère est atteinte quand l’être matériel est plein de son habitude, plein de sa mémoire, plein du durcissement de son habitude et de sa mémoire, quand tout l’être matériel est occupé par l’habitude, la mémoire, le durcissement, quand toute la matière de l’être est occupée à l’habitude, à la mémoire, au durcissement, quand il ne reste plus un atome de matière pour le nouveau qui est la vie.

Charles Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne.

David Farreny, 5 juil. 2009
intermède

Au sortir de l’adolescence s’ouvre un intermède décevant auquel on ne conçoit pas de fin. Une fois encore, j’aurais eu besoin, j’ai attendu qu’on me dise. Le dépit de me découvrir embarrassé de termes empruntés, inopérants sur les choses concrètes, rétives de toujours, pour cuisant qu’il fût, m’aurait moins affecté si je l’avais su inévitable, peut-être passager. J’aurais laissé à celui que je serais ultérieurement devenu le soin d’une opération que j’avais crue toute simple et qui ne l’était pas. J’avais cédé une année de la seule vie qui vaille, puis deux puis d’autres, encore, au terme de quoi je comptais que le chapitre obscur par où j’ai commencé serait expliqué. Je saurais. Je serais libre. Je m’établirais à l’endroit où j’attendais, en quelque sorte, ma propre venue.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, pp. 76-77.

Élisabeth Mazeron, 27 mai 2010
étincelle

Que des bonnes questions, aucune réponse. Il faudrait que je m’astreigne à des mois — des années ! — de diète de lecture, que je trouve la force de me soustraire à la stérile intelligence des livres… pour que jaillissant de moi ou du ciel, de la terre ou du sang, ou même de nulle part, une étincelle annihile à jamais toute question et toute réponse.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 58.

David Farreny, 27 juin 2010
longue

Le temps qui t’est imparti est si court que, dès que tu as perdu une seconde, tu as déjà perdu ta vie entière ; car elle n’est pas plus longue que cela ; elle est toujours exactement aussi longue que le temps que tu perds.

Franz Kafka, « Défenseurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 645.

David Farreny, 21 déc. 2011
mouvant

Un nuage de grandes mouettes nous accompagne et fait au-dessus des mâtures un ciel mouvant et vertigineux qui chavire dans tous les sens.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 49.

Cécile Carret, 18 juin 2012
renoncé

Dans le sommeil, on ne sait où,

le soleil tourne dans un trou.

Soleil cuis-moi, mûris ma chair comme un concombre,

j’ai renoncé tu sais, j’ai accroché mon ombre,

la mer peut désormais s’en aller

toute seule.

Je te hais, te caresse et te vomis angoisse,

la terre reste mais l’eau passe, valse,

porté au plus haut de la houle

je crie : quelle vague me roule ?

Je ne sais pas la route, il n’y a pas de route —

pourquoi me suis-je donc confié à la mer ?

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, pp. 57-58.

David Farreny, 21 juin 2013
beauté

Mon amie avait toujours qualifié les autres de beaux – c’était le premier être à qui, intérieurement, j’appliquais ce mot. Je n’échangeais jamais avec lui d’autres mots que ceux des saluts, des commandes et des remerciements ; il ne parlait pas aux clients, ne disait que le strict nécessaire. Sa beauté venait d’ailleurs moins de son aspect que d’une attention constante, d’une vigilance aimable. Jamais on n’avait besoin de l’appeler ni même de lever le bras : debout dans le coin le plus reculé de la salle ou du jardin, où il s’installait quand il avait un moment de liberté, et rêvant apparemment à quelque lointain, il embrassait tout le secteur du regard et suivait la moindre mimique, la prévenait même, incarnant l’image de la « prévenance » d’une autre manière que le ferait l’idéal d’un manuel de savoir-vivre. […] Curieux aussi le soin avec lequel il traitait les objets les plus ordinaires ou les plus détériorés (il n’avait pratiquement que de ceux-là à l’auberge) : la façon dont il vérifiait le parallélisme des couverts de fer-blanc, dont il essuyait le bouchon en plastique du flacon de condiment. Une fois, il se tenait debout, en fin d’après-midi, dans la pièce nue et vide, regardant, immobile, devant soi, puis il se dirigea vers une niche éloignée et eut pour la carafe qui s’y trouvait un geste tendre qui emplit d’hospitalité la maison tout entière.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 177.

Cécile Carret, 21 sept. 2013
ressentent

Dans les magasins, j’aime bien quand les gens dans un rayon me glissent : c’est une bonne confiture ; je leur prête une oreille sincère. J’achète le pot, j’aime bien goûter, pour ressentir ce qu’ils ressentent. C’est le grand mystère, cette impossible lecture directe de ce que sentent les autres, comment ils ressentent. Ce qu’ils pensent.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 117.

Cécile Carret, 26 sept. 2013
mode

Son ressentiment était une réponse à tout. Une réponse associant une part de souffrance et une part de jouissance. Une réponse légèrement névrotique, bien sûr, mais une réponse qui tenait la route dans la plupart des circonstances et qui la dotait d’une réelle sûreté. Devais-je essayer de l’aider à aborder l’existence différemment ? Rien n’était moins sûr. D’abord, après tout, je n’étais pas psy. Ensuite, elle ne désirait manifestement pas changer. Elle disposait d’un mode d’emploi pour la vie. Ce n’était peut-être pas le meilleur, mais c’était un mode d’emploi. Cela lui garantissait un minimum de solidité face aux événements. Dès qu’on aborde l’âge adulte, on ne prend plus le risque de changer de mode d’emploi.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, p. 109.

David Farreny, 20 fév. 2015
phrase

Tant que la phrase n’est pas écrite, tout reste à vivre.

Éric Chevillard, « vendredi 26 avril 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 8 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer