horreur

De brusques montées d’horreur. Horreur de l’amour physique, de l’accouplement, à m’évanouir de dégoût. Horreur de la parole quotidienne, qui va de l’un à l’autre, et charrie toute notre vulgarité, notre mesquinerie, notre néant. Horreur de figurer dans une pièce sans queue ni tête, dans cette sale socialité. J’en suis arrivé à ne plus pouvoir me « changer ». Je porte le même pantalon, les mêmes godasses, la même veste, depuis des années. Bien forcé d’en rabattre, tout de même, avec le slip, la chemise, les chaussettes… Horreur qui se colle à moi, qui m’envahit, comment rentrer chez soi, comment supporter qu’on ne s’en aperçoive pas, qu’on me parle comme si de rien n’était ! Comment ne pas exploser, être dur, se faire rembarrer, rentrer dans le drame…

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 103.

David Farreny, 13 avr. 2002
attendant

Mais Crab ne trouve pas à s’employer. On lui préfère à chaque fois un autre candidat, plus motivé. Et Crab rejoint ses compagnons, car il n’est pas le seul volontaire rabroué et il a fini par lier connaissance avec tous ces hommes en réserve de la vie — ces êtres qui palpitent dans un infinitif pétrifié —, qui un jour peut-être seront appelés, mais ne savent plus quoi lire en attendant.

Comment occuper ce corps sans rôle qui fonctionne inutilement, que faire de cette tête qui tourne à vide ? Il faudrait procurer un travail au premier, des distractions à la seconde. C’est ainsi que Crab passe le plus clair de son temps à se donner des gifles.

Éric Chevillard, La nébuleuse du crabe, Minuit, p. 63.

David Farreny, 2 sept. 2002
oisif

Oisif demeuré tout le week-end — conçu de cela aucun remords.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 145.

David Farreny, 15 nov. 2002
affirmation

Point d’affirmation que ne puisse annuler une affirmation contraire. Pour émettre la moindre opinion sur quoi que ce soit, un acte de bravoure et une certaine capacité d’irréflexion sont nécessaires, ainsi qu’une propension à se laisser emporter par des raisons extra-rationnelles.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 72.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
traversier

Sentiment de l’infini, de la présence de l’infini, de la proximité, de l’immédiateté, de la pénétration de l’infini, de l’infini traversant sans fin le fini. Un infini en marche, d’une marche égale qui ne s’arrêtera plus, qui ne peut plus s’arrêter. Cessation du fini, du mirage du fini, de la conviction illusoire qu’il existe du fini, du conclu, du terminé, de l’arrêté. Le fini soit prolongé, soit émietté, partout pris en traître par un infini traversier, débordant, magnifique annulateur et dissipateur de tout « circonscrit », lequel ne peut plus exister.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 12.

David Farreny, 21 oct. 2005
restelet

Si je ne tiens pas compte de mes heures de sommeil, je suis la proie de deux types de temps : celui bête et brutal qui souffle en tempête de 8 h 30 à 16 h 30 et l’autre — le pauvre restelet — sur lequel je mise absurdement, qui est informe, déliquescent, désespérant, nul.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 10.

David Farreny, 5 juil. 2009
rien

Le rien défini comme pure absence de choses porte un autre nom, l’effroi ou le vertige. Le rien est donc plutôt le refus des choses après examen. Un examen succinct, dégoûté, un examen malgré tout, une estimation. Non, non, non et non, dit le rien, sans passion, sans colère, mais une fermeté que l’on n’attendrait pas d’une notion aussi lâche. Non, c’est non. Et il n’y a pas de mais.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 43.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
négative

Nous pouvons être d’avis qu’il y a de l’entendement dans le comportement des étoiles les unes par rapport aux autres ; mais elles relèvent de la répulsion morte. […] L’armée des étoiles est un monde formel, parce que seule cette détermination unilatérale dont il vient d’être question s’y fait valoir. […] On peut vénérer les étoiles en raison de leur calme, mais elles ne sont pas à mettre, quant à la dignité, au même rang que l’être individuel concret. Le remplissement de l’espace est l’éruption d’une multitude infinie de matières, mais c’est là seulement la première éruption à pouvoir divertir le regard. Cette éruption de lumière est aussi peu digne d’admiration qu’une éruption en l’homme ou que la multitude des mouches. Le calme de ces étoiles intéresse l’âme de plus près, les passions s’apaisent lorsqu’on intuitionne ce calme et cette simplicité. Mais ce monde n’a pas, quand on se tient au point de vue de la philosophie, l’intérêt qu’il a pour la sensation. Qu’un tel monde s’étende en tant que multitude dans des espaces incommensurables, cela ne signifie absolument rien pour la raison ; c’est ce qui est extérieur, vide, l’infinité négative.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 375.

David Farreny, 28 fév. 2011
volubilité

Six cents ans plus tard, la famille était assemblée autour de la table du déjeuner. Pour l’occasion, le père avait passé un veston de velours. Nous bûmes le vin de ses vignes. C’était un vin de dimanche, grisant, jeune et bavard, dévot, oisif, issu de malvasia, de trebbiano et de sangiovese. Cette litanie des cépages était le début de la volubilité. Nous parlâmes de contrées que ni eux ni nous n’avions visitées, de l’éducation des enfants, de la ville, de l’automne qui approchait, des vendanges.

Baptiste s’était endormi. Nous l’avions couché dans un grand salon frais, obscur, et sur le berceau se penchaient les tableaux champêtres, les bergers jouant du flûtiau, les nymphes dansant au clair de lune, le front et le crâne de saint Jérôme.

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 117.

David Farreny, 20 juil. 2014

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