métriques

Le port sécrète de l’avenir, réconforte avec ses quintaux métriques d’éléments vitaux et premiers.

Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, pp. 64-65.

David Farreny, 22 mars 2002
s’ennuyer

De retour chez lui, il monte dans sa chambre, tire les rideaux, se glisse dans son lit, éteint la lumière. Cette nuit encore, ses rêves seront fabuleux. Assez des vieilles histoires de famille et de leurs pauvres variantes œdipiennes, de la nostalgie rancunière, des visites répétées du grand-père défunt et autres apparitions nocturnes du boulanger quotidien. Il n’y a vraiment aucune raison de s’ennuyer en dormant.

Éric Chevillard, Un fantôme, Minuit, p. 105.

David Farreny, 24 mars 2002
diables

aller chez les grossistes pour retrouver ce plaisir

sucre lourd comme du ciment

papier vendu au kilo et porté par des diables

Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 38.

David Farreny, 13 avr. 2002
boire

Après les circonstances que je viens de rappeler, ce qui a sans nul doute marqué ma vie entière, ce fut l’habitude de boire, acquise vite. Les vins, les alcools et les bières ; les moments où certains d’entre eux s’imposaient et les moments où ils revenaient, ont tracé le cours principal et les méandres des journées, des semaines, des années. Deux ou trois autres passions, que je dirai, ont tenu à peu près continuellement une grande place dans ma vie. Mais celle-là a été la plus constante et la plus présente. Dans le petit nombre des choses qui m’ont plu, et que j’ai su bien faire, ce qu’assurément j’ai su faire le mieux, c’est boire. Quoiqu’ayant beaucoup lu, j’ai bu davantage. J’ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j’ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent.

Guy Debord, Panégyrique, Gallimard, p. 41.

Guillaume Colnot, 18 juil. 2002
monter

Mes phrases voient monter en elles la contradiction avant qu’elles aient atteint leur verbe.

Renaud Camus, « samedi 7 février 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 61.

David Farreny, 15 fév. 2004
temps

Freins. De plus en plus de freins. Je mets du temps, beaucoup de temps dans ma stupeur pour remarquer ma stupeur.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 925.

David Farreny, 26 juin 2004
paucité

Un jour, peut-être, nous aussi, quand le béotisme aura vaincu, eh bien ! nous serons moines, s’il le faut ; nous protesterons par notre paucité.

Ernest Renan, Voyage en Italie, Arléa, p. 52.

David Farreny, 25 déc. 2004
maquignonnons

Tout est prétexte à sortilèges, les possédés tournent sur eux-mêmes l’écume aux lèvres en ronflant comme des toupies, toutes nos nuits sont traversées par le son des tambours et chacun consacre un peu d’énergie ou d’argent à se prémunir contre les manigances réelles ou supposées de ses voisins. L’honnêteté oblige cependant à reconnaître qu’à force de mitonner dans le chaudron de ma ville, nos démons ont eux aussi un peu fondu. Ils participent à l’enflure, au laisser-aller, à la léthargie générale et l’aubergiste qui est un homme avisé m’assure qu’ils sont en outre d’intarissables bavards. De leur côté, nos exorcistes ne brillent pas par leur vertu. Ce sont des fainéants assurés de leur bol de riz et qui n’observent aucune des abstinences qui les rendraient vraiment efficaces. De part et d’autre, le tranchant s’est émoussé. Nous maquignonnons avec nos ombres, nous ergotons avec nos fantômes et la plupart du temps on s’arrange à l’amiable.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 74-75.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
dérailler

Un mot est pris en croix entre la chaîne sonore dans laquelle il est engagé (phrase) et sa verticalité de sens multiples possibles. L’esprit va très vite, face à un énoncé pour connecter l’épais de chaque mot et le signifié approprié afin qu’au bout la chaîne fasse sens, globalement : phrase ou suite de phrases, texte.

Si la poésie semble parfois déroutante, c’est qu’elle fait souvent dérailler la chaîne « simple » du langage quotidien. Elle peut le faire de façon provocatrice, frontale, ou de façon plus « rusée » (James). J’aime mieux cette seconde manière, qui ne violente pas mais invite le lecteur à une circulation dans le poème, sans lui interdire la ligne droite, s’il la préfère. À lui de construire son trajet, chemin ou dédale.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 75.

Cécile Carret, 4 mars 2010
ouvre

Mais, pour le lecteur, quelle aubaine, un écrivain qui a du style ! Voici enfin toute l’expérience humaine reformulée. Tout est neuf – pas trop tôt ! C’est un enfant qui nous parle et qui, de plus, connaît tous les mots. La fleur, l’oiseau, la mort, le cageot, nous allons de révélation en révélation : c’était donc ça ! Il n’y a que les écrivains et la neige – mais elle fond – pour donner au monde un tel bain de fraîcheur.

Une langue que l’on comprend mais qu’on ne parle pas, que l’on sait lire mais pas écrire – étrange pays que nous visitons, où ne vit qu’un habitant – le premier ou le dernier homme ? l’un et l’autre sans doute. Un no man’s land de poussière grise et de végétation agressive – possiblement carnivore – en défend souvent l’accès. Et ces rouleaux hérissés, griffus, ronces ou barbelés ? On tâte du bout du pied le sol : il n’aurait tout de même pas des mines ? ! C’est autre chose en effet que l’allée de gravier blanc qui zigzague sur cinq mètres, entre deux parterres de gazon fleuri, jusqu’à la porte de notre maisonnette. Beaucoup vont reculer. Si l’on insiste pourtant, insensiblement le terrain change. Ou serait-ce seulement notre foulée qui gagne en aisance ? Le monde s’ouvre avec le livre. Nous avons à présent trouvé la vitesse de lecture qui convient, les volumes anguleux, les figures grimaçantes, toutes les formes revêches qui nous effrayaient au début s’y inscrivent harmonieusement : s’ensuit une nouvelle évidence qui cependant échappe au lieu commun de la représentation. Bonne gifle d’eau glacée sur nos têtes dodelinantes, réveil de la conscience assoupie, trop longtemps bercée par l’ennui ordinaire des jours, opacifiée par les idées reçues et leur formulation proverbiale.

Mais l’écrivain dépourvu de style, tenant de l’écriture blanche, neutre, plate, sans effets ni métaphore, fait le jeu de l’état des choses, redouble inutilement le réel, étend sur le sol la fameuse carte géographique aux dimensions du monde imaginée par Borges ; littérature de miroitier bègue à l’usage des singes et des perroquets. Faudra-t-il donc aussi mourir deux fois ?

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 91.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
mélanger

Il faudrait une vie pour être amoureux, une autre pour être érudit, une troisième pour être riche, et une autre encore pour être beau. Le drame est que nous sommes obligé de tout mélanger.

Jérôme Vallet, « Notations (4) », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024

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