naturelles

Aucun sacrifice ne modifiera les formes naturelles du mal.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 220.

David Farreny, 6 janv. 2006
trois

Je vous ai tant aimée car vous m’avez permis

de n’être plus moi-même au fond de vos trois chairs :

la très humide, la soyeuse et parfois l’autre,

imaginaire, où vous prenant et reprenant,

torture et griserie, je prenais les cent femmes

logées dans ma mémoire. Alors vous m’enleviez,

carnivore soudain, au nom de la douleur,

si pure en vous, si noble et douce, mes vertèbres.

J’étais heureux de m’allonger dans votre songe,

plus transparent que le regard, plus désinvolte

qu’une langue en voyage autour de vos seins nus.

Privé d’âme et de corps, je vous laissais le soin

de décider si je serais votre épagneul,

votre miroir brisé, votre peau de rechange.

Alain Bosquet, « Lettre d’amour », Sonnets pour une fin de siècle, Gallimard, p. 97.

David Farreny, 10 janv. 2007
conversation

Voilà une occasion de médire de ces petits précis à l’usage des touristes ; au cours de ce voyage, j’en ai possédé plusieurs, également inutilisables, mais aucun n’approchait le Manuel de conversation franco-serbe du professeur Magnasco, Gênes, 1907. Tout en anachronismes à donner le vertige, en dialogues badins, de ceux qu’imagine un auteur qui aurait rêvé la vie d’hôtel sans quitter sa cuisine. Ce n’étaient que bottines à tiges, pourboires infimes, redingotes et propos superflus. La première fois que j’y recourus — chez un coiffeur du quai de la Save, parmi les crânes tondus et les ouvriers en salopettes — je tombai sur :

Imam, li vam navostiti brk ? — dois-je cirer vos moustaches ? — question à laquelle il convenait de répondre aussitôt :

Za volju Bozyu nemojte pustam tu modu kikosima — à Dieu ne plaise ! je laisse cette mode aux damoiseaux.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 34.

Cécile Carret, 30 août 2007
après

Je ne peux pas raconter cela… cette histoire… parce que je raconte après coup. La flèche, par exemple. Cette flèche… Cette flèche, là, pendant le dîner, n’était pas du tout plus importante que la partie d’échecs de Léon, le journal ou le thé : tout se trouvait à un même niveau, tout concourait à ce même moment, dans une sorte de concert, de bourdonnement d’essaim. Mais aujourd’hui, après coup, je sais que le plus important était cette flèche, donc dans mon récit je la mets au premier plan et, d’une masse de faits indifférenciés, je dégage la configuration du futur.

Comment ne pas raconter après coup ? Ainsi il faudrait penser que rien ne sera jamais exprimé pour de bon, restitué dans son devenir anonyme, que personne ne pourra jamais rendre le bredouillement de l’instant qui naît ; on se demande pourquoi, sortis du chaos, nous ne pourrons jamais être en contact avec lui : à peine avons-nous regardé que l’ordre naît sous notre regard… et la forme.

Peu importe. Passons.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 41.

Cécile Carret, 11 déc. 2007
traverses

Des bonnes heures, des joies, nulle trace, en revanche. Elles se sont évanouies avec l’instant qu’elles ont duré. La mémoire est celle des revers et des traverses, des plaies, des larmes, des épreuves où l’on a failli être détruit, se perdre sans retour. Si je dure encore, quel chaudron de sorcière finira par devenir ma cervelle, quelle peine j’aurai à subir le sabbat des démons qui m’escortent et auxquels vont se joindre ceux de demain !

Pierre Bergounioux, « mercredi 10 février 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 669.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
empire

On diffère à un autre titre des montagnes ou des grains de poussière. Un grain de poussière qui atteindrait aux dimensions d’une montagne puis finirait par occuper la totalité de l’univers serait vraiment la seule chose. Alors que revêtu de l’ensemble des emblèmes de la puissance, couvert d’or, brillant d’un éclat tel qu’on en plisse les paupières, un type sera tenu de laisser subsister un espace de la taille d’un grain de poussière pour s’étendre et rayonner. Il aura besoin d’un autre type se regardant lui-même comme une tête d’épingle ou une miette de rien du tout pour fournir l’assurance qu’il est bien le seul. On acceptera la petite quantité de rien du tout qu’il est obligé de laisser subsister à l’extrême bord de son empire.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 28.

Élisabeth Mazeron, 3 juin 2010
inéluctable

Si inéluctable est une épée au-dessus de la tête, inéluctabilité n’en finit pas de se vider de son contenu.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 159.

David Farreny, 16 oct. 2014
tréfonds

Il y a pourtant tout ce qui piaffe au tréfonds d’une cellule bétonnée connue-inconnue de soi seul.

Jean-Pierre Georges, « Bonheur à suivre », Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 59.

David Farreny, 29 juil. 2016
infaillible

Si on avait une perception infaillible de ce qu’on est, on aurait tout juste encore le courage de se coucher mais certainement pas celui de se lever.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 994.

David Farreny, 7 mars 2024

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