prise

Vous voyez Beckett, le beau visage de Beckett taillé dans l’os, abrupt, sans prise pour les expressions vicieuses ou vulgaires, trop moites et qui décrochent. Vous voyez la haute silhouette altière de Beckett, la pointe aiguë de son œil éternellement jeune. Vous connaissez ses livres.

Éric Chevillard, « Les taupes », Scalps, Fata Morgana, p. 44.

David Farreny, 14 déc. 2004
moi

Cauchemar de l’escalier. — De l’entresol au cinquième, tout entier, devenu une bête, l’escalier se recroqueville, et moi qui au deuxième fumais une « Abdullah ».

Henri Michaux, « Mes rêves d’enfant », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 63.

David Farreny, 11 mars 2008
secousse

J’aimerais, une fois dans ma vie, une secousse paroxysmique.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 67.

David Farreny, 5 juil. 2009
obstacle

Aller à la fenêtre. (Ne pas presser le front contre la vitre ; ça se fait à la rigueur dans ces romans de pacotille où l’on s’agite beaucoup ; en vérité le radiateur y fait obstacle, ou aussi la longue et étroite tablette carrelée ; et d’ailleurs la susdite partie de votre anatomie rougit sous la pression et se salit, c’est tout ce qu’on obtient).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
arrangement

Une irrépressible angoisse devant chaque arrangement de l’existence que je rencontre chez d’autres, qu’ils aient choisi une carrière ou une vie en marge et en retrait : comment peuvent-ils vivre ainsi… comment peuvent-ils vivre ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 45.

David Farreny, 29 mars 2013
nui

J’ai maudit, machinalement, le sort inique qui m’avait livré des choses sans explication ou des explications sans les choses assorties, imposé des fréquentations superflues, ennuyeuses, et privé jusqu’à la fin et au-delà, de celles qu’il aurait fallu. Elles détenaient la réponse. Mieux, elles auraient ratifié, légitimé des questions que je me posais et qui, de rester sans écho, m’avaient fait craindre d’avoir la cervelle dérangée, de ressembler, à ma manière bénigne et contenue, puérile, au fou furieux du fisc. Et puis j’ai songé que j’avais lieu de me tenir heureux que l’explication me soit livrée enfin. C’est que le temps ne passe pas vraiment. Il persiste, en nous, à proportion de ce qu’on n’a pu lui être présent dans toute la mesure où cela se pouvait, où on le voulait, quand c’était le moment. Des choses nous ont nui pour garder leur secret. Elles ne nous ont pas dit quelles elles étaient. Et alors on n’a pu être soi-même. Une part de ce qui nous affecte et en quoi, par suite, on consiste, est restée dans leurs mains et nous a donc manqué, diminués.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, pp. 43-44.

David Farreny, 8 juin 2013
lacune

                            Oui, pirates, baleiniers,

navigateurs tenaces du sensible,

n’ayant d’aucun destin à témoigner,

ont traversé ces mers accoutumées

dans l’anonyme flux des horizons,

traçant partout leurs routes — de fumées.

À peine un fin sillage de leur court

périple.

              Noms sur une pierre

                                                 encres

séchées sur un registre.

                                   Bref discours :

nés à…

              morts à…

                            perdus en mer…

                                                        Et une

date en regard de ces événements

fragiles feux follets d’une lacune,

pas même attestés par des témoins

de bonne foi, présents à ce scandale

d’apparitions et de disparitions

mystérieuses…

Benjamin Fondane, Le mal des fantômes, Verdier, p. 79.

David Farreny, 21 juin 2013
fait

Moi, j’ai eu des filles ; j’ai fait des filles. Moi qui ne connais pas la musique ; moi qui dessine si mal ; moi qui suis incapable de fixer des étagères. J’ai fait des filles, avec des cheveux fins et des pieds menus, avec deux yeux chacune et des épaules rondes. Je n’en reviens toujours pas.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 104.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
miroir

C’est en retrouvant le visage d’un autre depuis quelques temps « perdu de vue » que nous prenons parfois conscience d’avoir vieilli. Passé un certain âge, il ne faudrait jamais s’éloigner trop longtemps de ceux ou celles que l’on est destiné à revoir : ils en profitent pour vieillir sans prévenir et ressurgissent soudain comme le miroir indélicat de notre propre décrépitude. On se rassure éventuellement entre intimes plus constamment proches : « Il a pris un sacré coup de vieux… », mais le cœur n’y est pas, on lui en veut presque, on se demande s’il n’est pas malade ; on cherche une explication.

Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Seuil, p. 119.

Cécile Carret, 21 avr. 2014
oblige

Tendance à la lecture en diagonale. Donc, qu’est-ce qu’un grand écrivain ? Quelqu’un qui m’oblige à lire ligne à ligne et mot à mot. C’est rare.

Philippe Muray, « 20 septembre 1990 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 379.

David Farreny, 29 fév. 2024
acteurs

De tous les moyens qu’utilisent nos contemporains pour nous assommer, le plus efficace est de s’étendre sur ce qu’ils font dans la vie. Ils cherchent à témoigner ainsi du fait qu’ils ont une existence sociale, qu’ils jouent un rôle dans l’économie, l’éducation, la culture, le sport, bref, que ce sont des acteurs – et cela les rassure comme des enfants qui chantent dans le noir pour conjurer leur frayeur. En attendant, ils nous assomment.

Frédéric Schiffter, « épilogue », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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