épaulements

Un désordre fugace, inaudible, déjà évanoui tandis que seuls demeurent les épaulements de granit sous le ciel vide.

Pierre Bergounioux, Ce pas et le suivant, Gallimard, p. 118.

David Farreny, 28 mars 2002
antennes

À l’endroit de Pina Bausch j’avais les plus acerbes préjugés, et dans l’ensemble ils n’ont pas été déçus. Ô justesse de l’idée préconçue — en général, s’entend, et pour peu qu’on n’ait pas de trop mauvaises antennes !

Renaud Camus, « jeudi 13 juin 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 128.

David Farreny, 13 avr. 2002
quoique

Mais, pour conclure sur le chant des oiseaux, j’ajouterai que le spectacle de la joie chez autrui, lorsqu’il n’y a pas lieu d’en être jaloux, nous réconforte et nous égaie toujours, et que par suite il faut louer la nature d’avoir pris soin que le chant des oiseaux, qui est une manifestation d’allégresse et une sorte de rire, fût chose publique ; contrairement au chant et au rire humains qui, eu égard au reste du monde, demeurent chose privée. Et c’est par une sage disposition de la nature que la terre et l’air sont remplis d’animaux qui, de leurs cris de joie sonores et incessants, applaudissent tout le jour à l’existence universelle et incitent à l’allégresse les autres créatures, en leur délivrant le témoignage perpétuel, quoique mensonger, de la félicité des choses.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 171.

David Farreny, 9 nov. 2005
colère

Tout ce que tu dis dans la colère, le babouin l’a crié avant toi.

Éric Chevillard, Oreille rouge, Minuit, p. 128.

David Farreny, 20 nov. 2005
ruine

Tactiques, géographies, temps qu’il fait et propos civils ne sont pas du côté des morts. À nous en prélude l’humidité, la confusion, la fadeur nauséeuse des jours, un peu de salive au coin des lèvres, une stupeur immobile, qui ne valent cependant ni quitus ni consentement à ces perspectives de ruine.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 44.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
peu

Nuit noire, cadence de mes pas sur la route qui sonne comme porcelaine, froissement furtif dans les joncs (loir ? ou justement courlis ?), autour de moi, c’était bien ce « rien » qu’on m’avait promis. Plutôt ce « peu », une frugalité qui me rappelait les friches désolées du Nord-Japon, les brefs poèmes, à la frontière du silence, dans lesquels au XVIIe siècle, le moine itinérant Bashô les avait décrites. Dans ces paysages faits de peu je me sens chez moi, et marcher seul, au chaud sous la laine sur une route d’hiver est un exercice salubre et litanique qui donne à ce « peu » — en nous ou au-dehors — sa chance d’être perçu, pesé juste, exactement timbré dans une partition plus vaste, toujours présente mais dont notre surdité au monde nous prive trop souvent.

Nicolas Bouvier, Journal d’Aran et d’autres lieux, Payot & Rivages, p. 62.

Cécile Carret, 4 fév. 2008
loin

Je vis soudain s’agiter très loin quelques petits points qui sortaient du couvert et s’engageaient sur le versant d’un pré ; se rapprochant, ils me laissèrent deviner la tache rouge d’un bonnet qui dansait doucement au hasard du terrain ; et autour de celui-ci d’autres bonnets, des capuchons, d’autres jambes venaient hardiment, quatre ou cinq bonhommes résolus mais étriqués, comme de vieux petits nains. Ces nains portaient quelque chose. […]

C’étaient des enfants de l’école, de ceux qui habitaient la commune des Martres, ainsi que je le reconnus alors qu’ils étaient encore loin. Ce que deux d’entre eux portaient sur un bâton pesant à leur épaule me surprit fort, et d’abord j’en doutai ; mais non, c’était bien un renard, suspendu par les pattes à la mode ancienne ou sauvage, et on ne savait pas pourquoi par ce moyen transporté à travers le froid.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
aube

Personne, dans ce décor, pour soupçonner que la nuit aurait une fin. Tout était prêt à s’en tenir là, à la nuit. Cela s’était fait si naturellement.

Personne pour penser que l’aube viendrait par tous les orifices et poinçonnerait des motifs sur les vases d’étain, peindrait des fleurs sur la frise de la tapisserie, ferait sortir les yeux du bois, lancerait des cônes poudreux à travers l’espace où flottait un lustre à pendeloques. Le contour d’une porte se dessinerait, et ses rectangles emboîtés ; au-delà du tapis, par groupes, les dalles émergeraient du sol, le parsemant de petits lacs mats, jusqu’au fond d’une cheminée où deux bûches s’effondreraient dans la cendre. Un calendrier montrerait Venise et le bleu du ciel, encore noir, se refléterait dans les canaux. Juste en dessous, des clés pendraient.

Un point rouge s’allumerait dans la cuisine, au flanc de la cafetière automatique d’où s’échapperaient bientôt des vapeurs parfumées tandis que le jour qui darderait par les fentes des volets ses lignes obliques sortirait de leur gangue coquetiers et casseroles, classées par tailles sous les crochets. En continu, le moteur du Frigidaire pousserait un roulement grave où se mireraient en festons les rots de la cafetière. Partout s’allumeraient des carreaux et encore des fleurs, des fleurs de céramique, des fleurs qui n’en seraient pas, mais à qui l’aube permettrait d’en être, le temps qu’elles redeviennent bibelots, cendriers, poignées de portes.

On n’en était pas là. On dormait chez les Langre.

Pas d’aube.

Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 25.

Cécile Carret, 27 août 2009
folâtre

Au nombre des animaux qui assistèrent à l’exécution de Will Scheidmann, on compte les ruminants qui paissent autour des yourtes et qui, non sans indifférence, parfois dirigeaient leurs regards vers le poteau contre quoi Will Scheidmann vomissait leur lait, mais, surtout, il y eut un oiseau qui était originaire du lac Hövsgöl, un échassier d’humeur folâtre, critiqué parmi les siens pour ses comportements individualistes, et qui ce matin-là s’amusait à tracer de courtes boucles au-dessus du terrain des opérations et à faire du sur-place tantôt à la verticale des chamelles, tantôt à la verticale des sœurs Olmès. Ses plumes caudales un peu rabougries desservaient l’élégance de sa silhouette, mais peu importe. […]

Dans le monde des chevaliers à pattes vertes et des chevaliers aboyeurs, cet échassier était connu sous le sobriquet de Ioulghaï Thotaï. […]

Ioulghaï Thotaï se déplaça vers l’ouest puis il agita les ailes avec une lenteur tournante, glissant et planant selon un dessin d’entonnoir et freinant sa trajectoire au point de paraître immobile en plein ciel. Il avait appris à voler de cette manière, profondément étrangère à ceux de son espèce, en observant les mouvements d’une buse et en les adaptant à sa corpulence et à sa charpente.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 74.

Cécile Carret, 4 sept. 2010
orphelins

Il y a les orphelins verticaux et les orphelins horizontaux. Les orphelins verticaux sont ceux qui ont perdu leurs ascendants et leurs descendants (ou qui n’en ont pas, ou plus), et les orphelins horizontaux sont ceux qui ont perdu leur famille et leurs proches générationnels. Pour la famille, les frères et sœurs, les cousins. Pour les proches, les amis indispensables. Et il y a les orphelins absolus, ceux qui n’ont plus ni ascendants ni descendants, ni famille ni amis, ceux qui se retrouvent seuls, sans liens, en une sorte de lévitation à la fois sociale et individuelle. Et parmi ceux-là, il faut encore faire un sort à une catégorie très rare, dont je m’honore de faire partie : ceux qui, en plus d’être des orphelins absolus, sont dénués de relations professionnelles, puisque de métier, à proprement parler, ils n’exercent pas. Là ce n’est plus de la lévitation sociale, c’est de l’apesanteur cosmique : rien ne nous tient, rien ne nous retient, rien n’est relié à nous et nous ne sommes reliés à rien. C’est une situation qui a beaucoup d’inconvénients évidents mais qui possède également beaucoup d’avantages que la plupart des gens n’osent pas imaginer.

Jérôme Vallet, « L'heure sévère », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 28 nov. 2013
rustique

Les voitures que l’on entend de loin avant d’être ébloui par l’éclat du soleil sur leur pare-brise grimpent la côte, puis redescendent. La rumeur, les reprises, la grimace des moteurs, la vitesse et le vent qu’elles déplacent rendent le silence qui les suit plus rustique.

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 5.

David Farreny, 20 juil. 2014
gis

Je gis pauvrement, tu gis misérablement, il gît pitoyablement, nous gisons lamentablement, tandis que vous Gizeh, ô grands pharaons !

Éric Chevillard, « jeudi 23 août 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024
dénuement

Je n’étais pas trop accoutumé à marcher sur de longues distances, et je me suis aperçu que ce n’était pas si terrible, en tout cas au début, avec de bonnes chaussures, or j’avais de bonnes chaussures. Je m’échauffais, et, n’eût été le bruit des roulettes sur le bitume, qui était un peu comme la musique de fond de ma progression vers nulle part, je me serais senti presque bien. J’ai failli abandonner la valise dans un fossé et je me suis ravisé. Avec une sorte d’amertume, j’ai noté que je ne renonçais pas à toute prévoyance et que ce n’était sans doute pas bon signe. J’avais, selon toute apparence, encore un problème avec le dénuement.

Christian Oster, La vie automatique, L'Olivier, p. 11.

David Farreny, 22 mars 2024

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