maisons

Plus que de la laideur, à mon avis, le XXe siècle fut le siècle de la camelote. Et rien n’en témoigne mieux que tous ces pavillons qui éclosent le long de toutes les routes et à l’entrée de toutes les villes, petites ou grandes. Ce ne sont pas des maisons, ce sont des idées de maisons. Elles témoignent pour une civilisation qui ne croit plus à elle-même et qui sait qu’elle va mourir, puisqu’elles sont bâties pour ne pas durer, pour dépérir, au mieux pour être remplacées, comme les hommes et les femmes qui les habitent. Elles n’ont rien de ce que Bachelard pouvait célébrer dans sa poétique de la maison. Elles n’ont pas plus de fondement que de fondation. Rien dans la matière qui les constitue n’est tiré de la terre qui les porte, elles ne sont extraites de rien, elles sont comme posées là, tombées d’un ciel vide, sans accord avec le paysage, sans résonance avec ses tonalités, sans vibration sympathique dans l’air.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 470.

David Farreny, 19 mai 2002
occultes

C’est pour avoir continuellement maintenu quelque chose — elle-même — hors des atteintes des puissances ennemies, qui sont les mêmes depuis toujours, partout, pour tous, c’est pour ça qu’elle se dessinait, dans l’air où résonnent les paroles, tout près, chaque fois ou presque que j’ai parlé avec un de ses enfants. Il n’est pas vrai qu’il n’y ait plus personne, plus rien après qu’on a cessé de respirer. Certains, en vérité, n’existent pas vraiment quand, pourtant, on peut les voir passer et repasser dans la lumière, entendre ce qu’ils disent. Ce n’est pas eux. C’est rien que ce qu’on n’est pas, les forces occultes, l’enfant qui joue derrière le rideau du temps orné de figures peintes. D’autres, en revanche, sont toujours là quand on les chercherait en vain du regard. Il peut arriver qu’on ne les ait jamais vus ou que ça n’ait duré que trois secondes et qu’on n’ait même pas su, alors, qui ils étaient.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 65.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
inexistence

Passant éphémère, tiré du néant sans borne qui règne en deçà et au-delà de soi, comme d’un sommeil de plomb auquel on retournera pour toujours, l’on est vite persuadé que, si le monde existe bel et bien, c’est sur un fond insondable d’inexistence, comme un rêve bon ou mauvais surnage et puise sa force suggestive de cette perte de conscience généralisée. Né sous un mauvais signe assurément, celui de l’absence de sens et de la fin absolue de tout, il y a, paraît-il, de la force et de la noblesse, bien vaines à coup sûr, à rester sur le pont coûte que coûte quand tout sombre irrémédiablement autour de soi et que l’on sait qu’il n’y aura pas de main secourable.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 67.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
bourgeois

Le quotidien fait le bourgeois. Il se fait partout ; toutefois le quotidien de l’un peut désorienter jusqu’à la mort l’homme de l’autre quotidien, c’est-à-dire l’étranger, ce quotidien fût-il le plus banal, le plus gris, le plus monotone pour l’indigène.

Dans le quotidien de ce pays, il y a l’issang. Vous passez dans l’herbe humide. Ça vous démange bientôt. Ils sont déjà vingt à vos pieds, visibles difficilement, sauf à la loupe, petits points rouges mais plus roses que le sang.

Trois semaines après, vous n’êtes plus qu’une plaie jusqu’au genou, avec une vingtaine d’entonnoirs d’un centimètre et demi et purulents.

Vous vous désespérez, vous jurez, vous vous infectez, vous réclamez du tigre, du puma, mais on ne vous donne que du quotidien.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 228.

David Farreny, 3 mars 2008
malentendu

Chaque maison, enfant, était un mystère. Les façades contenaient une substance épaisse, dense. Le mystère était celui de cette présence, de cette heure incompréhensible qui te trouvait dans ce lieu, dans cette lumière. Énigme insoluble et mélancolique. Tout ce que tu voyais autour de toi, dans ces banales rues commerçantes, se composait d’un mélange de joie et de tristesse, d’une attente inquiète et palpitante. Tu te laissais emmener par ta mère. Tu ne savais pas, ou tu ne comprenais pas bien ce qu’il s’agissait de faire. Aussi les choses ne s’articulaient-elles pas en fonction de celles qui leur succèderaient, elles ne s’estompaient pas dans les projets. Rien à faire ni à prévoir. Tu t’abandonnais à elles, elles étaient là, se détachant sur le fond d’obscurité qui était le monde, irradiant d’une indistincte imminence. Ils semblaient tous te faire signe, ces arbres, ces boutiques, ces fenêtres, ces coins de ciel blanc entre les toits, capricieusement découpés par les antennes de télévision. Que voulaient-ils dire ? Ils annonçaient quelque chose. Plus encore : ils n’étaient que cela, jusque dans leur cœur, une annonce indéchiffrable.

À présent, te revoici parmi eux. C’était ton retour qu’ils annonçaient. Rien n’est advenu. Les façades sont vides, l’espace est creux, plus d’épaisseur et plus de mystère. Chaque rue traversée donne sur un avenir qui n’a pas eu lieu. Tu crois comprendre le malentendu.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, pp. 311-312.

David Farreny, 2 déc. 2009
lune

Tout près du clocher de l’église Saint-Étienne et d’un seul coup, comme si on avait appuyé quelque part sur un bouton secret, la lune a surgi entre les nuages, et le choc de sa puissante et lugubre clarté a comme fait vibrer toute la ville endormie.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 169.

Cécile Carret, 4 août 2012
autrement

À propos de rien, une fois, elle avait déclaré à Julie qu’elle ne se lavait jamais les pieds pour la simple raison que, en prenant sa douche, ils étaient autrement nettoyés par toute l’eau savonneuse qui coulait sur eux.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 286.

Cécile Carret, 19 mars 2014
macérations

Mais le souverain détachement des choses de ce monde auquel je m’efforçai de parvenir par la méditation, l’ascèse, le yoga, le jeûne, l’abstinence, la lecture des stoïciens et l’étude des grands sages de l’Orient me vint finalement comme une grâce avec la dépression consécutive à ces macérations.

Éric Chevillard, « lundi 1er juin 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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