trop

La « bien-pensance » n’est pas une « mal-pensance » qu’on appellerait ainsi par antiphrase. La bien-pensance pense bien, ce point est absolument acquis. Mieux vaut mille fois, s’il faut qu’une pensée règne, que ce soit elle qui règne plutôt que la mal-pensance. La bien-pensance pense vraiment bien. La bien-pensance a raison. Seulement l’obscène, si je puis me répéter (je ne me suis guère gêné jusqu’à présent), l’obscène c’est d’avoir trop raison. La bien-pensance a trop raison.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 260.

David Farreny, 19 mai 2002
métier

Levé avec la farouche résolution de rattraper le temps que j’ai perdu, cette semaine, pour cause de métier.

Pierre Bergounioux, « dimanche 11 novembre 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 354.

David Farreny, 25 mars 2006
aventure

Elle savourait l’absence totale d’aventures. Aventure : façon d’embrasser le monde. Elle ne voulait plus embrasser le monde. Elle ne voulait plus le monde.

Milan Kundera, L’identité, Gallimard, p. 56.

David Farreny, 3 fév. 2008
tirer

J’ai un tas d’idées pour mon travail et en continuant la figure très assidûment, je trouverai possiblement du neuf.

Mais que veux-tu, parfois, je me sens trop faible contre les circonstances données, et il faudrait être et plus sage et plus riche et plus jeune pour vaincre.

Heureusement pour moi, je ne tiens plus aucunement à une victoire, et dans la peinture, je ne cherche que le moyen de me tirer de la vie.

Vincent van Gogh, « Arles, août 1888 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 400.

David Farreny, 2 juil. 2009
avant

Cependant, objecterez-vous, chacun n’avait-il pas son bagage de souvenirs ? Non. Le passé ne nous était d’aucun secours, d’aucune ressource. Il était devenu irréel, incroyable. Tout ce qui avait été notre existence d’avant s’effilochait. Parler restait la seule évasion, notre délire. De quoi parlions-nous ? De choses matérielles et consommables, ou réalisables. Il fallait écarter tout ce qui éveillait la douleur ou le regret. Nous ne parlions pas d’amour.

Charlotte Delbo, Auschwitz et après (2), Minuit, p. 91.

Cécile Carret, 27 août 2009
égards

Ce café très chaud l’a réconforté. Une cigarette, maintenant, donne au wagon désert une odeur confortable. Ce sera sa petite chambre jusqu’à Tarente. Taranto, accent sur la première syllabe.

Lucas, il faut vous habituer à cette idée : vous vous attendiez à décrire, à partir de Salerne, une courbe inclinée vers la droite et suivant le rivage de la mer, mais c’est vers la gauche que vous serez entraîné, gravissant l’arête centrale de la péninsule et redescendant ensuite vers une autre mer qui a un beau nom : Ionienne. Avertissez de ce changement d’itinéraire votre sens de la direction et votre sens géographique, parce qu’ils méritent qu’on ait de ces égards pour eux et parce qu’ils souffrent sans qu’ils sachent pourquoi, mais d’une manière qui est perceptible pour nous, lorsque nous sommes dans l’impossibilité de dire, par exemple, dans notre chambre, rue Berthollet : Orléans est devant moi, un peu sur la droite, et Nancy à peu près en face de mon oreille gauche. Ici, il n’y a aucun doute : assis de trois quarts sur la banquette, face à la locomotive qu’on vient d’attacher au convoi, il a Tarente devant lui et il tourne — résolument — le dos au Vomero.

Je verrai donc Tarente ce soir, et non pas Messine ou Palerme.

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 664.

David Farreny, 2 nov. 2009
sémantisme

C’est à sa voix qu’il aurait fallu s’en remettre, à ses gestes, à sa seule présence ; et ne tenir que très peu de compte de ses mots, qui eux n’ont pas grand sens, et qui l’étonnent sans cesse quand on les lui rappelle. Il s’étonne surtout qu’on ait pu leur porter assez d’attention pour s’en souvenir. Que ne fait-on comme lui, et n’imite-t-on son détachement parfait à leur égard, sa merveilleuse capacité d’indifférence et d’oubli ? Mais je n’ai pas su m’abandonner à ce sémantisme libéré du verbe et qui flotte dans l’air, s’accrochant un moment, comme une brume, à une intonation, une attitude, un regard. Je n’ai eu ni assez de patience ni assez d’amour. J’ai bêtement exigé des phrases, du bon sens bien français, clairement débité, avec des sujets, des verbes et des compléments à la parade. Or c’est manifestement ce que ce pauvre garçon est le moins capable d’offrir.

Renaud Camus, « dimanche 25 janvier 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, pp. 35-36.

Élisabeth Mazeron, 30 mars 2010
âge

Dix ans plus tard, Gregor est en train de mettre ses chaussettes avant d’aller chercher ses souliers sous le lit. Lentement, il les enfile avec cet air sérieux qu’ont parfois les hommes de son âge affairés à des activités pareilles, une expression grave de vieil enfant solitaire, appliqué, minutieux, coupé du monde et concentré sur sa tâche.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 162.

Cécile Carret, 17 oct. 2010
vallée

Si je n’ai pas gardé la couverture, j’écris près de la petite table dont j’aime l’élégante robustesse et la couleur acajou : elle supporte un crucifix sur pied que je ne regarde guère sans penser à cette femme dont le visage, la voix, la vie sont retournés au néant, et qu’aucun récit ne sauvera, sinon ce prénom fané qui dit un monde disparu et, peut-être, ce que le temps fait de nous alors même que nous ne sommes pas nés, nous appelant à lui sous le masque de l’amour et de la nécessité pour nous abandonner bientôt dans une vallée dont nous ne sortirons plus.

Richard Millet, Petit éloge d’un solitaire, Gallimard, p. 24.

David Farreny, 25 août 2013
géant

Mes ailes de géant les empêchent de m’acheter.

Philippe Muray, « 15 janvier 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 30.

David Farreny, 29 fév. 2024
fatigue

Je ne lutte pas contre le monde, je lutte contre une force plus grande, contre ma fatigue du monde.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 967.

David Farreny, 7 mars 2024

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