poules

Les poules ne pondent pas d’œuf. Personne ne pond. Il n’y a pas moyen. Elles les déterrent.

Henri Michaux, « En marge de Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 132.

David Farreny, 23 mars 2002
contradictions

Chez la plupart des théoriciens, on trouve des textes réclamant ou soutenant, dans certains cas, l’opposé précisément de ce que ces auteurs sont fameux pour avoir réclamé et soutenu. Il ne s’agit pas de contradictions, mais de raffinements.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 32.

David Farreny, 13 avr. 2002
Jim

Bien sûr, à proprement parler, un poète, un romancier, n’est pas un personnage public, ni un potentat exotique, ni un amant international, ni une personne qu’on serait fier d’appeler Jim.

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 179.

David Farreny, 14 avr. 2002
létal

Est-ce le destin des rêves de dépouiller leurs vertus et leur charme lorsqu’ils s’accomplissent ? Enferment-ils un germe létal qui les détruit lorsqu’ils quittent la chambre où ils naquirent pour l’espace non protégé du dehors ? L’utopie semble vouée à nourrir l’utopie, le possible à engendrer du possible, tout réel à se nier. À peine les idéaux se sont-ils composé un visage qu’on y voit apparaître les stigmates inéluctables, dirait-on, de la tyrannique réalité.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, p. 31.

David Farreny, 17 oct. 2006
Asti

J’ai poussé un autre cri de terreur le jour du 15 août. Incrustée dans la porte d’entrée pour le moindre bruit dans les escaliers, je l’attendais depuis huit heures du matin avec notre pique-nique dans mon fourre-tout. Avec l’Asti spumante. Je prenais parfois la bouteille dans mes bras : il doit venir, il viendra. Je vérifiais la fraîcheur de mon mouchoir parfumé pour son front moite. Nous n’irons pas à Chevreuse. Il a préparé un itinéraire. Pas sur le quai du métro, je te dis pas sur le quai du métro. Je viendrai te chercher ici. Pourquoi insistait-il ? J’ai froid dans le dos. S’il tarde, l’Asti sera tiède. Nous l’enterrons. […] Je l’ai attendu pendant deux heures. Tous sont partis dans les bois. Ne tremble pas, ma lèvre, surtout ne tremble pas. Ce privilège est pour les peupliers. Il viendra, ne te décourage pas, ma lèvre. Mon cahier, fermé jusqu’à demain après-midi. Comment parviendrai-je à écrire si j’oublie de vivre…

Violette Leduc, La chasse à l’amour, Gallimard, p. 234.

Cécile Carret, 5 juin 2007
dehors

C’est cette nuit-là que je me suis dit que si je m’éloignais encore plus, alors je nous verrais du dehors, où résidait notre meilleure part, et même si ce que je découvrais de ce point de vue, se ramenait à rien, du moins posséderais-je une certitude.

Le moment était venu où je pouvais me tenir quitte des réclamations du passé lorsqu’il est resté en suspens, des vœux inconsidérés qu’ont faits les disparus. J’avais un an de plus, ou de moins, s’agissant de la vie mienne qui attendait plus bas que je la rejoigne.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 50.

Élisabeth Mazeron, 11 mai 2010
choisir

Il me semble que je suis heureux ; et cela doit bien signifier, au moins par comparaison, que je le suis (le bonheur n’étant sans doute qu’une impression). Pourtant, si je me réveille la nuit, c’est toujours avec une sourde inquiétude, une mélancolie sans forme, presque une angoisse, mais discrète, lointaine, à peine perceptible, quoique vigilante, et qu’on pourrait choisir de ne pas écouter.

Renaud Camus, « dimanche 30 novembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 504.

David Farreny, 13 avr. 2011
attention

Il résiste. Regarde ailleurs.

Par la fenêtre.

Elle aussi.

Il voit s’en aller ce qu’elle voit venir.

Elle voit commencer ce qu’il voit finir.

Ça ne l’avance guère.

Il sent qu’il commence à penser. Il faut faire quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Si. Regarder à droite, mais attention, en prenant le soin de bien fermer les yeux quand tu passeras devant elle.

Il essaie. Tout se passe bien. Il est passé. Il regarde à droite.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 4 mars 2012
exil

Cela signifie que la vie de la majorité des gens n’est plus faite que d’animus – contrainte, effort, mise à disposition de son être. L’anima, cette marge de quant-à-soi, cette puissance de récupération, de repos, de latence, indispensable à l’équilibre du psychisme humain, a été bannie de nos existences.

Si le rêve est bien ce mouvement par lequel on confirme et approfondit sa propre participation au monde, encore faut-il, pour l’accomplir, pouvoir accéder librement et à soi, et au monde. Pour la plupart des gens, ce n’est aujourd’hui pas le cas. Et, en effet, à y bien réfléchir, ce qui nous maintient dans un exil qui serre le cœur a toujours à voir avec le travail – ou alors avec son absence, ou avec la peur de le perdre.

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 47.

Cécile Carret, 1er mai 2012
mais

Il est un temps où l’on constate que l’on n’a soi-même pas agi autrement. Ce n’est pas vengeance, mais orgueil et refus de se sacrifier. On ignore la beauté du geste. Il me semble que j’ai davantage fait souffrir que je n’ai souffert. J’ai su me préserver des états pénibles. Ils ont pensé lâcheté. Je suis lâche et m’en targue. Je me refuse à toute responsabilité. Mais le vide m’attend.

Bernard Delvaille, « Feuillets », Le plaisir solitaire, Ubacs, p. 10.

David Farreny, 13 août 2012
rayonnement

Mais avant tout nous poursuivions notre travail sur le langage, car nous reconnaissions dans la parole l’épée magique dont le rayonnement fait pâlir la puissance des tyrans. Parole, esprit et liberté sont sous trois aspects une seule et même chose.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 85.

Cécile Carret, 27 août 2013
oublié

Ses feuillets manuscrits sont autant de papiers gras et de torche-culs qui jonchent désormais le petit coin de littérature où il s’est oublié. Qui va se dévouer pour passer derrière avec la pelle et le râteau ?

Éric Chevillard, « lundi 7 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 mars 2016

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