cadavre

Quant à ceux qui se permettent de parler de moi sur un ton ennuyeux, pédant, doctrinal, ils se voient cruellement punis : leur bouche béante, je la remplis jusqu’à ras bord de mon cadavre.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 164.

David Farreny, 20 mars 2002
rien

J’étais bien content. Ce furent des après-midi merveilleuses. Rien n’arrivait.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., p. 190.

David Farreny, 23 mars 2002
empire

Entre-temps, le squat de la rue Denis-Papin a périclité, comme un empire, à la suite d’un grand incendie et d’un afflux soudain de barbares.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 208.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
civilisation

Comble de la civilisation : mentir sans mentir.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 50.

David Farreny, 1er janv. 2006
ennui

On dirait qu’il commence à s’ennuyer. Or l’ennui, Ravel connaît bien : associé à la flemme, l’ennui peut le faire jouer au diabolo pendant des heures, surveiller la croissance de ses ongles, confectionner des cocottes en papier ou sculpter des canards en mie de pain, inventorier voire essayer de classer sa collection de disques qui va d’Albéniz à Weber, sans passer par Beethoven mais sans exclure Vincent Scotto, Noël-Noël ou Jean Tranchant, de toute façon ces disques il les écoute très peu. Combiné à l’absence de projet, l’ennui se double aussi souvent d’accès de découragement, de pessimisme et de chagrin qui lui font amèrement reprocher à ses parents, dans ces moments, de ne pas l’avoir mis dans l’alimentation. Mais l’ennui de cet instant, plus que jamais démuni de projet, paraît plus physique et plus oppressant que d’habitude, c’est une acédie fébrile, inquiète, où le sentiment de solitude lui serre la gorge plus douloureusement que le nœud de sa cravate à pois. Je ne vois qu’une solution : appeler Zogheb.

Jean Echenoz, Ravel, Minuit, p. 65.

Guillaume Colnot, 26 avr. 2006
institutrice

Dans le temps, fleur aveugle,

tu t’accrois en nous, avec

le don du silence, avec tout ce qui excède

Nos paroles et qui en elles t’appartient,

ô Mort, sœur difficile !, ô institutrice !

chienne mentale !

Lionel Ray, Syllabes de sable, Gallimard, p. 255.

David Farreny, 27 août 2006
finitude

Les plus beaux rêves, les plus nécessaires et décisifs, c’est sous bois, les yeux ouverts, et conscient, au plus haut point, de rêver, que je les ai faits. Bien sûr, dira-t-on, quelle image n’est merveilleuse lorsque tout est oblique, mouillé, décevant ? À cela, je répondrai qu’on n’est peut-être pas aussi regardant qu’on pourrait l’être quand les choses sont bonnes ou simplement passables. On n’y voit pas malice. On prend ce qui se présente sans chercher au-delà et l’on s’expose ainsi à méconnaître ce qui était meilleur et qu’on aurait trouvé un petit peu plus loin. On n’est peut-être qu’à moitié fortuné lorsqu’on a la faveur de la fortune. Parce que notre lot, c’est la finitude, que le bon qu’on a touché n’est certainement pas le parfait, dont c’est notre droit de supposer qu’il fleurit quelque part, qu’il règne, à charge, pour nous, de marcher vers lui à travers les taillis de la réalité. De sorte que la plus haute faveur résiderait, presque, dans la pire disgrâce. On va la repousser, ou elle nous, avec une telle vigueur qu’à l’opposé surgira son contraire, son image immatérielle, incertaine, son idée, d’abord, dans la bigarrure du sous-bois, puis, si l’on a fait ce qu’il faut, son corps hésitant, son visage de chair, sa présence même.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 36.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
écorner

Quelque chose, chez lui, interdisait peut-être qu’on s’[…]inquiétât sérieusement, ou bien c’était moi qui lâchais, qui décrochais, soudain, et […] je songeais à ces efforts que tous trois nous déployions, finalement, quand nous étions au fond des solitaires, qui s’efforçaient de l’être moins, sans doute, mais qui, se faisant, se contentaient d’écorner quelque contrat passé avec eux-mêmes.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 96.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
rugueux

Le fameux «  je dis toujours ce que je pense  », qui, sous l’une ou l’autre de ses formes et variations («  je suis (trop) franc  », «  sois sincère  », «  sois simple  », «  c’est pourtant la vérité  », «  la seule chose qui compte pour moi, c’est la sincérité  », «  j’ai un gros défaut, il faut toujours que je dise ce que je pense  », etc.), constitue comme on sait le stéréotype des stéréotypes de la société petite-bourgeoise, la nôtre, et l’un des principaux instruments de sa barbarie quotidienne, eh bien, le piquant, c’est que la masse des gens qui en font usage, et Dieu sait qu’ils sont légion, ne s’en targuent pas seulement, chacun, comme d’un trait psychologique personnel, éminemment sympathique, il va sans dire, malgré l’éventuelle rudesse qu’il peut impliquer à première vue, à première ouïe, dans les rapports sociaux ; non, cette franchise et cette sincérité constamment autoproclamées, qui jour après jour, parmi nous, servent de nobles drapeaux à tant de brutalité, de vanité subreptice et de méchanceté pure, elles ne sont pas données uniquement, par ceux qui s’en drapent, comme le fond de leur âme et comme l’essentielle vérité de leur nature. Non, non, non, c’est plus drôle, c’est plus grave, c’est plus bête. S’ils disent : «  Moi j’dis tout haut c’que tout l’monde pense tout bas  », ils veulent que vous voyiez dans cette phrase, outre la preuve d’une noble qualité de leur caractère, une véritable fleur de civilisation, qui par chance aurait choisi d’éclore en eux, ou que leur intelligence, leur vertu, leurs réflexions morales, qui sait, leur auraient permis de cueillir pour s’en orner plus ou moins discrètement le revers. Et de fait, il semblerait fort, dans la plupart des cas, que la civilisation, l’intelligence, comme la morale et la culture, la générosité même, ce n’est pas exclu, la droiture, se réduisent bel et bien en eux, plus encore que ne l’impliquent leurs propos, à cet embarrassant ornement de boutonnière, dont ils sont si fiers : ils sont «  sincères  », et tout est dit, tout peut se dire, ils n’ont pas besoin d’autres principes pour faire honorable figure dans le monde…

La civilisation petite-bourgeoise, en effet, marquée par l’effondrement de la perception littéraire de l’univers sensible, ne connaît plus que des signes simples, au mieux bifrons, ordonnancés selon les seuls critères rugueux et plutôt pauvrets du mensonge et de la vérité. La littérature, c’est le relief du sens. Une société dans laquelle elle a cessé de servir d’école à sa gestion comme à son appréhension ne perçoit plus de significations qu’unidimensionnelles, mises en à-plat. Elle subit une simplification radicale, assez semblable à celle dont serait affligée la peinture, par exemple, si elle devait oublier toute son histoire pour revenir en amont de la perspective.

Renaud Camus, « Les sincères enchantés », Esthétique de la solitude, P.O.L., pp. 96-97.

David Farreny, 3 sept. 2009

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