mais

Vitry-le-François, détail image un, bandeau de bois en avancée sur poteaux, portail en arrière pour charge camions et deux portes à voûte brique arrondie, l’inscription mi-effacée le mot parqueterie, au fond autres toits en triangle symétriques et la masse blanche d’un double silo en avant d’une fumée en panache.

Vitry-le-François, détail image deux, cheminée brique très fine très haute et en avant sur la droite une construction de brique sous double avancée, de part et d’autre du bâtiment étroit, pour mettre à l’abri camions d’un côté wagons de l’autre, et trace symétrique de deux gouttières pour évacuation d’eau de pluie se rejoignant dans un angle inverse à celui des deux avancées mais disparues.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 57.

David Farreny, 24 janv. 2003
freins

L’homme est un être à freins. S’il en lâche un, il crie sa liberté (le pauvre !), cependant qu’il en tient cent autres bien en place.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 133.

David Farreny, 21 oct. 2005
légitime

Nous avons dit qu’une raison pour vivre est d’avoir vécu, et nous l’avons démontré par l’échelle des probabilités de la durée de la vie ; cette probabilité est à la vérité d’autant plus petite que l’âge est grand, mais lorsqu’il est complet, c’est-à-dire à quatre-vingts ans, cette même probabilité qui décroît de moins en moins devient pour ainsi dire stationnaire et fixe. Si l’on peut parier un contre un qu’un homme de quatre-vingts ans vivra trois ans de plus, on peut le parier de même pour un homme de quatre-vingt-trois, de quatre-vingt-six, et peut-être encore pour un homme de quatre-vingt-dix ans. Nous avons donc toujours dans l’âge même le plus avancé l’espérance légitime de trois années de vie. Et trois années ne sont-elles pas une vie complète, ne suffisent-elles pas aux projets d’un homme sage ?

Buffon, « De l’homme », Histoire naturelle, Gallimard, p. 104.

David Farreny, 23 janv. 2006
étranger

Je suis né étranger au monde et j’ai regardé, impuissant, le film de ma vie. Tombereaux d’ennui ou richesses miroitantes ?… Je ne sais toujours pas ce qui m’échut. Une seule certitude : j’ai violemment haï le travail.

Par instinct — ou par bêtise — je n’ai rien « construit ». Par facilité et paresse j’ai tout fonctionnarisé, mensualisé : santé, confort, amour, amitié, écriture. J’étais un timide, je suis devenu un tiède. Je ne sais plus ce que c’est de souffrir.

Cela en mon pouvoir je jetterais mon sexe au premier chien qui passe. Car plus qu’une complication, c’est une plaie cette guérilla avec le ventre. Installé dans la pérennité de l’attente vaine, je forme un vœu sin-cè-re : je voudrais que ma femme soit heureuse.

Jean-Pierre Georges, « Sin-cè-re », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 46.

David Farreny, 31 mars 2008
adhérence

J’aurais voulu de la compassion, de cette sorte que j’éprouve moi-même devant certains regards, par exemple, celui des vieillards trop faibles physiquement pour voir le monde au-delà de leur environnement domestique, des enfants à qui l’on cache certaines clefs de ce monde, des animaux qui s’orientent, le museau au ras du sol, et qui tous sont dans l’impossibilité de percevoir le sens d’une souffrance qui les accable. Leur être même se confond avec cette souffrance et les regards arrêtés qu’ils lèvent vers les hommes et les femmes avertis et responsables disent leur adhérence au malheur. Je crois sincèrement avoir eu cette crédulité quand je souffrais moi-même sans pouvoir donner d’autre explication que celles que la langue transporte sans plus aller puiser dans le tréfonds des sentiments personnels.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, pp. 181-182.

Élisabeth Mazeron, 18 mars 2009
faiblesse

Cette différence de rythme dans l’évolution, entre les significations et les êtres, est éminemment prévisible — on pourrait même dire fatale — aux moments charnières de l’Histoire, lorsqu’une civilisation s’épuise, et qu’une autre est en train de naître. Ce qui meurt n’est pas forcément une perte. Mais trop bien le connaître, et l’aimer, pour la seule raison que ce fut, que nous avons vécu en son sein, et pensé, et senti, et frémi, et que cela va disparaître, il y a là une faiblesse qui prépare mal à l’ère nouvelle.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 137.

David Farreny, 10 mai 2009
vrai

       Si le soleil répare

Les ravages du ciel, que la brise ranime

Les airs dolents — et fuyant, dispersée,

L’ombre grave des nues s’en va dans la vallée ;

Si les oiseaux confient au vent leur cœur

Sans défense, que la lumière

Dans les bois entrouverts, par les dernières

Neiges, insuffle à nouveau désir d’amour

Et nouvelle espérance aux animaux troublés —

Aux âmes lasses des humains, dans la douleur

Ensevelies, peut-il renaître

Le bel Âge, que la détresse et la flamme

Noire du vrai consumèrent

Avant le temps ?

Giacomo Leopardi, « Au printemps », Chants, Flammarion, p. 71.

David Farreny, 10 juin 2009
factice

Je ne peux que constater, par exemple au supermarché où je vais sur ordre de Mme Ambrunaz acheter mes lentilles, cette comédie des paniers remplis de camemberts rustiques et de confitures cuites au chaudron, celui-ci d’un saucisson artisanal, celui-là de crèmes battues par la laitière de Vermeer, de tout ce qui en somme, bien que droit sorti d’une usine et susceptible de figurer un jour ou l’autre sur la liste des produits au rappel, porte la marque d’une nostalgie passée au lecteur de codes-barres et me paraît chaque fois témoigner de cet anxieux désarroi collectif qui trouverait son factice apaisement dans les choses d’un passé qu’opportunément on exhume.

Véronique Bizot, Mon couronnement, Actes Sud, pp. 80-81.

Élisabeth Mazeron, 29 juin 2010
existence

Je les saluai et dis ensuite, sans toutefois franchir encore le seuil :

« Comme je cherchais justement un endroit pour passer la nuit dans le village, un jeune homme assis sur le mur de votre jardin m’a dit qu’en payant, on peut passer une nuit à la ferme. »

Les deux vieux avaient planté leurs cuillers dans la bouillie, s’étaient adossés à leur banc et me regardaient en silence. Leur attitude n’avait rien de très engageant, c’est pourquoi j’ajoutai :

« J’espère que le renseignement qu’on m’a donné était exact et que je ne vous ai pas dérangés inutilement. »

Je dis cela très haut, car ils étaient peut-être aussi tous deux durs d’oreille.

« Approchez », dit l’homme au bout d’un moment.

C’est uniquement parce qu’il était si vieux que je lui obéis ; autrement, il va de soi que j’aurais exigé de lui une réponse aussi claire que l’était ma question. Quoi qu’il en soit, je dis en franchissant le seuil :

« Si le fait de m’héberger devait vous attirer le moindre ennui, si infime fût-il, dites-le-moi franchement, je n’insiste pas du tout. J’irai à l’auberge, cela m’est absolument égal.

— Il parle tant », dit la femme à voix basse.

Cela ne pouvait être que dans l’intention de m’insulter ; ainsi, on répondait à mes politesses par des insultes, mais c’était une vieille femme, je ne pouvais pas me défendre. Et peut-être était-ce justement à cause de cette impuissance à me défendre que la remarque de la femme — à laquelle je n’osais riposter — agissait sur moi beaucoup plus profondément qu’elle n’eût mérité de le faire. Je sentais là quelque chose qui autorisait je ne sais quel reproche, non parce que j’avais trop parlé, je n’avais effectivement dit que le strict nécessaire, mais pour d’autres raisons qui touchaient de très près à mon existence. Je ne dis plus rien, n’insistai pas pour obtenir une réponse, avisai un banc tout proche dans un coin sombre, y allai et m’assis.

Franz Kafka, « Tentation au village », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 281-282.

David Farreny, 3 déc. 2011
impossible

Dimanche atroce. Hier je reçois une lettre de N. : « Arrive demain… » Pas moyen de lui répondre, sinon par télégramme, et comment écrire un télégramme ? J’ai passé une mauvaise nuit, puis bien obligé d’aller la chercher à la gare, à huit heures. J’avais ma gueule impossible — impossible d’en avoir une autre — et je pensais à toute la journée qu’il faudrait passer. Je l’ai emmenée sur le port, nous avons bu du café, puis les heures avançaient quand même ; restaurant. L’après-midi, je l’ai traînée voir des amis à la Pointe du Leydé. Dès qu’elle me touchait, c’était affreux. Nous sommes revenus à cinq mètres l’un de l’autre, elle pleurant, moi sifflotant. Horrible. Enfin, à six heures, dans ma piaule, j’ai pris mon courage à deux ou trois mains, lui ai certifié que j’étais incapable d’aimer qui que ce soit, sinon n’importe qui, dans la rue, comme ça, et après bien des larmes, elle est repartie passer toute la nuit dans le train. Pauvres êtres que nous sommes.

Georges Perros, « Feuilles mortes », Papiers collés (3), Gallimard, pp. 279-280.

David Farreny, 27 mars 2012
bouffée

À quelle bouffée d’illusions dois-je cette dégaine exceptionnellement insouciante aujourd’hui ? J’ai la déconcertante impression d’être un autre.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 167.

David Farreny, 30 juin 2014
sel

Ce sont les théoriciens de la « valeur » et autre « fétichisme » de la marchandise qui ont fini par faire accroire aux esprits influençables la dimension mystique et aliénante de ce bien matériel — et, par là, renforcé le sentiment chrétien que, pour une âme, avoir revient à pécher contre son être. S’épuisant à fournir la preuve de l’inexistence de Dieu, le libre penseur prouve qu’il est tout sauf un esprit libre, de même, à vouloir déceler dans la marchandise je ne sais quelle trace de substance métaphysique diabolique, le libertaire s’en fait le théologien. Il ne comprend pas que le drame des humains d’aujourd’hui n’est pas de se sentir étrangers à eux-mêmes, perdus au milieu des marchandises, mais, au contraire, de ne pas pouvoir réellement s’oublier dans ces objets faits par eux et pour eux, à leur image et conformes à leurs désirs. Il ne comprend pas, surtout, que s’ils s’inventent des besoins c’est pour entretenir leur insatisfaction, le sel même de leur vie.

Frédéric Schiffter, « 36 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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