souvenir

Il y a une nuit irrésistible au fond de l’homme. Chaque soir les femmes et les hommes s’endorment. Ils sombrent en elle comme si les ténèbres étaient un souvenir.

C’est un souvenir.

Les hommes croient parfois qu’ils s’approchent des femmes ; ils regardent l’expression de leur visage ; ils tendent leurs bras vers leurs épaules ; ils retournent vers leur corps chaque soir et ils se couchent contre leur flanc ; ils ne s’endorment pas davantage ; ils ne sont que les jouets de la nuit, menés en laisse par la scène invisible qui les a engendrés et qui porte son ombre partout et sur tout.

Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard, p. 140.

Élisabeth Mazeron, 14 déc. 2003
courrier

Au courrier : un magazine mutualiste.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 35.

David Farreny, 19 nov. 2006
certaine

Tous les jours il faudrait évoquer — par écrit, peut-être —, afin d’oublier aussi peu que possible, afin d’habiter la terre avec toute l’acuité dont nous sommes capable, afin d’adhérer autant que faire se peut à notre histoire et bien sûr à notre géographie, un lieu du monde, pas nécessairement d’une beauté particulière, mais qui, pour une raison ou pour une autre, et souvent sans raison que nous soyons à même de démêler, s’obstine en nous, revient dans nos rêves, hante nos demi-sommeils et nos songeries involontaires. Qu’il soit aujourd’hui certaine ferme haute, entre Hermitage Castle et le hameau de Burnfoot, près de Tudhope Hill, à l’est de la route qui mène de Langholm à Hawick, dans les Cheviots, aux confins de l’ancien Roxburghshire et du Dumfriesshire (aujourd’hui des Borders et du comté de Dumfries & Galloway).

Renaud Camus, « samedi 6 août 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 414.

David Farreny, 20 janv. 2009
État

Rien à faire : la rixe intérieure fait trop de bruit. L’un des camps croit-il avoir pris le dessus, il célèbre en fanfare sa très courte victoire, et vous voici soumis à des agitations bien plus sévères encore, par les applaudissements qu’il se donne, et par les résolutions politiques d’urgence qu’elle lui dicte ; lesquelles, à peine vous y êtes-vous rangé de plus ou moins bon gré, sont annulées par un non moins illusoire succès de l’adverse camarilla. Le mieux serait sans doute de se taire, et d’attendre. Mais vous ne savez vous y résoudre. Il vous faut bien maintenir coûte que coûte, dans ce chaos, la fiction de votre autorité, si dérisoire qu’elle semble à tous. Oh ! Vous avez coupé, par force, les liens avec le monde, l’étranger, les éventuels alliés et les ennemis de toujours. Il ne manquerait plus qu’une extension du conflit hors de vos étroites frontières, avec protecteurs plus ou moins désintéressés, pour chacune des brigues locales ! Plus de relations extérieures, du moins de votre fait. Mais vous voulez, tout de même, continuer d’administrer votre petit État, tout ravagé qu’il est par les tirs de mortier continuels du souvenir et de l’espoir, de la vindicte et de la rage ; ou du moins faire semblant. Et c’est de votre part une avalanche de textes, de proclamations, de décrets, qui n’obéissent à d’autre exigence que de noircir les affichettes officielles, sur les grilles du palais en ruine et sous les arcades de votre naine capitale : car cette encre jamais ne se mélange à la suite des jours, ces phrases sont sans liens avec la réalité des événements et des choses, ces paroles du crieur public sont déjà perdues à son premier roulement de tambour ; en rien ne se commettent-elles avec l’air ni le cri, l’événement ni la pluie, la chambre, les visages, les façades, le pas.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 52-53.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
annexait

Quand arriva la nouvelle lettre de l’Américain, je ne me rappelais plus que je lui avais demandé une photo. Je pris le cliché en pleine figure : on y voyait une chose nue et glabre, tellement énorme qu’elle débordait du cadre. C’était une boursouflure en expansion : on sentait cette chair en continuelle recherche de possibilités inédites de s’étendre, d’enfler, de gagner du terrain. La graisse fraîche devait traverser des continents de tissus adipeux pour s’épanouir à la surface, avant de s’encroûter en barde de rôti, pour devenir le socle du gras neuf. C’était la conquête du vide par l’obésité : grossir annexait le néant.

Amélie Nothomb, Une forme de vie, Albin Michel, p. 111.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2010
privés

Comme, pour achever de la convaincre, j’abordais le plus sérieusement du monde la question du prix en même temps que celle de l’agence, dont la mention figurait sur le panneau et par laquelle il convenait de passer pour faire affaire, la dame me répondit qu’à titre d’exception elle voulait bien m’ouvrir sa porte pour une visite, mais qu’elle allait justement sortir en vue d’une course. Je lui représentai, alors, que cinq minutes me suffiraient à circonscrire le lieu du regard, tout en lui demandant où, dans cette zone de la ville, elle entendait trouver des commerçants. En partie pour me l’expliquer, elle me fit entrer chez elle, et, tandis qu’elle m’indiquait le parcours complexe qui mène d’ici à la première épicerie, et qui eût réclamé le secours d’un véhicule qu’elle n’était de toute façon pas en mesure de piloter, je détaillais l’agencement et surtout le contenu des pièces, meubles un peu moins qu’anciens, literie d’avant l’invention du sommier à lattes, photos bistre, il est vrai, aux cadres cerclés d’or, cafetière aux imbrications multiples, objets utilitaires en forme d’objet décoratif ou anciennement utilitaire, telle la roue de chariot qui éclaire maintenant la table ; et je commençai à concevoir une envie, réelle, de m’installer ici, sur la pente de la colline, avec un grand congélateur à portée de main, sans téléphone, pour y attendre doucement la fin, sans impatience, avec la certitude que là où je serais, tôt ou tard, elle ne pourrait pas me manquer et qu’entre-temps j’aurais vécu ce que vivent les hommes privés d’avenir, au jour le jour, en prenant du poids et la mesure des choses.

Christian Oster, Le pont d’Arcueil, Minuit, pp. 183-184.

David Farreny, 14 mars 2013
inverse

Cracovie, où les cuisses miraculeuses s’ouvrent !

Cracovie, c’est l’espionne au poteau d’exécution !

Mais les soldats ne tireront pas.

Sa furie a désemparé la grossière mécanique du temps.

Les hommes recommenceront la vie en sens inverse,

L’officier redeviendra sperme au delta putride de sa mère.

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 63.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013
repas

– Je vais te nourrir au sein, mon enfant, dit l’ogresse à son nouveau-né. Une inquiétude passa sur le visage du bébé : ça ne ferait jamais que deux repas.

Éric Chevillard, « lundi 1er septembre », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
déprécier

C’est s’abaisser que de déprécier après coup un bonheur perdu.

Jack-Alain Léger, « Memento mori », Ma vie (titre provisoire), Salvy, p. 98.

David Farreny, 16 oct. 2014
véritables

L’usage judicieux de l’euphémisme me semble être l’un des combles de l’élégance ; un petit bouclier gracieux, un signe de civilité, de douceur et d’ironie face à l’indicible qui plus qu’à son tour tente de nous saisir avec ses grandes pattes véritables.

Philippe Louche, « 20 février 2020 », Rien (ou presque). 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024
infondé

Tu croyais qu’en vieillissant tu serais moins malheureux, parce que tu aurais, alors, des raisons d’être triste. Jeune encore, ton désarroi était inconsolable parce que tu le jugeais infondé.

Ton suicide fut d’une beauté scandaleuse.

Édouard Levé, Suicide, P.O.L..

David Farreny, 20 mai 2024

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