heuristique

Tant qu’il occupe un espace en surface, un corps peut être considéré comme vivant. Avant cela il n’y a pas de terme pour le définir, ou alors les brouillards du Rhône, proposition poétique mais non heuristique.

Jean-Jacques Bonvin, La résistance des matériaux, Melchior, p. 36.

David Farreny, 12 mars 2003
paie

Être seul, se débrouiller seul devient un tour de force inattendu… réalisé avec dégoût. Période est venue où la Solitude se paie.

Henri Michaux, « lettre à Vincent de la Soudière (3 septembre 1980) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. LXX.

David Farreny, 21 oct. 2005
tous

Les vaches vivent à l’horizon dans l’immanence des champs. Loin de nous. Loin de tous.

Frédéric Boyer, Vaches, P.O.L., p. 15.

David Farreny, 6 mai 2008
colorier

Impossible que j’écrive sans me couper de l’extérieur pendant de longues périodes ; les promenades, les visites me troublent plusieurs jours, où mon texte flotte, répugnant, superflu, méconnaissable. Écrire est très malsain ; le recel et le contrôle de parole que cela exige sont un enfer quand on aime un peu vivre. Je ne veux pas penser que si un art doit torturer, isoler ceux qui le pratiquent, c’est qu’il est vieux, trop vieux, trop implacablement policé par un réseau trop serré d’exigences. Ou croire que les modestes réussites d’aujourd’hui sont arrachées au prix de plus de sacrifices et de tourments que les chefs-d’œuvre d’hier. Mais, qu’on s’impose de faire sérieusement un ouvrage, aucun art où le résultat soit toujours aussi imparfait, aussi discutable, et souvent ignoré ou haï : c’est comme si on se vidait de tout son sang pour colorier un chiffon sans valeur. La littérature est sans doute bien malade, si elle ne survit que dans de plates parodies rédigées comme on téléphone, ou quelques livres qui détruisent à demi ceux qui les font. Du moins, ce métier archaïque, je l’aime et je n’en veux pas d’autre.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
trancher

Oraliser le poème, le lire en public à voix haute, m’est devenu possible, mais cela n’allait pas de soi, et n’est aucunement devenu une nécessité. Le poème reste d’abord une musique mentale, pour l’oreille interne. La page est sonore et silencieuse à la fois, une sorte de musique d’œil où j’entends parfaitement rythmes et sons. On peut ajouter que lire à voix haute force à trancher entre des propositions que la page laissait simultanément libres. En lisant, j’impose telle connexion de sens, alors que l’écrit me permettait de le laisser flottant. La même question se pose pour la traduction du poème en une autre langue. Si j’écris « la vie / dure », la voix ou le traducteur devra trancher entre verbe et adjectif, alors que l’écrit cumule les deux possibilités. Cette question de l’épaisseur du simple m’intéresse depuis longtemps.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 31.

Cécile Carret, 4 mars 2010
carabes

Quant aux insectes, leurs formes, couleurs, contact, mouvements sont ceux de petits jouets très perfectionnés, amoureusement peints, de menus automates. Lorsqu’on les tire, l’hiver, des troncs d’arbres abattus, plus ou moins vermoulus où ils ont cherché refuge, ils sont engourdis au point de rester sans mouvement lorsque la lumière, subitement, les atteint. On n’a pas tant l’impression de traquer des êtres vivants, des carabes, surtout, que de voler des gemmes, des pièces d’or dans les coffres fracturés du bois.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 39.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
excellent

Soleil à 9 h du soir, qui devient chaud vers 10 h. Ces crépuscules interminables comme on en voit d’avion, l’été, en allant en Amérique. La marée basse, les longues laisses noires des récifs noircis par le varech humide, qui n’ont jamais le temps de sécher, entre deux marées. Les bateaux échoués, qui dorment sur le côté, leur mât qui se relève du sable, avec le flot ; les caps, nez allongé comme crocodiles en sommeil, des îles apparaissent, insoupçonnées. À 10 h, un soleil rouge comme bombe atomique descend dans une eau calme d’étang ; où la marée va-t-elle trouver la force de se gonfler de 7 mètres de haut ; elle s’arrête au même endroit, excellent, au bord du sable chaud et blanc.

Paul Morand, « 22 juin 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 555.

David Farreny, 6 sept. 2010
autant

Ce processus de la propagation du genre débouche dans la mauvaise infinité du progrès. Le genre se conserve seulement moyennant la disparition des individus qui, dans le processus de l’accouplement, ont rempli leur destination, et, pour autant qu’ils n’en ont pas de plus haute, vont, par là, à la mort.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Le rapport des sexes », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 325.

David Farreny, 7 fév. 2011
rêveur

Le rêveur est de ceux-là, à l’évidence. Il a du mal à se faire accepter, et il faut bien reconnaître qu’il n’y met pas du sien. Sa socialisation est chaotique, douloureuse. S’étant trop attardé dans sa tour d’ivoire, il a manqué beaucoup d’épisodes, et se retrouve éternellement en porte à faux. Son en dedans, il le connaît comme sa poche, mais son en dehors, il peine à l’ajuster à celui des autres. Ses lubies et ses élucubrations embarrassent tout le monde ; il tient des propos d’une grandiloquence déplacée. Le plaisir particulier qu’il prend au simple fait d’être en vie – même s’il donne parfois une impression illusoire de neurasthénie –, l’émerveillement inépuisable que lui procure sa propre capacité à respirer, à aimer, à s’émouvoir, à penser, à créer, et même à souffrir, peuvent facilement le rendre d’une fatuité exténuante, voire d’un effarant égocentrisme, qui peuvent finir par taper sur le système des mieux disposés. Les autres, grâce à lui, se rengorgent, confortés dans leur propre sentiment de sagesse, de rectitude et de conformité. Ils pensent être comme il faut, « dans la vie ». Les imbéciles. Ils ignorent qu’ils avancent à tâtons, que ceux qu’ils croient judicieux de suivre sont aussi perdus qu’eux ; et que le rêveur, lui, comme autrefois la pythie de Delphes, sait.

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 23.

Cécile Carret, 1er mai 2012
ancêtre

Mais peut-être est-ce là aussi l’apparence – l’apparition : avec un ancêtre en moi, je ne suis plus au singulier ; je me tiens plus droit, j’ai une autre attitude ; je fais et j’évite, je dis et je tais ce qu’il faut faire et éviter, dire et taire en cas de danger.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 148.

Cécile Carret, 11 sept. 2013
extérieur

Nous avons parfois l’impression que l’âge vient d’ailleurs, qu’il nous est extérieur, que les choses ont changé sans nous demander notre avis et que c’est la raison pour laquelle nous ne les reconnaissons pas.

Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Seuil, p. 107.

Cécile Carret, 21 avr. 2014
trottinette

Que fait ce galopin sur une trottinette ?

Éric Chevillard, « vendredi 15 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 mars 2016
prononcer

Ces pays dont on ne sait trop comment prononcer le nom, par exemple la Bouriatie, sont irritants au plus haut degré. On voudrait n’être jamais venu au monde.

Olivier Pivert, « Bouriatie », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 26 avr. 2024

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