On a toujours remarqué que ce qu’il y avait de plus merveilleux dans l’homme était l’enthousiasme, mais que, hélas, on s’y cassait promptement les os, ou bien l’on cassait les os des autres.
Les Goulares ont essayé de dissocier les deux. L’enthousiasme et son objet. Donc, pas d’objet.
Ils s’excitent à s’exciter.
On en voit, solitaires sur un roc, ou en troupes sur les places, dans la transe. Envahis par des fièvres de loup.
Henri Michaux, « En marge d’Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 136.
« Au fond, c’est une question de degré, reprit-il. Tout est kitsch, si l’on veut. La musique dans son ensemble est kitsch ; l’art est kitsch, la littérature elle-même est kitsch. Toute émotion est kitsch, pratiquement par définition ; mais toute réflexion aussi, et même dans un sens toute action. La seule chose qui ne soit absolument pas kitsch, c’est le néant. »
Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, p. 149.
Tout avait vieilli en même temps qu’elle : tout mourrait avec elle ; et ce qui lui survivrait n’était qu’un monde décoloré, aussi imprécis que celui qu’elle n’avait pas connu. Elle ne croyait pas à une résurrection après la mort : et pas davantage à celle du passé dans le souvenir. Ce qui était disparu l’était sans retour, son image pâlissait, puis s’éteignait à son tour définitivement, au point qu’on en arrivait même à douter que cela eût existé vraiment. Elle était tout entière au temps qui passe, et n’y pensait jamais.
Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 249.
– Mais quelque chose n’allait pas ! Mon visage se contracta : ? : Ah ! là !
Tout doucement – on ne le remarquait qu’au clignotement différent – le gros point brillant tourna dans la serrure de la porte. Tourna : et disparut !
Or je suis toujours long à la détente. En général je suis enfoncé jusqu’à la poitrine dans la jungle des pensées et dois d’abord m’en extirper, me hisser sur la paume des mains – : la clé était partie !
Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 70.
Vostre mort est une des pieces de l’ordre de l’univers.
Michel de Montaigne, « Que philosopher c’est apprendre à mourir », Essais (I), P.U.F., p. 92.
J’ai perdu l’inspiration en me taisant et Phébus ne me regarde plus.
Ainsi en fut-il des Amycléens : ils se taisaient et leur silence les perdit.
Anonyme latin, La veillée de Vénus.
L’universalité suivant laquelle l’animal, en tant que singulier, est une existence finie se montre, en lui, comme la puissance abstraite à l’issue du processus lui-même abstrait qui se déroule à l’intérieur de lui. L’inadéquation de l’animal à l’universalité est sa maladie originelle et le germe inné de la mort. La suppression de cette inadéquation est elle-même l’exécution de ce destin. L’individu supprime une telle inadéquation en tant qu’il insère dans l’universalité, pour l’y former, sa singularité, mais en même temps, dans la mesure où elle est abstraite et immédiate, il n’atteint qu’une objectivité abstraite dans laquelle son activité s’est émoussée, ossifiée, et où la vie est devenue une habitude sans processus, en sorte qu’il se met à mort ainsi de lui-même.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « La mort de l’individu, qui meurt de lui-même », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 329-330.
Chez les hommes, il y a trop peu d’enfance, de créativité, d’authenticité, d’absurdité même ; par contre il y a beaucoup trop de masculinité, de maturité : ils sont plus blets que mûrs. Ils ont l’haleine chargée, ils ont trop bu, trop fumé, c’est l’éternité mauvaise, la soirée a perdu son sens, ça fait longtemps qu’ils auraient dû rentrer chez eux ; mais les hommes restent à table, torse nu, et ils mangent, froide, une patte de poule, on dirait une main humaine : telle est souvent l’image de notre convivialité.
Maxime Ossipov, Ma province, Verdier, p. 38.
Je n’oppose plus, comme avant, les fêtes auxquelles j’ai pris part à celles qui m’ont échappé : là comme ici, la vie fait résonner le même silence.
Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 110.
Il y avait dans le paysage, jusque dans les années 70, une stabilité et une inertie toute séculaire. Les vieilles fermes au coin des routes. Les choses avaient une force placide, une pesanteur. Le sentiment du monde était écrasant.
Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 80.
On vous reproche de lire trop, les femmes en particulier. On ne vous reproche jamais, si vous êtes par exemple danseur, de trop vous entraîner (douze heures par jour). La lecture doit être une occupation furtive, secondaire, quelques pages le soir. Sinon c’est de l’arrogance. Tout le monde peut (croit qu’il peut) lire. Donc ceux qui lisent plus que la moyenne insultent la majorité qui ne lit que dans les ultimes titubations préparatoires au sommeil. Le reproche de lire trop est une plainte de l’égalitarisme. Un cri de ressentiment de la créature indifférenciée blessée.
Philippe Muray, « 10 avril 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, pp. 443-444.
Mettre un point à la fin d’une phrase, c’est une déclaration de guerre.
Jérôme Vallet, « 26 juin 2020 », Georges de la Fuly. 🔗