civil

Quand un homme s’est mis en alexandrins il a beaucoup de peine à rentrer dans le civil.

Henri Michaux, « Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 100.

David Farreny, 20 mars 2002
rien

J’étais bien content. Ce furent des après-midi merveilleuses. Rien n’arrivait.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., p. 190.

David Farreny, 23 mars 2002
imbécilement

Est-ce que j’étais heureux ? Malheureux ? Ni l’un ni l’autre, probablement. Dans l’attente, comme aujourd’hui. Toute ma vie je me suis dit, imbécilement, que la vie commençait demain.

Renaud Camus, « dimanche 16 août 1997 », Derniers jours. Journal 1997, Fayard, p. 204.

David Farreny, 23 fév. 2003
suspects

Je commence à trouver suspects bon nombre de nos jeunes.

Emil Cioran, « Les limites de la mobilité intérieure », Solitude et destin, Gallimard, p. 241.

David Farreny, 24 juin 2005
veux

Je descends de la lande, j’ai vu les digues de dessus et la mer au-delà des digues. J’ai vu en haut de la rue Monte-à-regret les crânes bien farcis de terre, sans le moindre souvenir d’amour, sans le moindre désir de mer. J’ai cru mourir dans la côte, mon corps était un puits où mes yeux voulaient se jeter. Je descends lentement, très lentement, que chaque fleur exhale sa bonté. Les collations sont douces au fond des cafés, je ne comprends rien à rien, je sais qu’on ne peut se faire à la puanteur des images mortes dans l’œil de mouton, je sais aussi que le malheur même est fragile. Je descends vers la ville, je vois l’octroi, je veux aimer.

Michel Besnier, Humeur vitrée, Folle Avoine.

David Farreny, 28 déc. 2008
garder

Deux notes du Livre de mon bord, de Pierre Reverdy :

« C’est un tour de force incroyable de garder au bout de sa plume, après les détours qu’elle doit faire, la saveur de la sensation. »

« Les sensations sont le combustible du néant. Inutile de les noter, de les embaumer. Elles ne ressuscitent, avec leur sève et leur parfum, que lorsqu’elles ressurgissent on ne sait plus d’où, quand on les avait oubliées – qu’elles sont retordues, transformées, adaptées au moment précis où elles doivent être libérées. Non plus pour être exprimées elles-mêmes, mais pour exprimer. »

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 61.

Cécile Carret, 4 mars 2010
résidence

L’indifférence des sensations, dans ce succédané de monde extérieur, était des plus déconcertantes mais j’en ai pris mon parti comme je l’avais fait du puits de mine limougeaud, du grand souffle angoissant courant sur l’Aquitaine. Je ne vivais pas. Il n’y a qu’un seul endroit où cela se puisse et, comme je n’y étais pas, je n’existais point, du moins de la seule façon que je conçoive, sans réserve ni réticence, apaisé. En tout état de cause, j’étais libre de chercher à comprendre ce qui s’était passé avant, au loin. J’étais sur place, à l’endroit où les termes convenables avaient leur exclusive résidence et je pouvais prétendre les trouver enfin.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 64.

Élisabeth Mazeron, 12 mai 2010
essai

En somme je ne sais rien de lui — rien de cette vie qui fut ce que sont les vies, un coup de dés, un essai pour une autre fois, une partie d’écarté. Combien parviennent à trouver, pour s’en revêtir, quelque chose qui ressemble à une forme, à une construction délibérée de la volonté, à une structure ordonnée où soit aboli le hasard, sous l’instance de la lettre, qui sait, des correspondances, de l’ailleurs en toute occurrence lové entre les arcanes de l’ici, celui-ci fût-il un tombeau ?

Renaud Camus, « 2-2-12-03-19-14-1-1-1-7 », Vaisseaux brûlés.

David Farreny, 5 mai 2012
ivre

Un homme ivre est un homme qui vole.

Il faut ne pas avoir bu du tout pour croire qu’il tangue et qu’il chancelle, en réalité il vole, lui, et sur ses invisibles ailes, il arrive partout plus vite qu’il n’espérait lui-même.

Que dans l’intervalle le temps ait passé, peu importe, le temps, lui, il ne connaît pas, et ce sont les autres, c’est sûr, qui sont dans l’illusion, ceux qui se tourmentent pour de pareilles choses.

Il ne se fait même aucun mal, car l’homme ivre, la Vierge Marie est là qui l’a pris dans son tablier.

Le difficile, par contre, c’était d’ouvrir la porte. Il est resté longtemps à s’escrimer avec cette clé, il la tournait dans la serrure, dans un sens, dans l’autre, mais la serrure ne voulait pas céder. Et la porte de la maison lui a donné plus de mal encore, avant qu’il s’aperçoive, pour finir, qu’elle n’avait pas été fermée.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 173.

Cécile Carret, 4 août 2012
ineptie

L’ineptie des visages peu mûrs, la misère des faces vieillies : ne passe-t-on l’essentiel de l’existence qu’à ajouter un prologue, puis un épilogue à soi-même ?

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 230.

David Farreny, 2 avr. 2013
revenez

La pellicule sur le café me rappela mon frère, dont on racontait qu’il avait toujours détesté ces lambeaux flasques et que, revenu du front pour sa première permission, quand notre mère, pensant que la guerre lui avait fait passer toutes ses délicatesses, lui avait servi le café comme elle en avait l’habitude, il avait repoussé la tasse en disant : « Revenez hier ! » Je voyais le lait faire des vagues et former une peau se déchirant en îles sur le liquide qui s’éclaircissait alors.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 100.

Cécile Carret, 8 sept. 2013
sexe

Attraction, pulsions, frictions, érections, tout cela se passait dans la nuit du corps, et sans trop qu’on y prît part.

Comment ces chairs frisées, roses ou rouges, toutes baignées d’huile, ces peaux grenues ou fripées, ces béances, ces chaos, ces organisations qui évoquaient dans leur consistance et dans leurs couleurs une classe de mollusques, la sixième, qui eût échappé à la curiosité du capitaine Nemo, dans leur texture et dans leur symétrie, remontant peu à peu le cours des espèces, huîtres, coquillages, méduses, jusqu’aux espèces les plus anciennes, « littorines, turitelles, janthines, ovules, volutes… », et qui finalement proposaient à la caresse de la main, toujours surprenante, cette boule de poils soyeux comme un sporran qui semblait provenir, lui, d’un autre embranchement du règne animal, des mammifères sans doute, les plus récents dans l’évolution, comme née du devoir différé de dissimuler toutes ces peaux primitives et mal cousues, ou bien de la nécessité de protéger la masse viscérale et molle du sexe, comme une coquille protège un mollusque — si bien que les expressions populaires et même assez vulgaire de « moule » et de « chatte » résumaient assez bien le début et le terme de la phylogénèse de cet étrange organe, d’un côté le crustacé, le bivalve, l’huître en cela qu’elle perlait elle aussi, qu’elle sécrétait des perles d’eau, qu’elle en conservait même une, polie, nacrée, élastique et cachée sous la jointure des lèvres supérieures — de l’autre le petit félin domestique —, comment donc, pour couper court à ma rêverie mais surtout pour mettre fin à ma dévoration visuelle, à chercher jusqu’au fond du conduit couleur sang, capitonné, ondulant et annelé, l’origine de la vie —, je remontais jusqu’à vouloir discerner la cellule primitive, à la façon dont, à l’autre bout de l’échelle, l’astronome repère, au fond de l’infini, le point zéro du temps —, pouvaient-ils donc avoir été, tous ces ressorts physiologiques, simplement et mystérieusement physiologiques, depuis toujours, le fondement même de notre vie, de notre histoire et le foyer de ce feu formateur d’industries ingénieuses, de tout ce qu’on osait appeler, non sans orgueil, notre culture ?

Jean Clair, Les derniers jours, Gallimard, pp. 315-316.

Guillaume Colnot, 20 juin 2016

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