volcan

Était-ce bien lui ? Je fus frappé et aussitôt comme repoussé par l’enflure rouge de ses joues, éclatante… il semblait déjà avoir éclaté de partout à cause de cette enflure, qui avait fini par lui faire des membres disproportionnés, par épanouir sa chair de tous les côtés à la fois, de sorte que son corps odieusement florissant ressemblait à un volcan de viande jaillissante… et dans ses bottes de cavalier il étalait des pattes apocalyptiques, tandis que ses yeux semblaient nous contempler du fond de cette graisse comme à travers une petite lucarne. Mais il se collait à moi et me serrait dans ses bras. Il chuchota timidement :

— J’ai enflé… saloperie… Et d’où ça vient, cette graisse ? De tout, sans doute, de tout.

Witold Gombrowicz, La pornographie, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 24 mars 2002
indécidabilité

Émancipée du grand héritage tragique, comique et romanesque, la pensée ne sait plus problématiser la vie. Elle ne sait plus en éclairer les contradictions, en explorer les paradoxes, en suivre les tortuosités, en capter les nuances. Elle ne sait plus faire droit à l’ambiguïté des êtres ni à l’indécidabilité des comportements. Spectaculairement ouverte aux différences, mais définitivement fermée aux apories, elle n’est capable, la malheureuse, que de brandir triomphalement la solution du problème humain.

Alain Finkielkraut, L’ingratitude, Gallimard, pp. 200-201.

David Farreny, 6 juin 2004
garde

Si l’on n’y prend garde, on n’aura pas été de son temps. On sera resté en-deçà de soi-même, étranger à sa possibilité présente. On aura vécu au passé.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, p. 9.

David Farreny, 24 nov. 2005
joué

Cependant marcher dans la rue me fait du bien, je suis moins triste. Peut-être même que je chantonne (très curieux glissements d’humeur, semblables à ceux des nuages ; comme si tout ça était en partie joué — ce que c’est, bien sûr, mais alors il n’y a rien qui ne le soit).

Renaud Camus, « jeudi 29 avril 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 202.

David Farreny, 17 août 2007
fais

Ah ! et tandis qu’ainsi je me débats, ma vie se poursuit, et continue comme un récit que j’écoute, et mon destin me détermine dans chaque instant (ces hauts et ces bas du moi étaient prévus de tout temps), et sans le savoir, je « fais » la maladie dont je mourrai un jour. (Ce que je fais de plus sérieux, sans doute.)

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 283.

David Farreny, 4 mars 2008
mousse

Dans les montagnes du Centre, ces gros hôtels aux façades austères, leurs portes discrètement haussées d’insignes de clubs, derrière lesquelles on trouve une poignée de voyageurs de commerce groupés là dans la fumée des gauloises comme des cloportes sous une même mousse.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 65.

Cécile Carret, 18 juin 2012
peut

L’éducation est une chose admirable, mais il convient de se rappeler de temps à autre que rien de ce qui vaut d’être connu ne peut s’enseigner.

Oscar Wilde, « Quelques maximes pour l’instruction des personnes trop instruites », La vérité des masques, Rivages.

David Farreny, 4 déc. 2012
promeneur

Chérie, chérie, comme c’est magnifique que l’été revienne en plein automne, et comme c’est bien, car on pourrait difficilement supporter le changement des saisons si on n’y faisait équilibre intérieurement. Chérie, chérie, mon retour du bureau vaut la peine d’être raconté, d’autant qu’il ne m’arrive rien d’autre qui vaille cette peine. À six heures et quart, je sors d’un bond par la grande porte, je regrette ce quart d’heure gaspillé, je fais un demi-tour à droite et je me dirige vers la place Wenceslas ; puis je rencontre quelqu’un de connaissance qui m’accompagne et me raconte des choses intéressantes, j’arrive chez moi, j’ouvre la porte, ta lettre est là, j’entre en elle comme un promeneur qui, fatigué de marcher à travers champs, pénètre maintenant dans les bois. Certes, je m’égare, mais cela ne m’effraie pas. Puissent tous les jours finir ainsi.

Franz Kafka, « lettre à Hedwig Weiler (octobre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 603.

David Farreny, 20 avr. 2014

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