équilibre

La contemplation d’un chou rouge coupé en deux lui procura un réconfort : replis blancs et violets, mystérieuse géographie, secrets de cervelle. Il s’arrêtait ainsi devant les structures végétales, minérales, animales, dont la luxuriance baroque semblait résumer la complexité de l’existence. Alors, il ne pensait pas, ne devenait nullement plus lucide, mais il se sentait en équilibre avec ce qu’il contemplait.

Michel Besnier, Le bateau de mariage, Seuil, p. 73.

David Farreny, 13 avr. 2002
chamoisée

Penchée sur la baignoire basse elle ouvrit les robinets jumeaux, puis se pencha un peu plus encore pour loger dans son embouchure le bouchon à chaîne de bronze — qui s’enfonça de lui-même tandis que Van immobilisait l’adorable lyre d’Ada et un instant plus tard touchait à la racine de la douceur chamoisée, était happé, englouti entre les lèvres à la doublure cramoisie, familières, incomparables. Ada saisit à deux mains les robinets secourables, augmentant sans le vouloir le volume sympathique du bruit de la cataracte et Van laissa échapper une longue plainte de délivrance…

Vladimir Nabokov, Ada ou l’ardeur, Fayard, p. 469.

David Farreny, 4 nov. 2002
raison

Non, ne faites pas attention, je perds la tête maintenant, mais je n’ai pas de raison précise.

Georges Bataille, Le bleu du ciel, Gallimard, p. 44.

David Farreny, 15 juin 2004
dedans

Quand on n’est pas de là, on ne peut pas. On n’est qu’avec les choses. On est dedans. On a perdu jusqu’à la notion des hommes, des vivants et des morts, et c’est ce qui s’est produit à plusieurs reprises. Je suis sorti, béant, du bruit, des étincelles et j’ai connu, l’espace d’une seconde, peut-être, ce qu’on passe le plus clair de sa vie à continuer de vouloir en sachant parfaitement que c’est impossible, fou : que reviennent d’entre les ombres ceux que nous avons connus et que nous aimions.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 56.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
éternité

La régression temporelle ne peut que nous révéler une éternité antérieure dont absolument rien n’a pu être absent ; car nous ne pouvons pas concevoir que l’éternité qui nous suivra puisse réaliser quoi que ce soit de plus que la première.

Emil Cioran, « Maurice Maeterlinck », Solitude et destin, Gallimard, p. 265.

David Farreny, 24 juin 2005
risque

Je me suis souvent étonné que l’on n’ait jamais vu de princes qui aient désiré mourir par simple dégoût, par pure satiété de leur état, comme on l’entend dire tous les jours des simples particuliers. Je pense à ces auditeurs d’Hégésias le Cyrénaïque, qui après l’avoir entendu déclamer ses leçons sur la misère de la vie sortaient de l’école pour aller se tuer, si bien que ce philosophe fut surnommé le Tentateur de la mort et que, dit-on, le roi Ptomélée lui interdit de continuer à professer sur ce thème. Il est vrai que l’on trouve parfois des princes, comme le roi Mithridate, la reine Cléopâtre, l’empereur Othon, et peut-être quelques autres, qui se donnèrent la mort, mais c’est parce qu’ils étaient alors frappés par l’adversité et menacés de plus grands malheurs. Or, il m’eût semblé naturel que les princes, plus facilement que d’autres, dussent prendre en aversion leur état, se lasser de tout, et souhaiter la mort. En effet, comme ils siègent au point culminant de ce que l’on nomme le bonheur humain, et qu’ils n’ont pas grand-chose, peut-être rien, à espérer des prétendus biens de la vie, puisqu’ils les possèdent tous, ils ne peuvent se promettre de lendemains meilleurs que la veille. Le présent, pour fortuné qu’il soit, est toujours triste et sans attrait, seul le futur risque de plaire.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Plotin et de Porphyre », Petites œuvres morales, Allia, p. 224.

David Farreny, 9 nov. 2005
ramifié

Je suis passé devant notre maison, j’ai jeté un coup d’œil sur la liste des noms des locataires actuels. Ils sont toujours là, les M., les W., les R. Treize ans ont passé. Ceux qui étaient jeunes, qui jouaient avec moi dans la rue, doivent être mariés, avoir des enfants, et je me vois débarquant dans leur salle à manger, ramifié par le souvenir, et eux cassant toutes mes branches une à une.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 59.

David Farreny, 12 mars 2008
furent

On peut se tromper de chemin. Lorsqu’on le découvre, il n’est généralement plus temps de revenir à la bifurcation et de choisir l’avenir que nous assignaient un penchant inné, la voix profonde du grand passé. Ils furent sans effet parce que le présent, après avoir tardé sans mesure, a fini par nous atteindre et nous l’avons suivi au loin. Les bêtes dont j’avais partagé la résidence, croisé, parfois, la route enchantée, sont restées, elles, au pays de l’enfance. Elles m’attendent, peut-être, comme il m’arrive de rêver que je les retrouve. Ce sera pour une autre vie. Je ne sais pas.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 47.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
réglage

Le vent dans les peupliers, le réglage se fait de l’intérieur.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 77.

David Farreny, 27 juin 2010
journal

La grande difficulté quand on écrit son journal dit monsieur Songe c’est d’oublier qu’on ne l’écrit pas pour les autres… ou plutôt de ne pas oublier qu’on ne l’écrit que pour soi… ou plutôt d’oublier qu’on ne l’écrit pas pour un temps où on sera devenu un autre… ou plutôt de ne pas oublier qu’il ne doit avoir d’intérêt que pour soi-même immédiatement c’est-à-dire pour quelqu’un qui n’existe pas puisqu’on est un autre aussitôt qu’on se met à écrire…

Bref ne pas oublier que c’est un genre d’autant plus faux qu’il vise à plus d’authenticité, car écrire c’est opter pour le mensonge, qu’on le veuille ou non, et qu’il vaut mieux en prendre son parti pour cultiver un genre vrai lequel s’appelle littérature et vise à tout autre chose que la vérité.

Conclusion, ne pas écrire son journal… ou plutôt ne pas le considérer comme sien si on l’écrit. Ce n’est qu’à ce prix qu’il parviendra à l’intimité qui est le contraire de l’authenticité lorsqu’on se mêle d’écrire.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 82.

Cécile Carret, 8 déc. 2013

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer