caboche

J’ai remué des quantités énormes de débris antiques. J’ai étudié l’homme des Baumes-Chaudes, un beau dolichocéphale troglodyte qui mangeait du lièvre dans de très grands plats de terre brute, et c’est moi qui l’ai nommé. J’ai étudié l’homme du causse, le brachycéphale à face très orthognathe de la race que j’ai dite dolménique — c’est moi qui l’ai nommée. J’ai eu l’honneur de découvrir que chez ces deux ethnies, la dolménique comme la troglodyte, on faisait aux sujets promis à l’état de chaman, dans leurs petites années, de fortes trépanations ; qu’on leur prélevait dans l’os crânien une rondelle de la taille d’une pièce de cinq francs en argent ; qu’ils portaient en amulette au cou cet os manquant de leur caboche, par lequel ils étaient tout-puissants.

Pierre Michon, « Neuf passages du causse », Mythologies d’hiver, Verdier, p. 40.

David Farreny, 5 juin 2002
simples

Je te le dis, mon ami, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. L’esprit humain est un instrument peu raffiné, et bien souvent nous ne sommes pas plus capables de veiller sur notre sort que le moindre ver de terre.

Quoi que j’aie pu être d’autre, je ne me suis jamais laissé devenir ce ver. J’ai sauté, j’ai galopé, je me suis envolé, et quel que soit le nombre de fois où je me suis écrasé au sol, je me suis toujours ramassé pour essayer encore. Même en ce moment où les ténèbres m’enserrent, mon cerveau tient bon et refuse de jeter l’éponge.

Paul Auster, Tombouctou.

Élisabeth Mazeron, 20 sept. 2002
aliénés

Être de rien qui, face au rien de ce monde, demeure sensible. Timidement. C’est que, même aliénés, contraints, nos sens et émotions veulent vivre ; quitte à se nourrir de ce qui les appauvrit.

Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ?, 10/18, p. 262.

David Farreny, 26 déc. 2006
échappée

Puis le temps précipite son cours, brise les cercles où il tournait en rond bien plus qu’il ne passait — celui de la reproduction simple, de l’autarcie, des saisons. Il amorce l’échappée tangentielle, irrésistible qui se poursuit toujours.

Pierre Bergounioux, Les forges de Syam, Verdier, p. 38.

Élisabeth Mazeron, 3 fév. 2008
constellation

Tu lisais des dictionnaires comme d’autres lisent des romans. Chaque entrée est un personnage, disais-tu, que l’on peut retrouver dans une autre rubrique. Les actions, multiples, se construisent au fil de la lecture aléatoire. Selon l’ordre, l’histoire change. Un dictionnaire ressemble plus au monde qu’un roman, car le monde n’est pas une suite cohérente d’actions, mais une constellation de choses perçues. On le regarde, des objets sans rapport s’assemblent, et la proximité géographique leur donne un sens. Si les événements se suivent, on croit que c’est une histoire. Mais dans un dictionnaire, le temps n’existe pas : ABC n’est ni plus ni moins chronologique que BCA. Décrire ta vie dans l’ordre serait absurde : je me souviens de toi au hasard. Mon cerveau te ressuscite par détails aléatoires, comme on pioche des billes dans un sac.

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 39.

Cécile Carret, 22 mars 2008
insulte

Comme un vieux récipient fêlé, mon cœur ne peut plus contenir les effervescentes douleurs dont il continue à être agité, ni les bouillantes passions. Et je crains qu’il ne finisse par se briser. Je ne me sens plus jeune. Je le dis depuis si longtemps ! Et je ne parviens pas à comprendre pour quelle raison l’amour a laissé passé sa saison sans me sourire, tandis que l’amitié, bien suprême, s’éloigne de moi, qui en ai trop abusé. Et survient un nouvel âge. Celui où la mémoire de l’homme est encombrée de trop de souvenirs non ensevelis et où son cœur, opprimé et couvert de cicatrices, ne se nourrit plus que de révoltes fébriles. En attendant, la vie a cessé d’être une cohorte joyeuse, la mort impitoyable ne nous sourit plus, de loin, comme un jour de gloire, mais elle s’avance et se donne pour ce qu’elle est vraiment : l’insulte suprême.

Vincenzo Cardarelli, « Congé », Memorie della mia infanzia, Mondadori.

David Farreny, 18 janv. 2013
muet

Je feins le plus vif intérêt à l’interminable récit de ce raseur. J’écarquille les yeux, j’arrondis les lèvres, j’opine du chef, je lève les mains au ciel, dans l’espoir que mes expressions surjouées dignes du cinéma muet finiront en effet par le faire taire.

Éric Chevillard, « samedi 9 février 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 19 fév. 2013
celles

Inévitablement, on ne suit que celles qui s’éloignent.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 201.

David Farreny, 2 avr. 2013

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