Je ne sache pas qu’il y ait un sens à la vie.
Pierre Bergounioux, La casse, Fata Morgana, p. 9.
La matinée est bien avancée lorsque je peux m’asseoir enfin à la table de travail, obéir à l’injonction impérieuse que m’adresse, du fond du temps, le morveux de dix-sept ans qui découvrit qu’il était permis d’être un peu fixé sur ce qui se passe alors qu’il avait abandonné toute espérance à ce sujet. Je suis un instant à surmonter l’effroi qui m’empoigne chaque fois que je me retrouve au pied de la muraille puis je trace un mot, un autre et continue petitement.
Pierre Bergounioux, « vendredi 13 avril 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 299.
Le poisson rouge, à l’abri de deux fléaux majeurs : l’ennui et la rage de l’expression.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 100.
Le sentier venait de sortir à ciel ouvert et de retrouver le bord du lac, la lumière grise de la surface. Dans l’eau, les pentes de la montagne s’emboîtaient dans leur propre reflet comme dans un jeu de construction merveilleux qui faisait hésiter sur le niveau réel de la surface. Le ciel, d’un gris très clair, semblait collé au fond comme une lentille. Tout en bas de ce retournement vertigineux, on voyait l’antenne de la station de transmission qui permettait aux habitants de l’Altefrau de bénéficier de la télévision et qui arrosait les vallées et les zones montagneuses.
Il y avait un silence énorme, une humidité froide. Des nuages fins comme une gaze salie recouvraient les sommets. On sentait à l’œuvre cette immobilité du temps propre à l’automne, ce pourrissement propre à l’automne, les plantes s’exténuant doucement sous la roche.
Dominique Barbéris, Beau Rivage, Gallimard, p. 70.
J’ai apporté à vivre beaucoup plus de nonchaloir que d’attention.
Paul Morand, « 22 octobre 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 153.
cette vision nocturne d’un homme qui va
en poussant devant lui une espèce de manche
au bout duquel se trouve une longue guenille
promenée aux rigoles de la rue déserte
cette vision lugubre au milieu de la nuit
de la réalité nocturne du quartier
un homme noir qui pousse ce long instrument
sur le revêtement de la rue bitumeuse
un être appartenant à l’existence humaine
promène dans la nuit une espèce de manche
au bout duquel se trouve une longue guenille
qui passe dans la rue et rassemble l’ordure
oh ! la tranquillité du geste répété !
oh ! la répétition des crasses rejetées
chaque jour sur la rue anonyme où déjà
la pute a disparu parce qu’il se fait tard !
j’ai fermé la fenêtre et baissé le volet
j’ai tiré les rideaux j’ai éteint la lumière
et par le noir de mon cerveau j’ai essayé
d’attraper quelque chose comme un somnifère
pour m’enfoncer au rêve que mon cœur espère
William Cliff, « Hôtel Balima », Immense existence, Gallimard, pp. 38-39.
X : il a écrit tellement de livres qu’il pourrait s’incinérer avec.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 120.
Le livre nous permet d’éviter la conversation avec les disciples.
Nicolás Gómez Dávila, Nouvelles scolies à un texte implicite (2), p. 83.