moindre

L’air cru étourdit. Les blocs sourds de granit proclament, sans phrase, la brièveté fulgurante de nos vies, la vanité de nos vues, la fatalité de l’oubli. Rien n’a changé. Rien ne changera jamais. Nous passons comme des rêves et cette pensée, cet émoi dont on est transi, sont eux-mêmes dénués de la moindre importance.

Pierre Bergounioux, « Millevaches », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 70.

David Farreny, 24 mai 2002
terrier

Défaire

détourner

ramener à soi

rejeter d’auprès de soi

froisser

Insignifier par des traits

Percer

pousser

cherchant

cherchant toujours LA SORTIE DU TERRIER

Henri Michaux, « Par des traits », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1250.

David Farreny, 7 août 2006
réalité

Les entreprises qu’on a méditées parmi les arbres, pour déraisonnables qu’elles soient, ont pour fondement solide la terre inclémente et pentue, la sauvagerie du bois où elles seront ultérieurement tentées, la réalité. C’est avec les figures ennemies en personne, et non avec leur pâle interprète, leur impalpable effigie, que j’ai parlementé, en leur présence que j’ai préparé mes demandes et mes répliques. Bien sûr, l’événement, lorsqu’on y touche, accuse inévitablement un certain décalage. L’expédition orientale, sur les granits, à travers la neige et la nuit de décembre, il fallait bien que je l’envisage dans les grès du bas pays, à l’automne. Mais le vieux roc était prévu, le père des granits et des grès, la vieille froidure aussi. Ils étaient incorporés à la vision que je portais, qui m’emportait. Ils lui conféraient une consistance, un lest qui la tenaient debout sur la route de la réalité, quand ce fut le moment.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 40.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
virtualités

Aujourd’hui la vie fait très mal derrière l’omoplate gauche. Un grand abattement passe au rouleau d’essorage les bouts de guenilles de mes virtualités. Il en sort un jus pas assez noir pour écrire avec.

Des cris aigus d’enfants mêlés à des coups de burin font un environnement sonore propre à se médicamenter. Un petit drapeau délavé, déchiqueté, bat faiblement dans une zone désertée par l’activité cellulaire.

Mon sexe veut bien tout. Il est comme l’eau. Il épouse toutes les formes dans un coma dépassé. De midi jusqu’au soir : procession d’heures sordides, évoluant à très basse altitude.

Jean-Pierre Georges, « Abattement », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 21.

David Farreny, 31 mars 2008
fini

Une vache ne se mord jamais la queue.

Une vache se borne au fini, à l’insistant et chatoyant fini.

Elles auraient pu au moins nommer la couleur verte.

Frédéric Boyer, Vaches, P.O.L., p. 45.

David Farreny, 6 mai 2008
rendre

S’éloigner d’elle dans l’espace est surtout un moyen de s’éloigner d’elle dans le temps, dans mon temps à moi, et il s’agit de faire rendre à cet espace un maximum de temps.

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 664.

David Farreny, 2 nov. 2009
puzzling

La quarantaine, célibataire, enseignante, la Frau Doktor ; et si intelligente que moi, avec mon petit savoir désordonné, vieillot et confus, je me sentais suspect au plus haut point. De plus, ce jour-ci, elle portait sa robe rouge, celle aux points noirs ; qui laissait voir son intéressante silhouette grande et maigre ; et c’était de nouveau à mon tour de raconter une histoire, si bien que malgré l’intimité de notre petit cénacle – la plupart du temps nous étions seuls – j’étais, comme toujours, terriblement gêné ; it’s puzzling work, talking is.

Arno Schmidt, « Histoire racontée sur le dos », Histoires, Tristram, p. 53.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
érotisme

ÉROTISME. Érotisme était un mot parfaitement bienvenu et on ne peut plus utile pour désigner ce qui concerne l’amour et spécialement l’amour physique, l’activité sexuelle, le plaisir, le désir, le sexe.

Il lui est arrivé le grand malheur, hélas, d’être enlevé et détourné par une camarilla d’anciens séminaristes torturés, qui l’ont chargé et surchargé de sens superfétatoires, lesquels ne reflètent que leurs angoisses personnelles, leurs troubles religieux, leurs vices éventuellement ou leur peine à parvenir à la jouissance.

Il n’est en aucune façon dans la nature étymologique d’érotisme d’avoir partie liée à la “transgression”, au sacrilège, au sadomasochisme, à tout un bric-à-brac conceptuel et quincaillier de chaînes, de jeux de pouvoir, de talons aiguilles, d’épreuves, de martinets et autres éléments de matos qui n’avaient aucune espèce de droit à encombrer tout son espace et tout son rayonnement sémantique.

Et comme si n’était pas suffisant ce parasitage en règle, érotisme a dû subir, sur un autre front, mais de la part des mêmes envahisseurs, souvent, d’autres assauts de sens, qui l’ont paré des plus fausses élégances. L’érotisme n’était plus seulement ce qui concernait le plaisir amoureux et la volupté, il était, par opposition à la pornographie, ce qui en traitait avec art, avec dignité, raffinement et goût. Le goût était plutôt grossier, en général, et l’art le plus souvent au-dessous du médiocre. Quant à la dignité, le désir et le plaisir en avaient bien suffisamment par eux-mêmes, et de liens immédiats avec la poésie la plus haute, pour qu’ils eussent besoins de suspectes garanties de respectabilité, délivrées par des marchands d’art, des éditeurs de livres à tirage numéroté, des femmes du monde et de vieux messieurs libidineux.

La tentation est grande d’abandonner le pauvre érotisme à son malheureux destin, tant l’ont gravement compromis les fréquentations frelatées où il s’est vu contraint. Mais d’une part c’est très injuste à son égard, et d’autre part c’est nous punir nous-mêmes, car nous avons de lui grand besoin, pour lui faire dire ce qu’il veut dire, et rien de plus.

Renaud Camus, Répertoire des délicatesses du français contemporain, P.O.L., pp. 186-187.

Élisabeth Mazeron, 1er avr. 2010
décision

Chaque soir, depuis une semaine, mon voisin de chambre vient lutter avec moi. Je ne le connaissais pas et, d’ailleurs, je ne lui ai pas encore parlé jusqu’à présent. Nous n’échangeons que quelques exclamations qu’on ne peut pas appeler « paroles ». C’est « Allons-y » qui ouvre le combat, « Canaille » gémit parfois l’un de nous sous l’étreinte de l’autre, « Ça y est » accompagne un coup inattendu, « Cessez » signifie la fin, mais on continue un petit moment à se battre. Le plus souvent, il fait même encore un bond de la porte dans la chambre, et me donne un tel coup que je tombe. Puis il me souhaite le bonsoir de chez lui, à travers la cloison. Si je voulais renoncer définitivement à mes rapports avec lui, il me faudrait donner congé, car fermer la porte ne sert à rien. Un jour que j’avais fermé la porte parce que j’avais envie de lire, mon voisin l’a fendue à la hache, et comme il abandonne difficilement une décision prise, la hache devenait même un danger pour moi.

Je sais m’adapter. Comme il vient toujours à heure fixe, j’entreprends un travail facile que je puis interrompre sur-le-champ si c’est nécessaire. Par exemple, je range une armoire, ou bien j’écris quelque chose, ou bien je lis un livre sans intérêt. Je suis bien obligé de m’arranger de cette façon puisque, dès qu’il se montre à la porte, il me faut tout laisser là, fermer sans délai l’armoire, laisser tomber le porte-plume, jeter le livre, il veut uniquement se battre, rien que cela.

Franz Kafka, « Chaque soir, depuis une semaine… », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 269.

David Farreny, 3 déc. 2011
privés

Comme, pour achever de la convaincre, j’abordais le plus sérieusement du monde la question du prix en même temps que celle de l’agence, dont la mention figurait sur le panneau et par laquelle il convenait de passer pour faire affaire, la dame me répondit qu’à titre d’exception elle voulait bien m’ouvrir sa porte pour une visite, mais qu’elle allait justement sortir en vue d’une course. Je lui représentai, alors, que cinq minutes me suffiraient à circonscrire le lieu du regard, tout en lui demandant où, dans cette zone de la ville, elle entendait trouver des commerçants. En partie pour me l’expliquer, elle me fit entrer chez elle, et, tandis qu’elle m’indiquait le parcours complexe qui mène d’ici à la première épicerie, et qui eût réclamé le secours d’un véhicule qu’elle n’était de toute façon pas en mesure de piloter, je détaillais l’agencement et surtout le contenu des pièces, meubles un peu moins qu’anciens, literie d’avant l’invention du sommier à lattes, photos bistre, il est vrai, aux cadres cerclés d’or, cafetière aux imbrications multiples, objets utilitaires en forme d’objet décoratif ou anciennement utilitaire, telle la roue de chariot qui éclaire maintenant la table ; et je commençai à concevoir une envie, réelle, de m’installer ici, sur la pente de la colline, avec un grand congélateur à portée de main, sans téléphone, pour y attendre doucement la fin, sans impatience, avec la certitude que là où je serais, tôt ou tard, elle ne pourrait pas me manquer et qu’entre-temps j’aurais vécu ce que vivent les hommes privés d’avenir, au jour le jour, en prenant du poids et la mesure des choses.

Christian Oster, Le pont d’Arcueil, Minuit, pp. 183-184.

David Farreny, 14 mars 2013
artistes

Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes et l’on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme.

Arthur Cravan.

David Farreny, 15 oct. 2013
réfringent

Enseigne-moi comment donner de la force à mes décisions salutaires, enseigne-moi à vouloir sérieusement ce que je veux, enseigne-moi la persévérance lorsque les tempêtes du destin ou que le revers d’une main balaient la construction de trois années. Enseigne-moi à parler au cœur des hommes sans que mon propos ne change de direction en traversant le centre réfringent de leur système d’opinions.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 202.

David Farreny, 11 déc. 2014

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