néant

Quant à la métaphore du jugement de Salomon, elle se résume à peu près à ce choix : ou bien quelque chose, ou quelqu’un, une valeur, un privilège, un bonheur, un jardin, survivent et perdurent dans l’être, mais c’est au profit d’une seule personne ou d’une seule classe, d’une partie seulement d’une société donnée, d’un nombre délimité de personnes (c’est le choix que fait la vraie mère, même si cette solution-là implique qu’elle va perdre l’enfant) ; ou bien ce quelque chose, ou ce quelqu’un, cet enfant, ce privilège, ce bonheur, cette valeur, ce parc, vont faire l’objet d’une répartition générale, entre toutes les parties présentes, tous les membres d’une société donnée — et cela, même si cette répartition générale implique que l’enfant soit tué, la valeur pervertie, le privilège aboli, le bonheur réduit à néant (du moins personne n’en jouira-t-il : c’est le choix de la fausse mère et, à mon avis, de toute la modernité).

Renaud Camus, « vendredi 9 mai 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 224.

David Farreny, 30 avr. 2006
longue

La vie est plus longue que large.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 68.

David Farreny, 19 nov. 2006
droit

Un homme qui est né dans un monde déjà occupé, s’il ne lui est pas possible d’obtenir de ses parents les subsistances qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a nul besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la moindre part de nourriture et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert disponible pour lui ; elle lui ordonne de s’en aller, et elle ne tardera pas elle-même à mettre son ordre à exécution, s’il ne peut recourir à la compassion de quelques convives du banquet. Si ceux-ci se serrent pour lui faire face, d’autres intrus se présentent aussitôt, réclamant les mêmes faveurs. La nouvelle qu’il y a des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux postulants. L’ordre et l’harmonie du festin sont troublés, l’abondance qui régnait précédemment se change en disette, et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie qui sévissent dans toutes les parties de la salle, et par les clameurs importunées de ceux qui sont, à juste titre, furieux de ne pas trouver les aliments qu’on leur avait fait espérer.

Thomas Malthus, « Apologue du banquet », Essai sur le principe de population.

David Farreny, 27 mars 2007
résonne

Le fait qu’il est dans lui-même pour lui-même, l’animal l’expose, et cette exposition est la voix. Mais seul l’être sentant peut exposer le fait qu’il est sentant. L’oiseau dans les airs et d’autres animaux émettent des sons vocaux sous l’effet de la douleur, du besoin, de la faim, de la satiété, du plaisir, de l’allégresse, de l’ardeur du rut : le cheval hennit lorsqu’il va à la bataille ; les insectes bourdonnent ; les chats, quand cela va bien pour eux, ronronnent. Mais le geste théorétique de l’oiseau qui chante est un mode plus élevé de la voix ; et que la chose aille si loin chez l’oiseau constitue déjà une particularité relativement au fait que les animaux en général ont une voix. Car, tandis que les poissons, dans l’eau, sont muets, les oiseaux planent librement dans les airs comme dans leur élément ; détachés de la pesanteur objective de la terre, ils remplissent l’air d’eux-mêmes et extériorisent leur sentiment d’eux-mêmes dans l’élément particulier. Les métaux ont un son, mais pas encore de voix ; la voix est le mécanisme devenu spirituel qui s’exprime ainsi lui-même. L’être inorganique ne montre sa déterminité spécifique que s’il est sollicité, que s’il est battu ; tandis que l’être animal résonne de lui-même.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 640.

David Farreny, 23 mai 2011
pompé

De ma chambre qui donne sur la cour, j’entends le bal public qui de tangos en fanfares va lentement aller jusqu’au matin. Il est bien vrai que Paris a pompé la France entière, tout ce qui se crée en province est condamné à être démodé avant même de naître, sauf, me semble-t-il, dans le Midi.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 31.

Cécile Carret, 17 juin 2012
chair

Et loin pourtant d’être une jeunesse. Elle avait dépassé les trente ans, les trente-cinq même peut-être. Sa chair était d’une voluptueuse mollesse, d’une douceur patinée, on aurait dit que les nombreux lits, que les nombreux bras étrangers l’avaient comme attendrie, son visage était tendre aussi, comme la pulpe onctueuse d’une banane, et ses seins étaient comme deux menues grappes de raisin. Il y avait ce charme en elle de la grâce tout près de corrompre, cette poésie de la flétrissure imminente et de la mort. Elle aspirait l’air comme s’il lui brûlait la bouche, ou bien comme si, de sa petite bouche ardente de catin, elle léchait quelque friandise ou sirotait du champagne.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 112.

Cécile Carret, 4 août 2012
éponge

L’ordre moral et l’hygiénisme contemporains sont les deux faces de la même éponge qui, à force de chercher partout l’ordure, est devenue la plus puante et la plus abjecte de toutes.

Éric Chevillard, « mercredi 26 septembre 2012 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 janv. 2013
épilogues

À vrai dire, ma vie était criblée d’amis et de femmes perdus de vue. Certains avaient, sans doute, des choses réelles à me reprocher. D’autres s’étaient éloignés, tout simplement, sans même y penser, comme une planète s’éloigne d’une autre, emportée par d’imperceptibles gravitations. Dans la plupart des cas, ce n’est pas tant le manque de tel ou telle qui me troublait que tous ces vécus dévalués par leurs épilogues. J’aurais souhaité, dans mes relations, plus d’invariants. Certes, l’amitié et l’amour impliquent, je le sais, un échange entre deux êtres. Mais l’idée d’échanger a quelque chose de décevant. C’est une idée qui s’apparente trop à l’économie, pas assez à la foi. J’aurais sincèrement aimé connaître des liens sous un mode désintéressé et unilatéral. Mais la vie en société m’apparaissait rétrospectivement sous un jour atrocement contractuel.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, pp. 65-66.

David Farreny, 20 fév. 2015
cache

Ce qu’on cache c’est le pareil-que-les-autres. On en fait un secret. Un occulte. Pour camoufler le néant. Les visages sont différents, pas les corps.

Philippe Muray, « 7 janvier 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 409.

David Farreny, 23 août 2015

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