circonstances

C’est que nous nous ressemblons un peu tous, mais jamais dans les mêmes circonstances.

Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 10.

David Farreny, 20 mars 2002
monter

Mes phrases voient monter en elles la contradiction avant qu’elles aient atteint leur verbe.

Renaud Camus, « samedi 7 février 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 61.

David Farreny, 15 fév. 2004
classique

C’est le samedi que la décrue s’amorça. On revint au quaternaire tardif. Aux moussons succéda un hiver frisquet, classique. La rivière regagna son lit cloisonné de quais obliques, sanglé de ponts.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, p. 19.

David Farreny, 24 nov. 2005
nombre

Le petit nombre doit l’emporter subversivement sur la subversion elle-même et sur tous ses dispositifs de misère, de honte et d’inutilité.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 56.

David Farreny, 1er janv. 2006
paresse

Atteint de paresse, on se met à tarir. Les entrepreneurs qui, dans la conscience qu’ils ont de leur responsabilité sociale, s’évertuent à engager et à occuper des paresseux se ruinent, car une fois que quelqu’un est devenu paresseux, il n’est plus bon à rien. « Le paresseux ressemble à une pierre remplie d’ordure » (Livre de Sirac, 22, I). « Le paresseux dit : il y a un lion dehors ! Je serai tué dans les rues ! » (Proverbes 22, 13). « La porte tourne sur ses gonds. Et le paresseux sur son lit. » (Proverbes 26, 14).

On sait peu de choses de la paresse, étant donné que le paresseux manque de l’ambition et de la force nécessaires pour pouvoir informer sur son état d’une manière capable d’impressionner durablement une personne travailleuse. Le paresseux ne voit pas l’utilité de s’expliquer à quelqu’un, pas plus que celui qui se noie, ou, plus généralement, celui qui meurt, n’entreprend des efforts dignes d’être signalés pour formuler avec des mots aimables et aisément compréhensibles ses réflexions sur la noyade, sur le fait de mourir, qui pourraient être tout à fait intéressantes pour des personnes extérieures. […]

Le travail accompli ne rend pas un paresseux heureux. Une fois que l’on a commencé à se laisser aller, on est étonné de la profondeur de l’abîme dans lequel on tombe. Nulle part un sol où s’écraser et se fracasser. On tombe, on tombe, tout devient plus sombre, l’air devient plus froid, plus humide, on tombe.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 126-129.

David Farreny, 11 mars 2010
transition

Comme les hommes, les choses meurent et leur mort, comme la nôtre, nous échappe. Dans le premier cas, le tableau de la corruption est si peu tolérable aux vivants qu’ils confient la dépouille à la terre, à ses sombres mystères, marquant d’un signe conventionnel, pierre, croix, croissant ou poteau funéraire, l’emplacement où la chair redevient poussière. Les artistes ont abondamment représenté le stade ultime, danses macabres et crânes des vanités, mais non pas la transition.

Pierre Bergounioux, « Friches », Les restes du monde, Fata Morgana, p. 39.

David Farreny, 13 mai 2010
cela

Je me tus. Une sauterelle venait de bondir sur une de mes jambes. Les épreuves avaient métamorphosé mon corps. Les maladies nerveuses provoquaient une multiplication de lambeaux de peau parasites. Partout grossissaient sur moi de vastes écailles ligneuses et des excroissances. La sauterelle accrochait à cela ses pattes.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 94.

Cécile Carret, 10 sept. 2010
profiteroles

Puis il se tut, et le silence se prolongea longtemps, Jed finit par perdre légèrement conscience. Il eut la vision de prairies immenses, dont l’herbe était agitée par un vent léger, la lumière était celle d’un éternel printemps. Il se réveilla d’un seul coup, son père continuait à dodeliner de la tête et à marmonner, poursuivant un débat intérieur pénible. Jed hésita, il avait prévu un dessert : il y avait des profiteroles au chocolat dans le réfrigérateur. Devait-il les sortir ? Devait-il, au contraire, attendre d’en savoir davantage sur le suicide de sa mère ? Il n’avait de sa mère, au fond, presque aucun souvenir. C’était surtout important pour son père, probablement. Il décida quand même d’attendre un peu, pour les profiteroles.

« Je n’ai connu aucune autre femme… » dit son père d’une voix atone. « Aucune autre, absolument. Je n’en ai même pas éprouvé le désir. » Puis il recommença à marmonner et à hocher de la tête. Jed décida, finalement, de sortir les profiteroles. Son père les considéra avec stupéfaction, comme un objet entièrement nouveau, à quoi rien, dans sa vie antérieure, ne l’aurait préparé. Il en prit une, la fit tourner entre ses doigts, la considérant avec autant d’intérêt qu’il l’aurait fait d’une crotte de chien ; mais il la mit, finalement, dans sa bouche.

S’ensuivirent deux à trois minutes de frénésie muette, où ils attrapaient les profiteroles une par une, rageusement, sans un mot, dans le carton décoré fourni par le pâtissier, et les ingéraient aussitôt.

Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion, pp. 215-216.

David Farreny, 12 sept. 2010
force

J’avais déjà trouvé en moi la force de fixer froidement le malheur, d’étouffer mes émotions, je commençais alors à comprendre la beauté qu’il y a à détruire.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
insulte

Comme un vieux récipient fêlé, mon cœur ne peut plus contenir les effervescentes douleurs dont il continue à être agité, ni les bouillantes passions. Et je crains qu’il ne finisse par se briser. Je ne me sens plus jeune. Je le dis depuis si longtemps ! Et je ne parviens pas à comprendre pour quelle raison l’amour a laissé passé sa saison sans me sourire, tandis que l’amitié, bien suprême, s’éloigne de moi, qui en ai trop abusé. Et survient un nouvel âge. Celui où la mémoire de l’homme est encombrée de trop de souvenirs non ensevelis et où son cœur, opprimé et couvert de cicatrices, ne se nourrit plus que de révoltes fébriles. En attendant, la vie a cessé d’être une cohorte joyeuse, la mort impitoyable ne nous sourit plus, de loin, comme un jour de gloire, mais elle s’avance et se donne pour ce qu’elle est vraiment : l’insulte suprême.

Vincenzo Cardarelli, « Congé », Memorie della mia infanzia, Mondadori.

David Farreny, 18 janv. 2013
expient

Nous voulons croire que leur miroir est recouvert d’un crêpe noir. Dans de profonds et lugubres monastères, ils expient leur vilenie : la matinée vouée aux tourments de la culpabilité, l’après-midi aux supplices de la repentance et la nuit à la hantise, à la fièvre, aux sanglots, aux cauchemars, aux punaises. Le froid féroce les enrhume. Ils cousent avec un fil de morve des pelures de pommes de terre pour se faire un vêtement. Leur vin est fade et leur eau ne l’est pas. Toutes les nourritures solides tournent en pourriture dans leur bouche.

Il y aurait une justice !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 33.

Cécile Carret, 4 fév. 2014
ouï-dire

(Sans doute l’enfance est-elle enchantée parce que tout ce qu’elle découvre s’est produit avant elle, avant la naissance, parce qu’elle observe les effets dont elle ne connaît les causes que par ouï-dire — et ainsi, en vieillissant, l’on pénètre la nature des choses, l’on voit les maisons se construire, les routes se dérouler sur les landes, les ponts s’élancer au-dessus des rivières, et, le progrès technique accélérant sa marche, dévorant le passé, on en vient à ne plus être entouré que d’objets, de décors, de paysages et d’êtres apparus au monde après nous, dont on a connu l’avènement puis l’ascension, auxquels on réserve cette familiarité qu’on ne témoigne pas aux dieux qui nous ont précédés et instruits.)

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, pp. 21-22.

David Farreny, 20 juil. 2014
été

Mais mon récit est un terrain vague sur lequel je ne sais que récolter les quelques lambeaux de ma mémoire. J’ai voulu mettre ma confiance en l’amour, moi aussi, et je suis comme un pauvre type, à l’aube, qui sort d’un casino où il a tout misé et tout perdu. Il fait froid. Je suis fatigué. Je ne possède plus rien qu’un corps éreinté, laminé, le vent souffle, je voudrais dormir mais le monde est trop bruyant. Je me souviens de l’été qui ne reviendra pas. Avoir été. Je n’ai plus qu’une chose : le récit de l’été, de l’avoir été, des lilas en fleurs et des roses, du seringat devant la fenêtre de la cuisine. Je le veux encore. Réciter, c’est-à-dire écrire sous la dictée du corps vieillissant, dont une partie se rebelle contre sa fin programmée. Comme un enfant de dix ans qui refuse de céder la place au vieillard, parce qu’il veut encore apprendre et découvrir les secrets que le monde prétend garder par devers lui. « En amour, nous ne nous rendons compte que trop tard, si un cœur ne nous était que prêté, ou nous était offert, ou bien alors sacrifié. »

On aura beau faire, on ira jusqu’à la fin. On traversera les temps inconnaissables et ceux qui remontent de la voix perdue à travers l’oubli et le désespoir. La clarinette et la flûte se croisent sans se reconnaître, comme les femmes pressées qui ont traversé notre existence : elles aussi se sont fanées, mais leurs derniers parfums sont les plus déchirants, appels désespérés et perdus dans les péripéties biologiques qui vont les étreindre et les terroriser.

Jérôme Vallet, « Terrain vague », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 19 mars 2024

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