radieuse

Je ne trouve rien à écrire, je ne sais que flâner autour des lignes dans la lumière de vos yeux, dans l’haleine de votre bouche, comme dans une journée radieuse, une journée qui reste radieuse même si la tête est malade, même si le cerveau est fatigué, même si je dois partir lundi par Munich.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 36.

David Farreny, 23 mars 2002
ainsi

L’idée, qu’on rencontre aujourd’hui souvent, que la culture digère tout, s’approprie les productions subversives qu’elle ainsi désamorce et qui deviennent après cela un nouveau chaînon d’elle, cette idée est fausse.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 23.

David Farreny, 13 avr. 2002
glas

Son calme apparent lui confère une irréparable gravité. Lorsqu’il dit que la condition humaine est un naufrage, une catastrophe, un péché, ses mots sont si pathétiques et si mesurés qu’on croirait entendre sonner le glas dans un traité de logique…

Emil Cioran, « Nae Ionescu et le drame de la lucidité », Solitude et destin, Gallimard, p. 382.

David Farreny, 24 juin 2005
néant

Quant à la métaphore du jugement de Salomon, elle se résume à peu près à ce choix : ou bien quelque chose, ou quelqu’un, une valeur, un privilège, un bonheur, un jardin, survivent et perdurent dans l’être, mais c’est au profit d’une seule personne ou d’une seule classe, d’une partie seulement d’une société donnée, d’un nombre délimité de personnes (c’est le choix que fait la vraie mère, même si cette solution-là implique qu’elle va perdre l’enfant) ; ou bien ce quelque chose, ou ce quelqu’un, cet enfant, ce privilège, ce bonheur, cette valeur, ce parc, vont faire l’objet d’une répartition générale, entre toutes les parties présentes, tous les membres d’une société donnée — et cela, même si cette répartition générale implique que l’enfant soit tué, la valeur pervertie, le privilège aboli, le bonheur réduit à néant (du moins personne n’en jouira-t-il : c’est le choix de la fausse mère et, à mon avis, de toute la modernité).

Renaud Camus, « vendredi 9 mai 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 224.

David Farreny, 30 avr. 2006
moi

Cauchemar de l’escalier. — De l’entresol au cinquième, tout entier, devenu une bête, l’escalier se recroqueville, et moi qui au deuxième fumais une « Abdullah ».

Henri Michaux, « Mes rêves d’enfant », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 63.

David Farreny, 11 mars 2008
imbécillité

J’étais là, j’étais debout, c’était tout ce que je pouvais faire. J’avais cessé de comprendre. Ma curiosité intellectuelle, qui était à peu près ma seule fierté, faisait faillite ; je renonçais à l’analyse, aux hypothèses, à la méthode. Je ne gardais pour moi que ma stupeur et mon angoisse — ou plutôt c’était elles, en vérité, qui me gardaient, comme je m’approchais de moi-même, enfin, retrouvant mon imbécillité fondamentale et adhérant à elle, faisant corps avec elle dans ma toute-solitude et m’en tenant là.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 62.

Élisabeth Mazeron, 16 mars 2010
arpenteur

Finalement il dit à K. :

« Comme vous avez pu le remarquer, monsieur l’Arpenteur, j’ai bien eu connaissance de toute cette affaire. Si je n’ai encore rien fait, c’est d’abord à cause de ma maladie, puis parce que, ne vous ayant pas encore vu, je pensais que vous aviez renoncé à la chose. Mais, puisque vous avez l’amabilité de venir me voir personnellement, il faut bien que je vous dise toute la vérité, la désagréable vérité. Vous êtes engagé comme arpenteur, ainsi que vous le dites, mais malheureusement nous n’avons pas besoin d’arpenteur. Il n’y aurait pas pour vous le moindre travail ici. Les limites de mes petits domaines sont toutes tracées, tout est cadastré fort régulièrement. Il ne se produit guère de changement de propriétaire ; quant à mes petites disputes au sujet des limites, nous les liquidons en famille. Que ferions-nous dans ces conditions d’un arpenteur ? »

Bien qu’il n’y eût encore jamais réfléchi, K. se trouvait convaincu dans son for intérieur qu’il s’était toujours attendu à une déclaration de ce genre.

Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 552-553.

David Farreny, 22 oct. 2011
pion

Tourner la loi. Se prendre pour… Les filles disent « mon fiancé », elles s’imaginent grandes dames-XIXe siècle, du temps où il y avait des fiançailles. Elles disent « ton mec », c’est le fantasme provisoire crapule Carco. On dit « ton Jules », ça fait encore plus fortifs, du temps où il y avait une marge, c’est-à-dire une société. « Ton ex », ça signifierait qu’à un moment il a été actuel. Alors que de toute façon, dans tous les cas, ça n’a jamais été qu’un pion de rencontre sur un échiquier d’ennui et de brouillard. Développer.

Me souvenir des excellents clichés mis en scène dans Les Nuits de la pleine lune vu hier. Rapports de force à feu doux, liberté, vie commune tempérée, illusions d’exister.

Philippe Muray, « 6 janvier 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 536.

David Farreny, 3 juin 2015

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